le café de l’ouvrier.

 

 

Le café lieu matinal passage obligé des ouvriers métallos lors de ma jeunesse. Son histoire si elle pouvait se raconter résumerait celle du monde des hommes du travail, mais aussi de la société Française. De la politique aux sports tous les sujets de conversation étaient abordés par des gens de toutes catégories. Un lieu essentiellement masculin, de rencontres, de désespoir, de rendez-vous, la figure de la société. Lieu aussi de sociabilité et de vertus. Le café dans la culture ouvrière populaire, mais aussi culturelle, philosophique, fut, et est encore l’endroit de tous.

 

J’étais encore apprenti ajusteur après deux années dans un centre d’apprentissage lorsque j’ai connu le café, le noir tiré d’un percolateur, au cours de mon premier emploi. Entraîné à ce rituel par mon compagnon, celui qui avait la charge de m’apprendre le métier, à prendre un jus comme l’on disait. On se retrouvait, à mes débuts, en 1945 dans cet espace réservé entre l’usine et le métro, ou chaque matin, les ouvriers au bleu de travail venaient pendre ce noir arrosé d’un calva pour certains, histoire de se caler l’estomac, quand ce n’était pas un calva seul. Mais ce n’était pas que cela le café, c’était aussi le lieu ou l’on prenait l’apéro, entre copains, le soir après la journée de travail. Un endroit bien Français. Tout le monde se connaissait des habitués Marcel, René, des prénoms bien à la mode dans ce temps d’après l’occupation. Il n’y avait pas que ma «boite», le café tout le monde des «taules» y venait. On était entre nous et une franche convivialité y régnait. C’était autour du zinc que l’on se mettait serrés les uns contre les autres, ou entre deux bonjours, on échangeait quelques paroles, pas le temps de longs discours, il fallait faire vite pour aller pointer. Moi, j’écoutais les anciens ceux qui forcément connaissaient. La plupart n’avaient pas mangé avant d’aller au boulot, et je trouvais néfaste à jeun de soumettre son estomac à cette épreuve. Mais rien à faire contre le rite du jus matinal, nous ne serions pas des ouvriers. L’ouvrier n’est pas une machine il a besoin de chaleur. Celui de l’après guerre avait souffert mais il conservait un prestige, il était fier de la valeur de son travail. Après la guerre, ce lieu, meurtrit par la Gestapo, et les milices de Pétain pourchassant les résistants, avait déjà perdu de sa grandeur ouvrière. Le syndicalisme reprenait ses droits la CGT principalement avec la Vie Ouvrière était redistribuée dans les usines. Mais les ouvriers en avaient pris un coup pendant ces quatre années d’occupation, et dans mon usine c’était boulot boulot. Les luttes ouvrières des années d’avant guerre on n’en parlait peu les opinions étaient partagées sur leurs conséquences. Mais on avait obtenu, de haute lutte, les premiers congés payés et la semaine de 40 heures. De la mémoire d’un adolescent.

 

J’ai commencé à travailler en septembre 1945 à 16 ans après deux années dans un centre d’apprentissage commencées en 1943 sous l’effigie Pétainiste «Travail Famille Patrie» inscrite en grosses lettres sur le mur du réfectoire de ce centre. C’était au 190 avenue de Clichy à Paris. Je m’en souviens encore l’entrée était à gauche un peu avant la voie ferrée qui existe encore en venant du métro Porte de Clichy. Mes parents avaient tout fait pour que j’aille dans une école d’apprentissage, mais les places n’étaient pas pour moi. Bien qu’ils fussent Français naturalisés avant la guerre, ils avaient un handicap mélangeant de l’Italien au Français. Ce centre créé par le «Maréchal» était fait pour les ouvriers qui, recevaient une bonne formation. Les études théoriques et pratiques étaient payées par le «patron» qui vous prenait en charge pendant deux années sous contrat. La troisième année avant le CAP s’effectuait dans son usine, c’était pour l’époque le meilleur moyen d’apprendre un métier. Nous recevions un bon enseignement qui nous permettait d’être rapidement des compagnons.

 

Le CAP ajusteur en 1946 fit de moi un jeune compagnon. L’ajusteur était et doit être encore, bien que tout ait changé, il n’y a presque plus d’ouvriers, le métier qui mettait en forme ce qui venait des machines, celui qui ajustait et terminait le montage de la machine, de l’outil ou du montage, et qui le faisait fonctionner.

 

Le midi certains mangeaient comme moi à la gamelle, mais pour d’autres, c’était le café. Des tables en fonte recouvertes d’une plaque de marbre blanc avec quatre chaises, constituaient une petite la salle de restaurant à droite du comptoir, au sol carrelé, c’était vite nettoyé. Pas le temps de perdre son temps, c’était la course. Le serveur, un maître, il retenait toutes les demandes de plusieurs tables. Circulant entres-elles de la cuisine à la salle du restaurant, une course épuisante entre les apéros, l’œuf mayonnaise, la sole meunière, et les pommes en l’air il n’avait pas le temps de souffler. Un moment de détente qui coupait la journée. Il faut y avoir été pour se rendre compte de l’ambiance, pas d’étiquette, du bruit, de la fumée, et des bleus de travail pas toujours très propres. Une heure pour se laver les mains et pointer avec le trajet, il fallait faire vite, les places étaient réservées. Des habitués principalement dont le serveur connaissait les habitudes. Ouvert tous les jours de la semaine même le samedi, mais fermé le dimanche, le café s’il n’existait pas, il faudrait l’inventer.

 

Mais le café n’était pas que cela, c’était aussi un lieu de propagation des nouvelles, et d’actualité. Tout le monde pouvait s’exprimer et même se disputer. Lieux de culture aussi les cafés ont été pris par les philosophes et sont devenus pour certains célèbres comme le café de Flore ou Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir tenaient table. Un phénomène qui n’est pas lié qu’à la France au 19ème siècle, déjà dans la Vienne de Freud, les aristocrates délaissaient les salons pour les cafés favorisants ainsi les artistes et les écrivains.

 

Mais pour nous, le café restera à jamais celui des ouvriers par ce que c’est là que l’on vivait.