Le bouclier fiscal était déjà à la Une de Plume de presse le 17 mars, à la suite de la consternante sortie du ministre du Budget, ce bon ultralibéral d’Eric Woerth, qui le qualifiait de "mesure de justice fiscale, tout simplement". Il fallait oser justifier ainsi qu’on reverse par exemple l’équivalent de 30 années de Smic à des contribuables possédant un patrimoine de plus de 15,5 millions d’euros en invoquant la justice, fût-elle fiscale. C’est sa manie en matière de langue de bois, Woerth ajoute un mot pour noyer le poisson. On se souvient par exemple, lorsque le gouvernement refusait encore d’admettre que la France était entrée dans la crise, malgré le diagnostic de la récession économique posé sans contestation par les chiffres de croissance négative, avouer une "récession technique"… Même procédé pour le bouclier de la discorde : s’il est à l’évidence immoral et injuste, il est pour Woerth fiscalement juste. "Il est logique que, dans l’impôt, il y ait un plafonnement", ajoute-t-il. Voilà autre chose : après la justice, voici la logique appelée en renfort. Logique d’après quoi ? Peut-on aussi affirmer : "Il est logique que, dans les revenus, il y ait un plafonnement" ? Ah non, pas là ? Mais pour les impôts oui ? Mais quelle est cette logique ? Bref, Woeth amuse la galerie avec ces explications foireuses inexactes. La droite au pouvoir possède-t-elle d’autres arguments plus convaincants pour interdire qu’on touche à son saint-bouclier ? Faisons-en le tour.

picsouD’abord l’impôt serait confiscatoire dès lors qu’il dépasse 50% de ses revenus. L’idée semble de bon sens dans l’absolu et appuie sur un vieux fond de poujadisme : "regardez, au secours, on me vole plus de la moitié de ce que je gagne !" Sauf que le problème est déplacé en l’abordant sous l’angle d’un pourcentage. Si l’on considère plutôt le montant, de combien a besoin quelqu’un qui gagne par exemple 200 millions d’euros par an – ne cherchez pas ailleurs, ce sont les vrais plus grands bénéficiaires du bouclier ? Sur quel poste de son budget devrait-il consentir de douloureux sacrifices si on ne lui laissait que 20 millions, mettons ? Devrait-il renoncer à se nourrir correctement, à cause de la hausse des denrées alimentaires, légumes, fruits, viandes, poissons, pâtes et pain compris ? Non, il aura toujours beaucoup plus que largement assez pour s’offrir le meilleur du bio et du raffinement gastronomique. Quoi alors ? Avec ses maigres 20 millions, risquerait-il de ne plus pouvoir payer son loyer ou les charges de son domicile et de basculer parmi les mal-logés, voire les SDF ? Pas plus. Il pourra toujours, à ce prix-là, financer en plus de la propriété le court de tennis privé et la piscine à bulles qui va bien. Sera-t-il alors privé de vacances, comme ces millions de Français qui ne partent plus, faute de boucler les fins de mois ? Plaisanterie : les cinq étoiles du bout du monde lui seront toujours promis pour assouvir ses désirs de farniente. La question qui se pose donc est : que confisque-t-on au juste à notre victime fiscale ? La rémunération méritée de son labeur ou l’obscène augmentation de l’écart à l’intérieur de l’échelle des revenus – de 1 à 300 ? Elle a créé une caste de princes régnant sur la multitude de leurs concitoyens (plus cons que citoyens d’ailleurs, de se laisser faire !), une infime minorité pour une légion de serviteurs – voire d’esclaves – économiques. Parce qu’il y en a un paquet, des gens qui ne peuvent plus acheter tous les jours de la nourriture saine à leur famille, qui sont dans la rue, ou mal logés, ou se saignent aux quatre veines pour payer leur logement, pour qui l’idée de vacances relève de l’utopie. Huit millions de pauvres en France, comptabilise l’Insee. Mais pour aider ceux-là, l’Etat n’a pas d’argent ! Alors comment justifier que le demi-milliard d’euros remboursé avec zèle aux protégés du bouclier fiscal ne soit pas à la place affecté à ceux qui en ont en vraiment besoin ? Quelle philosophie adopter pour parvenir à trouver normal que les inégalités se creusent toujours davantage entre ceux qui n’ont rien – le peuple – et ses élites économiques qui vivent comme des rois ? Au nom de quel humanisme est-ce légitime que certains gagnent en quelques mois des sommes qu’un Smicard ne parviendrait pas à approcher durant sa vie entière, usée à travailler plus pour gagner plus ? A l’argument qui dénonce le caractère confiscatoire de l’impôt, la réponse est donc simple : au lieu de regarder combien on prend, voyons combien il reste et on en reparle ensuite !

fvDeuxième argument que la droite imagine massue, le bouclier fiscal profiterait (aussi) à des foyers modestes. Sur la base de certains chiffres de 2007 portant sur l’exercice 2006 (avec un bouclier égal alors à 60%), soigneusement sélectionnés, on claironne en Une au Figaro : Le bouclier fiscal profite à des foyers très modestes. Et l’innénarrable Frédéric Lefebvre, toujours présent en tant que porte-parole de l’UMP pour dire une sarkonnerie, de surenchérir en attaquant la gauche, qui "a prétendu que ce dispositif était pour les riches", et "doit reconnaître publiquement son erreur". Sauf que pas du tout, évidemment. La manipulation des chiffres était démontée dans notre billet finement titré Le doigt dans l’oeil jusqu’à Lagarde : "les trois quarts des bénéficiaires (74%) ont un revenu fiscal annuel inférieur à 3 750 euros", annonce le quotidien, oubliant de préciser que 234 millions sur les 241 qui ont été reversés sont revenus aux 38% des bénéficiaires les plus fortunés, ceux dont Le Figaro et Lefebvre parle se partageant les miettes. Confirmation officielle : le bilan intégré au rapport d’information sur l’application des lois fiscales concernant le premier trimestre 2008, que l’on doit au rapporteur général de la commission des finances à l’Assemblée, l’UMPiste Gilles Carrez, établit que 91% des montants sont reversés aux patrimoines vdsupérieurs à 3,7 millions d’euros. Voilà pour l’imposture d’un bouclier fiscal qui ne soit pas un cadeau aux riches, ce que le pouvoir s’agace d’entendre répété mais qui n’en reste pas moins la stricte vérité. "Le bouclier, c’est juste un moyen d’augmenter sans effort et sans mérite la fortune de ceux qui sont déjà les plus riches", résume avec justesse Vincent Drezet, Secrétaire national du Syndicat national unifié des impôts.

Si l’on parvient toutefois, chiffres en mains, à ce que la droite admette qu’il s’agit bien d’un présent accordé à nos nantis, elle ne désarme pas pour autant et sort alors une nouvelle batterie d’arguments pour le revendiquer. Elle prétend ainsi que l’argent restitué aux riches est réinjecté dans l’économie et alimente la hausse de la consommation et donc, in fine, le lhnfameux pouvoir d’achat des Français. Faux ! "Augmenter les plus hauts revenus est devenu contre-productif d’un point de vue macro-économique, expose sur l’Obs.com Liêm Hoang Ngoc, secrétaire adjoint à l’Economie du PS. Les grosses fortunes épargnent une grande part de leurs revenus. Notre économie souffre d’un excès d’épargne et donc d’une insuffisance de dépenses dans l’économie réelle. Le taux d’investissement dans l’économie réelle baisse depuis 2001. La consommation des classes moyennes et modestes subit la crise du pouvoir d’achat. D’où une croissance chroniquement molle, avant même la crise financière. Les hauts revenus ont par ailleurs alimenté la bulle immobilière qui a entretenu la crise du logement." En clair, lorsqu’on augmente les revenus des riches, ils ne consomment pas plus – ils sont déjà au taquet en ce qui concerne le niveau de vie – mais placent et alimentent la spéculation financière, responsable de la crise, rappelons-le !

Dernière tentative de justifier le bouclier antisocial, l’épouvantail des expatriations fiscales. "On peut désormais rester en France avec des prélèvements supportables", se réjouit la ministre de l’Economie, Christine Lagarde, annonçant que les expatriations fiscales ont diminué de 15% en 2007, alors que le nombre de retours d’expatriés fiscaux s’est accru de 9%, chiffres de Bercy aussitôt repris par – on vous le donne en mille – Frédéric Lefebvre. L’ennui, explique Le Monde, c’est que ces statistiques s’appuient sur un très faible nombre de personnes : "719 contribuables redevables de l’impôt sur la fortune (ISF) étaient partis à l’étranger en 2007, contre 843 en 2006 ; 246 expatriés fiscaux sont revenus en France en 2007 quand 226 étaient rentrés en 2006. Difficile, donc, de quantifier l’impact du dispositif. Et si les chiffres se sont améliorés par rapport à 2006, ils restent moins bons qu’en eh2005, avant même la création d’un quelconque dispositif. Cette année là, 649 contribuables assujettis à l’ISF s’étaient installés à l’étranger." Eric Heyer, directeur adjoint au département analyse et prévision à l’Observatoire français des conjonctures économiques interrogé par l’Obs.com, va plus loin : "est-ce que de faire passer le bouclier fiscal à 50% des revenus a permis le retour des grandes fortunes ? La réponse est non car il existe des paradis fiscaux. Nous nous trouvons dans une période de crise où il est moins efficace de faire des cadeaux aux riches que de faire des cadeaux aux pauvres. Il faut privilégier le pouvoir d’achat des pauvres." Même le député UMPiste Philippe Marini l’admet, contredisant Lagarde : "Il est possible que le dispositif ait eu un impact sur les expatriations fiscales, mais ce n’est pas certain : les échantillons sont trop petits et l’angle de vue des services fiscaux est très mince". On voit bien que ce problème des expatriations fiscales est largement surévalué par la droite et que sa solution pour y remédier est illusoire : même avec le bouclier, la France ne s’alignera jamais sur le régime suisse ou monégasque, ce qu’il faudrait faire si on voulait vraiment empêcher les riches de partir ! Mais que pèsent au fond ces dmexpatriations, agitées comme un spectre par la droite ? "Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) a évalué à 17,6 millions la perte de produit d’impôt sur la fortune (ISF) liée aux départs de contribuables alors que le bouclier fiscal, censé éviter des exils fiscaux, coûte 458 millions. Où est l’efficacité ?", répond dans Le Monde Didier Migaud, le président socialiste de la commission des finances de l’Assemblée. Démonstration lumineuse.

Le bouclier fiscal n’est donc finalement qu’une mesure idéologique, emblématique de la droite ultralibérale qui nous gouverne : rich is beautiful, vive les riches et fuck la solidarité ! Nicolas Sarkozy, qui refuse catégoriquement qu’on le remette en cause, n’est pas à une contradiction près : il explique son rejet de l’augmentation du Smic par le fait qu’il n’est perçu "que par 17% des salariés" et qu’il ne veut pas laisser "de côté 83% des salariés". Mais dans le même temps, il fait d’un dispositif qui a concerné en 2007 15 000 personnes, soit moins de 0,04% des contribuables français, la pierre angulaire de sa politique. Pire, les grands gagnants du dispositif sont les 834 veinards qui ont touché chacun un chèque de 368 000 euros. Combien de Français sont-ils laissés de côté ?