La vie de la mort : jamais l’une sans l’autre …

La mort a toujours eu une place prépondérante dans nos vies, rituels, modes de vie, philosophie, certains allant jusqu’à la vénérer et d’autres la craignant plus que tout au monde.

Quelles que soient les visions que nous en ayons, elle est non seulement indissociable de la vie, de nos vies, mais en plus elle l’est de manière intellectuelle. Cette même mort qui nous fascine et aussi nous révulse, fait partie intrinsèque de nous. Pourtant, loin de la voir comme partie de la vie, nous la voyons souvent comme extérieure à la vie, comme si elle n’en faisait pas partie. Nous tentons de la dissocier de nous, de l’oublier, de l’effacer, comme de peur que le fait d’y croire la rend plus dangereuse, alors que pourtant, c’est peut-être dés l’instant où justement nous tentons de l’effacer qu’elle en devient bien plus effrayante. Je me propose, par cet essai, de vous expliquer en quoi la mort est la vie, ou plutôt, en quoi sans la mort nous ne saurions vivre ou exister, et que c’est peut-être la vie qui fait partie de la mort et dépend plus de la mort, que la mort ne dépend de la vie. Cet essai, dans cette idée, va contre l’idée que l’on a socialement de la mort, de ce qu’elle est, mais surtout, elle a le mérite d’essayer de recadrer les choses dans leur contexte original. Rendons à la mort la place qui lui est due, aux côtés de la vie, comme faisant partie de la vie, comme étant la vie même. Nous avons souvent une idée morbide de la mort, car nous n’attachons à elle que notre regard aveuglé par la crainte de notre propre mort. Et pourtant, celui qui sait y regarder, saura apprécier la mort tout autant que la vie, y compris l’idée de sa propre mort, ce tant que ce n’est pas dans un fatalisme absurde. La mort est inévitable, il faut apprendre tout le long de la vie à se préparer à la vivre avec le même plaisir que nous a procuré la vie, d’autant, et cela est primordial à mon sens, que la mort est un événement unique, qui ne se vit qu’une seule fois et qui ne peut se répéter. Rater sa mort, c’est rater toute sa vie l’instant d’un soupir. Par ailleurs, croire que vivre la mort est un instant terrifiant ne peut s’affirmer, pas même sur l’observation de ceux qui meurent, car on ne peut se fier concrètement à cela par le contexte socio éducatif que nous donnons à l’idée de la mort, d’autant qu’il faut savoir que le cerveau délivre à l’instant de la mort une substance d’endorphines puissantes qui met le mourant dans un moment de plaisir et d’oubli. Nous ne savons rien de ce qu’est l’acte de mourir en lui-même, nous sommes complètement ignorants en la matière, et parfois ce n’est pas le fait de mourir qui nous effraye le plus, mais sans doute l’idée de l’inconnu qui entoure cet état de fait. Et pourtant, à bien y réfléchir, mourir est une expérience fabuleuse qu’il nous est donné de vivre qu’une fois seulement, dans un laps de temps infime. Surtout quand on s’aperçoit qu’il faut toute une vie pour un instant aussi court de vie, car il s’agit bien d’un instant de vie intense que celui du moment de la mort. Quand toute une vie nous est offerte pour nous enseigner et nous permettre de réparer et de ne pas répéter certaines erreurs, une seule vie nous est donné pour vivre un instant qui ne répétera jamais et qui doit être abordé avec le plus de sérénité possible. Le mot "mort" ne doit pas être perçu comme nous le percevons dans nos éducations, ce n’est pas la fatalité inaltérable de la mort qui effraye le plus, souvent ce n’est que le mot « mort » en lui-même et tout ce dont nous l’entourons de manière totalement hypothétique, il y à autant de formes de mort que de vie. Notre éducation, toute notre culture est basée sur la crainte plus encore du mot "mort" que l’acte de mort lui-même. Notre société est basé sur des archétypes et des stéréotypes absurdes et illogiques, nous stérilisons tout, nous stérilisons le morceau de viande qui est dans notre assiette, nous lavons à l’eau de javel morale et intellectuelle l’idée de la mort même. "Ne parlez point de ce sentiment, de cet état que j’abhorre, la mort n’existe pas, elle n’est que l’illusion de contes de contes pour enfants pas sages…" . Cela est ce que nous tentons de faire, cela est ce que nous enseignons et le message subliminal que nous véhiculons les uns et les autres, et cela est ce qui fait que parfois nous sommes déjà morts intérieurement avant même d’arriver à cette phase de la vie… la réelle confrontation à la mort est ce qui permet de sublimer la vie, sans cela la vie n’a plus aucun sens. Nier cela c’est se nier soi-même et toute l’évolution humaine. Nier cela c’est accepter l’auto destruction massive de toute l’humanité par l’oubli de ce que l’on est véritablement, c’est-à-dire l’aspect éphémère et évanescent de nos êtres. Accepter l’idée de la mort, c’est accepter l’idée de la vie. La nier, c’est nier la vie, car, et cela aussi est une notion vitale et primordiale de la vie, la mort n’est pas quelque chose d’extérieur à la vie, la mort est la partie la plus intime de la vie. Tout comme la vie est la partie la plus intime de la mort, tous deux sont comme deux amants éternels qui ne se quittent pas et s’aiment pour l’éternité. Que nous le voulions ou non, vivre c’est, vivre pour mourir. Que nous le voulions ou non, la vie est la lente agonie de nos corps. Une notion trop oublié et occulté par tous, est que l’on commence à mourir dés lors que l’on commence à exister dans l’utérus, et être procrée est le premier pas vers la mort. Naître n’est pas seulement commencer de vivre, c’est aussi commencer de mourir. Et n’est-ce pas là, la plus belle expérience qu’il nous est donné de goûter ? Si la vie pour bon nombre de nos concitoyens et de nos semblables est devenue ennuyeuse, pesante, si l’on se sent parfois perdu, en recherche permanente, c’est aussi parce que la notion de mort est devenue si perdue en nous, si occulté, que la vie n’est plus aussi objective que ce qu’elle était. Avoir peur de la mort est le premier pas vers le courage, la craindre est le premier pas vers la lâcheté de soi et de sa propre vie. Celui qui comprend et saisi la mort en lui, sait que tout devient permis pour lui-même dans sa propre vie, tout en conservant l’éthique et le respect profond de ce qui est vivant. Car justement, celui qui a une vraie notion de la mort, saisi la vie dans l’aspect le plus magnifique, mais aussi dramatique, de ce qu’elle est. Il faut avoir tué de ses propres mains un animal pour savoir quel goût à réellement la viande que l’on mangera par la suite. Nous sommes des sociétés absurdes, nous nous terrifions tous les jours de l’idée de la mort. Paradoxe extraordinaire pour une espèce animale qui se nourrit de cadavres, car l’animal, la viande que l’on mange de la vache, est le cadavre mort de cette même vache. Cela est quelque chose de fascinant aussi, c’est cette même mort qui nous maintien en vie, idem pour le légume que l’on mange, organisme vivant que l’on tue en l’ingérant et c’est une partie morte que l’on digère et nous permet de survivre. Sans la mort nous n’existerions pas, et sans la vie nous ne serions pas. C’est cela la perfection de la vie et de l’univers tout entier. La corrélation qui existe entre ces deux faits est ce qui rend justement tout parfait. L’une se nourrit de l’autre, et la vie donne à la mort les moyens de nourrir la vie et vice versa, la vie est l’humus de la mort et la mort le terreau de la vie. Sans même parler du fait de nos alimentations, regardons la nature. Les feuilles mortes, les arbres, les animaux morts nourrissent le sol, qui lui-même nourrit les plantes vivantes, l’herbe, et ainsi de suite, dans un long cycle essentiel à la survie de la vie et de l’existence. Cette mort là, cette forme de mort contribue au miracle de la vie. Bien entendu, la mort n’en reste pas moins un moment douloureux à accepter, d’autant que non contents de l’avoir stérilisée, nous avons rendu la mort encore plus terrifiante par nos actes guerriers par exemple. Tout cela contribue à nous éloigner d’elle et de l’importance qu’elle a sur nos vies. Et pourtant, malgré cela, malgré la gratuité de mort dont nous sommes capables, il nous faut apprendre à la prendre avec sérénité, non pas comme une ennemie de la vie, de nos vies, mais comme une allié indispensable au bon déroulement de nos existences. Sans elle, nos vies n’auraient aucun sens.