Entre l’Ukraine et la Moldavie se trouve une bande de territoire à la situation géopolitique relativement compliquée : la Transnistrie, région de Moldavie autoproclamée autonome et qui défend cet état de fait grâce à l’appui de l’Arme Russe. La situation sociolinguistique de cette zone n’en demeure pas moins tout aussi complexe : trois langues officielles, le russe, le moldave et l’ukrainien, au statut juridiquement égal… juridiquement seulement, car dans les faits les langues Slaves (et surtout le russe), parlées par 63.2% de la population, sont fortement favorisées tandis que le moldave (31.8%), qui est la langue officielle de la Moldavie, reste stigmatisé.

 1) Rappels historiques. Cette situation s’explique par une suite d’annexions et de reconquêtes historiques d’une zone originellement peuplée de Roumains et d’Ukrainiens. Occupée par la Russie dès 1892, la région actuelle de la Transnistrie devient un satellite de l’URSS en 1924, quand le Kremlin y instaure la République Autonome Socialiste Soviétique de Moldavie (RASSM), rattachée en 1940 à la République Socialiste Soviétique de Moldavie (RSSM). En 1941 cependant, avec la rupture du pacte de non-agression entre Hitler et Staline, la Moldavie et la Transnistrie sont envahies, et occupée par les armées nazies (principalement les armées roumaine et allemande). À cette époque, la population de Transnistrie est majoritairement composée de Roumains (un peu plus de la moitié), d’Ukrainiens et de Russes. En 1944, la tendance se renverse, et les soviétiques occupent à nouveau la Transnistrie. Leur politique se place immédiatement en faveur de la population russo-ukrainienne. La Transnistrie bénéficie alors d’un statut à part par rapport à la Bessarabie (ancien nom de la Moldavie), et les moldaves y sont fortement dévalorisés, considérés comme des « primitifs ». La chute de l’URSS ne changera pas beaucoup la situation dans cette région, malgré les tentatives du gouvernement Moldave d’unifier le pays. En effet, en 1990, le Parlement déclare la primauté de la constitution moldave sur tout le territoire (y comprit à Transnistrie) et instaure du même coup le moldave comme langue officielle, ce qui n’est pas du tout du goût de la population russo-ukrainienne de Transnistrie, qui ne parlent pour la plupart que russe, ou bien russe et ukrainien, mais surement pas moldave, et qui craignent de perdre la protection de la Russie par une annexion de la Moldavie à la Roumanie. Cette situation enclenche en 1992 une guerre civile entre les armées moldave et russophone, qui, grâce au soutient de la 14e armée russe stationnant sur le territoire, a permis d’instaurer la nouvelle république sécessionniste de Transnistrie, dirigée par un pouvoir autoritaire nationaliste (ou plus exactement pour l’indépendance officielle de la Transnistrie, ou son rattachement à la Russie), anti-moldave et xénophobe.  2) La politique linguistique de la République moldave de Transnistrie.             La politique linguistique de Transnistrie est tout à fait en contradiction avec la réalité effective. Elle est, dans les formes, fortement plurilingue et revendique que « chacun à le droit d’employer sa langue maternelle et de choisir sa langue de communication » (Art. 43 de la Constitution locale. 24 décembre 1995), ainsi que nombres autres déclarations officielles du même tenant, visant, si l’on ne se réfère qu’à elles, à protéger le plurilinguisme Transnistrien. L’instauration de trois langues officielles, le russe, l’ukrainien et le moldave, tend à conforter cette idée. Et on pourrait même s’imaginer que ces trois langues bénéficient du même statut et d’un emploi identique aussi bien des les médias, l’éducation et l’administration.  3) Le rapport diglossique des langues             La réalité est en effet tout autre et on constate que de facto, le russe, langue des dirigeants, est fortement favorisé voire même complètement imposé. Bien sûr, il n’existe aucune loi stipulant expressément que tous les Transnistriens se doivent de parler russe, l’enseignement du moldave et de l’ukrainien est loin d’être interdit (même s’il n’est pas favorisé et accepté seulement sous certaines conditions – comme l’interdiction d’utiliser l’alphabet latin qui est pourtant l’alphabet en usage habituellement pour la langue moldave), et il existe même quelques émission de télévision et quelques panneaux de signalisation qui ne soient pas en russe, et pourtant… pourtant le russe reste la langue principale du pays et surtout la seule langue utilisée dans l’administration, au grand désavantage des moldaves qui ne le possèdent pour la plupart pas. Il est permis de choisir la langue avec laquelle on souhaite s’exprimer, certes, mais c’est aussi choisir de se trouver exclu de la vie politique et publique de Transnistrie.  4) Enjeux actuels Les enjeux qui touchent la Transnistrie actuellement et depuis une dizaine d’année sont divers mais ont tous pour origine la situation politique ou sociolinguistique de la zone.  Tout d’abord, un écart se creuse entre moldaves et russophones : tandis que les uns sont discriminés et les autres valorisés en Transnistrie, l’effet inverse se produit lorsqu’on considère la tendance extérieure, qui serait de victimiser (et donc de prendre en pitié) les moldaves pour culpabiliser les russophones. Le conflit entre russophones et moldave n’est pas virulent au sens propre du terme en Transnistrie : les moldaves, minoritaires, auraient trop à perdre à s’attirer ouvertement les foudres des autorités, cependant ils restent considérablement stigmatisés par les russophones, qui eux-mêmes sont très mal considérés par les moldave de Transnistrie, comme le laisse entendre le constat de fonctionnaires russes qui auraient découvert ce qu’on enseignait aux enfants moldaves dans six écoles de Transnistrie : « haïr les russes ». L’autre enjeu évidant de cette enclave russe autoproclamée autonome, est celui de l’emploi et de l’avenir des jeunes moldave ou russophones du pays. Les moldaves, d’une part, n’ayant pas pu accéder à un apprentissage complet de la langue officielle du pays (Moldavie), ne sont pas en mesure d’accéder à des études supérieures de qualité dans leur langue maternelle : les universités moldaves de Transnistrie n’étant de loin pas aussi compétentes que celle de la Moldavie, auxquelles ils ne peuvent accéder à cause de leurs carences linguistiques. D’autre part, les perspectives d’emplois en Transnistrie sont limitées : les jeunes russes partent vers la Russie et Moscou pour trouver du travail, ce qui entraine une baisse démographique dans cette zone déjà relativement peu peuplée qu’est la Transnistrie. Cela pourrait-il augurer un rééquilibrage linguistique ? La situation de Transnistrie demeure en tout cas dans l’impasse depuis de nombreuses années.