La saga des Doubl’Ô – (6/7)

L’Autorité des Marchés Financiers

L’arrêt n° 740 rendu le 24 juin 2008 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation concluait que la simple remise au souscripteur des notices visées par l’AMF était insuffisante pour prouver que les devoirs dévolus au banquier avaient bien été satisfaits, qu’il s’agisse du devoir d’information (c’est à dire d‘explication des mécanismes intimes des produits, de leurs inconvénients aussi bien que de leurs avantages, conduisant à un consentement éclairé) ou du devoir de conseil (c’est à dire une attitude responsable s’interdisant de démarcher un client pour un produit qui ne correspond pas à son profil, voire même à le mettre en garde en l’incitant à renoncer s’il prenait l’initiative de s’y intéresser).

Un arrêt qui faisait écho, à l’avis exprimé le 5 juin de la même année (décidément horribilis) par la Commission ad’ hoc de l’AMF, lui donnant un saisissant relief. Avis par lequel la Commission infligeait des sanctions à l’encontre de plusieurs Caisses d’Épargne, dont la Caisse d’Épargne Île-de-France, pour avoir commis des manquements aux obligations pesant sur elles en leur qualité de prestataires de services d’investissement.

Les manquements incriminés étaient relatifs à « l’obligation d’évaluation préalable de la compétence et du profil des clients », et à « l’obligation d’information » à propos desquelles elle a considéré « qu’il appartenait aux salariés des Caisses de fournir une information claire, complète et adaptée aux souscripteurs » et précisé à cet égard « qu’il appartenait aux Caisses de prévenir [ces lacunes], notamment par l’octroi de formations spécifiques à leurs salariés ».

Le Collectif Lagardère vit dans cette décision un gage d’impartialité qui l’encouragea à conseiller à ses membres de renoncer à la médiation du Groupe Caisse d’Épargne au profit de celle de l’AMF.

Au fur et à mesure des réponses décevantes du premier, ou par suite de son silence persistant, les dossiers commencèrent d’affluer au 17 place de la Bourse ; le service en accusa réception en joignant la Charte qui régit ses interventions.

Cette charte précise notamment le déroulement de la mission :

« Les moyens nécessaires à l’exercice neutre, impartial et indépendant de la médiation sont inscrits au budget de l’Autorité des Marchés Financiers.

La procédure de médiation ne peut être mise en œuvre que si les deux parties acceptent d’y recourir.

La durée de la mission est, en principe, de trois mois à compter du moment où tous les éléments utiles ont été communiqués au médiateur par l’une et l’autre des parties.

L’instruction du dossier est contradictoire. Elle se fait par écrit, mais le médiateur peut, s’il le juge utile, recevoir chaque partie séparément ou ensemble.

Le médiateur et les parties sont tenus à la plus stricte confidentialité ».

Les semaines passant, certains plaignants s’inquiétèrent de l’absence de suites. Il leur fut répondu que le délai de trois mois ne commencerait réellement à courir que lorsque les Caisses d’Épargne auraient répondu aux demandes d’observations, permettant ainsi de considérer les dossiers comme complets.

Puis finalement, les conclusions arrivèrent. Elles indiquaient, pour la plupart, que les Caisses d’Épargne ne souhaitaient pas aller au-delà des propositions déjà faites et invitaient les plaignants à se mettre en relations avec le Responsable de la conformité des services de la Caisse d’Épargne afin de les concrétiser dans des protocoles d’accords transactionnels.

Avant de conclure que, dans le cas où lesdites propositions seraient considérées comme insuffisantes, ce désaccord marquerait la fin de la procédure de médiation et la clôture du dossier.

Si l’on considère le calendrier d’un plaignant-type, on peut dresser dans le meilleur des cas le tableau suivant :

Date

Évènement

T0 1 semaine

Réclamation auprès de l’agence Caisse d’Épargne

T0

Transmission du dossier au Service Relation Clientèle

T0 + 2 semaines

Saisine du médiateur du Groupe Caisse d’Épargne

T0 + 4 semaines

Accusé de réception du médiateur

T0 + 9 semaines

Rendez-vous agence : proposition orale (dérisoire)

T0 + 10 semaines

Réponse du médiateur du Groupe Caisse d’Épargne

T0 + 14 semaines

Saisine du médiateur de l’AMF

T0 + 25 semaines
(Journée de mobilisation nationale)

Rendez-vous agence : proposition (toujours orale, mais un peu moins dérisoire)

T0 + 36 semaines

Réponse du médiateur de l’AMF

Trente-six semaines ! Neuf mois : une sacrée gestation, pour en arriver à un aussi piètre résultat !…

Lorsque la remarque lui en est faite, le service de la médiation de l’AMF fait observer qu’elle a été saisie de nombreux dossiers et qu’elle a obtenu des résultats positifs pour beaucoup, la Caisse d’Épargne ayant accepté de se rendre aux arguments avancés et de revoir sa position, soit en passant d’un refus à une proposition soit en améliorant celle faite initialement.

Il n’est aucune raison de ne pas la croire sur parole, mais les plaignants auraient été curieux de savoir à quels arguments elle a cédé. Curieux, et pas plus, car de toute façon, la sacro-sainte confidentialité leur aurait interdit d’en faire état !

Le Service de la médiation ajoute que les recours, même malheureux dans leur résultat final, ne sauraient être vus comme une perte de temps dans la mesure où les délais de prescription de l’action civile et administrative sont suspendus pendant la durée de la médiation. Dont acte : les leçons de l’affaire « Bénéfic » ont donc été retenues, où nombre de victimes avaient été décapitées par la guillotine de cette prescription.

Avant d’estimer peu réaliste d’espérer que la voie judiciaire permette d’obtenir un dédommagement sensiblement supérieur aux intérêts qu’aurait produit le capital investi au taux du livret A pendant la durée du blocage des fonds. Un pronostic plutôt surprenant dans la mesure où les demandes, si elles se situaient bien au-delà de cet objectif minimaliste, n’allaient cependant pas jusqu’au doublement, mais se basaient plutôt sur le « taux sans risque » évoqué par les propres documents internes de la Caisse d’Épargne et indubitablement représentatif du profil sécuritaire de l’écrasante majorité de la clientèle.

Dans le langage courant, l’AMF est souvent qualifiée de « gendarme de la Bourse » ; c’est une expression imagée qui convient au rôle qui lui est dévolu, au regard des amendes parfois colossales qu’il lui arrive d’infliger (entre autres, le 5 juin 2008). Mais elle représente mal les pouvoirs réels du Service de la médiation tels qu’ils ont été rapportés plus haut, remarque qui ne préjuge en rien de sa bonne volonté.

L’affaire Doubl’Ô sera d’ailleurs longuement évoquée, encore qu’en termes voilés, dans son rapport 2008 :

« Le Service de la médiation a encore reçu, en 2008, de nombreuses réclamations concernant la commercialisation des OPCVM et plus particulièrement des fonds à formule, essentiellement par les réseaux bancaires.

Les souscripteurs indiquent encore trop souvent avoir investi dans des OPCVM sans avoir reçu le prospectus simplifié ni avoir été alertés sur les risques encourus. Ils exposent n’avoir pas été en mesure de prendre leur décision d’investissement en toute connaissance de cause et avoir souvent cédé aux sollicitations de leur conseiller.

Ce constat est encore plus frappant s’agissant des fonds à formule où l’instruction des dossiers fait apparaître que les souscripteurs en ignoraient la spécificité. A l’échéance, de nombreux épargnants découvrent que ce type de fonds leur a offert uniquement une garantie du capital, hors commission de souscription et que l’obtention d’une rémunération additionnelle à cette garantie dépendait de l’évolution d’un ou plusieurs indices ou d’un panier d’actions. La présence d’une garantie, ajoutée à une dénomination attractive, laissant supposer un fort rendement ou une formule gagnante à tous les coups, et une durée de placement conseillée, conduisent les souscripteurs de ces fonds à croire à l’assurance de gains à l‘échéance.

Au printemps 2008, la presse s’est fait l’écho de réclamations de clients d’un établissement bancaire portant sur des fonds à formule souscrits pour la plupart en 2001 et 2002. Le Service de la médiation avait été destinataire depuis avril 2006 de dossiers relatifs à ces fonds (consultations et demandes de médiation) dans lesquels les épargnants se plaignaient d’une commercialisation « abusive » de la part des conseillers tenant essentiellement en un discours exagérément optimiste, accompagné de documents publicitaires qualifiés de trompeurs. Certains mettaient également en cause l’économie même des produits, notamment le choix des valeurs du panier et leur gestion.

A côté des réclamations individuelles qui ont continué à lui être adressées, le Service de la médiation a été destinataire à la fin du mois de juillet 2008 de courriers ayant vocation à fédérer un grand nombre de dossiers particuliers et lui demandant d’aider les souscripteurs s’estimant lésés à obtenir une indemnisation, de préférence selon une procédure amiable. C’est ainsi qu’il a reçu plus de 300 demandes de médiation dont certaines sont encore en cours de traitement, ce qui rend tout bilan prématuré.

Toutefois, la parfaite coopération de l’établissement mis en cause est à souligner et démontre de la part des professionnels la prise de conscience des avantages d’une procédure amiable qui leur assure la confidentialité des échanges.

En matière de commercialisation de produits financiers, l’adoption par la chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 24 juin 2008, d’une analyse du devoir d’information des prestataires de services d’investissement mérite d’être signalée dans la mesure où elle risque d’influencer de manière importante l’issue des procédures judiciaires engagées ou susceptibles de l’être ainsi que les pratiques professionnelles.

La Cour de cassation y indique, au visa des articles 1147 du code civil et 33 alinéa 2 du règlement n° 8902 de la Commission des opérations de bourse, modifié par le règlement n° 9804 alors applicable que « la publicité délivrée par la personne qui propose à son client de souscrire des parts de fonds commun de placement doit être cohérente avec l’investissement proposé et mentionne le cas échéant les caractéristiques les moins favorables et les risques inhérents aux options qui peuvent être le corollaire des avantages énoncés ; que l’obligation d’information qui pèse sur ce professionnel ne peut être considérée comme remplie par la remise de la notice visée par la Commission des opérations de bourse lorsque la publicité ne répond pas à ces exigences ».

La Cour de cassation indique ainsi clairement que la publicité doit être cohérente avec l’investissement proposé et participe à l’information due aux investisseurs au même titre que le prospectus ».

Le Collectif Lagardère, comme nous le verrons dans le septième et dernier volet, partage pleinement l’analyse exposée dans ces deux derniers paragraphes.

On en retrouve encore la trace, toujours en termes voilés, dans le rapport 2009 :

« Le Service de la médiation a encore reçu, en 2009, de nombreuses réclamations concernant la commercialisation, essentiellement par les réseaux bancaires, d’OPCVM et plus particulièrement de fonds à formule.

Les souscripteurs indiquent avoir investi sans avoir reçu le prospectus simplifié ni avoir été alertés sur les risques encourus. Ils exposent n’avoir pas été en mesure de prendre leur décision d’investissement en toute connaissance de cause et avoir souvent cédé aux sollicitations de leur conseiller.

S’agissant des fonds à formule, l’instruction des dossiers démontre chez les investisseurs une ignorance totale de leur spécificité. Ils découvrent à l’échéance que ce type de fonds leur a offert uniquement une garantie du capital, hors commission de souscription, et que l’obtention d’une rémunération additionnelle à cette garantie dépendait de l’évolution d’un ou plusieurs indices ou d’un panier d’actions. Souvent, l’annonce d’une garantie, ajoutée à une dénomination attractive du fonds, leur a laissé croire à un fort rendement ou à une formule gagnante à tous les coups à la seule condition de respecter la durée de placement conseillée.

Ainsi, en 2009, le service a achevé l’instruction de 348 demandes relatives à un même fonds souscrit en 2001 et 2002 pour lequel les investisseurs se plaignaient d’une commercialisation abusive de la part des conseillers tenant essentiellement en un discours exagérément optimiste, accompagné de documents publicitaires qualifiés par eux de trompeurs. Certains mettaient également en cause l’économie même des produits, notamment le choix des valeurs du panier, voire leur gestion. Tous soulignaient l’absence d’information sur les risques de n’obtenir à l’échéance que le capital garanti hors frais de souscription, le doublement de ce capital leur ayant été présenté, tant à l’oral que dans les documents écrits, comme acquis.

Compte tenu du nombre de dossiers et du caractère collectif du litige, le Service de la médiation a organisé des réunions tant avec les responsables de l’établissement en cause qu’avec les coordonnateurs de la défense de certains épargnants.

Si les faits à l’origine du préjudice que les investisseurs estiment avoir subi présentaient de fortes similitudes, chaque dossier a fait l’objet d’un examen individualisé compte tenu des caractéristiques particulières de chacune des plaintes.

En cas d’indemnisation proposée et acceptée par le client, un protocole transactionnel a été systématiquement signé, cet accord mettant un terme définitif au litige en vertu de l’article 2052 du code civil selon lequel les transactions ont, entre les parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort ".

Parmi les 175 dossiers clôturés, 64 ont donné lieu à un refus de résolution amiable par l’établissement et 111 à une proposition de dédommagement, soit un taux de proposition amiable d’environ 64%.

L’analyse des dossiers a révélé :

·          un montant moyen investi de 24000 euros ;

·          des fonds venant de placements sécurisés (livret A, PEL, LEL, LEP…) mais également d’héritages et d’indemnités de licenciement ;

·          les objectifs d’investissement suivants : constitution d’un complément de ressources en vue de la retraite, financement d’études ou réalisation d’une acquisition immobilière à moyen terme.

L’indemnisation s’est faite généralement au regard de la performance qui aurait été obtenue par le biais d’une épargne sécurisée, en l’espèce le livret A ou le livret B (lorsque le livret A détenu par le client avait atteint son plafond).

Par ailleurs, des indemnisations supérieures à 100% du taux du livret A ont été obtenues pour des situations spécifiques (crédit in fine nanti en parts du fonds, souscription d’une indemnité de licenciement). »

Mais abandonnons le cadre de la seule médiation pour nous intéresser plus généralement aux activités de l’AMF. On peut lire dans sa brochure la vaste étendue de ses attributions : « aux termes de la loi, l’Autorité des Marchés Financiers a pour mission de veiller à la protection de l’épargne investie en produits financiers ; à l’information des investisseurs ; au bon fonctionnement des marchés » ; et, en termes de pouvoirs, elle « édicte des règles ; délivre des autorisations ; contrôle et surveille les marchés et les acteurs de marché ; sanctionne en cas de manquement ».

Bien au-delà de la simple répression, elle est donc parfaitement qualifiée en matière de prévention, en particulier lorsqu’elle valide préalablement les notices des produits que les prestataires de services d’investissement, nécessairement agréés par elle, ne pourront mettre sur le marché qu’adornés de son aval explicite.

Ce n’est donc pas sans une certaine surprise que l’on découvre a posteriori les nombreuses doléances des souscripteurs déçus par ces produits pourtant dûment estampillés. C’est avec la même surprise que l’on s’aperçoit que les mécanismes intimes qui sous-tendent certains de ces produits semblent échapper à sa vigilance, ainsi que nous l’avons signalé au troisième volet. En effet, les notices des produits de la famille Doubl’Ô sont rigoureusement muettes sur le mécanisme de « swap », qui n’est que furtivement évoqué, en page 1 : « Le Fonds utilise principalement des instruments financiers à terme négociés sur des marchés de gré à gré, notamment les techniques de swaps, de cessions et d’acquisitions temporaires de titres ».

Rien n’y est décrit, contrairement au document interne « Points clés pour vendre Doubl’Ô », quant à la répartition du placement des fonds collectés (pour mémoire, obligataire à 77% et sur actions du CAC 40 pour 23%). De deux choses l’une : ou bien ce sont des techniques de base, bien connues des professionnels et qu’il serait donc inutile de leur décrire (mais alors, comment accepter que ces produits soient considérés comme étant destinés à « tous souscripteurs » ?), ou bien il s’agit d’une ingénierie très particulière (mais alors, comment ne pas exiger qu’elle soit décrite dans tous ses détails et de manière intelligible au sein même de la notice ?).

Plus grave encore, rien n’y signale non plus que la seconde fraction est totalement éphémère et que les actions françaises seront instantanément « swappées » en des produits dérivés. Si la loi a assorti l’éligibilité au PEA de cette obligation, en contrepartie d’avantages fiscaux, on est en droit d’inférer que le législateur entendait ainsi favoriser l’investissement de l’épargne populaire au profit de l’économie réelle, celle des entreprises. D’autant que la seule exception jamais faite à cette règle intangible a été de l’élargir aux actions des entreprises ressortissantes des pays européens, non-discrimination communautaire obligeant …

On ne peut dès lors que s’étonner que le coup de bonneteau de tels « swaps » ne soit pas considéré pour ce qu’il est : une fraude manifeste, contre l’esprit de la loi. Mais légale, semblerait-il, puisqu’elle est tolérée par les instances compétentes. Et très largement pratiquée, tant par la Caisse d’Épargne que par les autres institutions bancaires, au demeurant.

Questions de simple curiosité, probablement aussi naïves que purement théoriques : si un particulier s’avisait d’acquérir de son propre chef des produits dérivés, pourrait-il les déposer impunément sur un PEA ? En aurait-il seulement la possibilité matérielle ?

Dans ces obscures conditions, n’est-on pas en droit de s’interroger sur la réalité de la « protection de l’épargne investie en produits financiers » et sur celle de « l’information des investisseurs » ?

Doit-on a contrario conclure de ces innombrables interrogations que les mécanismes mis en œuvre sont d’une telle « sophistication » que même des spécialistes appointés ne parviendraient pas à les décoder en temps utile ? S’il en était ainsi, quel crédit pourrait-on accorder à ces documents et à la pertinence de l’information qu’ils sont supposés dispenser à des souscripteurs potentiels, en vue de leur conférer un jugement éclairé ?

Mais à la lecture du bulletin mensuel n  362 de l’AMF (alors COB) paru en novembre 2001 [pour mémoire, c’est l’époque même du lancement du deuxième des six FCP de la famille Doubl’Ô auquel l’AMF vient donc tout juste d’accorder son visa], on comprend qu’il n’en est rien : la technique des « swaps » y est largement dissertée et en particulier les dangers potentiels qu’ils recèlent vis-à-vis du grand public :

« La déconnexion entre l’investissement de l’OPCVM et l’exposition de son actif à des risques différents, rendue possible par l’utilisation des contrats de gré à gré, a eu pour conséquence une désorientation du grand public [souligné par l’auteur] car le contenu de la notice est devenu de plus en plus technique au détriment de la clarté d’exposition [idem]. Il en résulte aujourd’hui des frustrations, et potentiellement des litiges, lorsque la performance s’avère dégradée par rapport à celle que laissait présager l’orientation des placements [idem] ».

Un commentaire aux allures ô combien prémonitoires !

Ou bien alors les contrôles qu’exerce l’AMF ne portent-ils que sur la forme ? Si tel devait être le cas, voilà qui tempèrerait sérieusement la confiance qu’elle est sensée insuffler au sein du grand public. Une hypothèse partiellement vérifié à la lecture du compte rendu fait de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 23 octobre 2001 dans le même bulletin (décidément fort édifiant …) :

« La Cour a tout d’abord rappelé, confirmant ainsi une jurisprudence constante, que lorsque la COB appose un visa sur les documents d’information destinés au public, elle exerce une prérogative de protection de l’épargne investie en valeurs mobilières qui n’implique aucune authentification des éléments comptables et financiers présentés ; elle attribue ce visa après examen de la pertinence et de la cohérence de l’information donnée », soulignant, pour démontrer la constance de la jurisprudence que : « Dans son arrêt du 7 juillet 1995, la Cour d’appel de Paris avait déjà considéré que " la COB, dépassant le simple contrôle formel de l’information, certifie qu’ont été vérifiées la pertinence et la cohérence de l’information […] ; qu’une telle vérification ne saurait valoir authentification des éléments comptables et financiers contenus dans la note d’information, qui n’engagent que les mandataires sociaux et les commissaires aux comptes des sociétés concernées ; que pas davantage le visa de la COB ne porte sur l’opportunité [de l’opération] " ».

Dont acte. Mais qu’on permette tout de même au grand public de s’interroger, a posteriori, sur ce que l’AMF considère « pertinent » et « cohérent » : ces qualificatifs ont ils bien le même sens pour l’AMF et pour lui ? …

Répression, prévention ; mais quid de la troisième facette des activités de l’AMF : l’investigation ?

Fin octobre 2008, la pressa relayait une information diffusée par une dépêche de l’AFP : on apprenait que l’Autorité des Marchés Financiers avait lancé une enquête sur les conditions de commercialisation des FCP de la famille Doubl’Ô. Une mise au point devait préciser qu’il ne s’agissait pas d’une « enquête », mais d’un « contrôle » ; simple coquetterie de langage ou volonté d’aligner le vocabulaire sur les termes de la loi régissant ses activités (« l’Autorité des Marchés Financiers … contrôle et surveille les marchés et les acteurs de marché », voir supra) ?

Ou bien encore, subtil distinguo entre une investigation dont les résultats auraient été rendu publics et un dialogue courtois dont les tenants et aboutissants demeureraient à jamais enfouis ? La suite tendrait à accréditer cette dernière interprétation : à ce jour, rien, absolument rien n’a filtré des conclusions, dans un sens ou dans l’autre, de ce contrôle. Une conception très singulière de la transparence.

Dans le même registre, le 18 mars 2009, le Collectif Lagardère écrivait à Monsieur Jean-Pierre Jouyet, récemment nommé Président de l’AMF :

« la seule action PFIZER a provoqué l’échec de la formule en chutant de justesse au dessous du seuil des 40% peu de temps avant la date de constatation du 21 juin 2006 pour repasser au dessus de ce seuil quelques jours plus tard. Le conflit d’intérêt entre la banque et les souscripteurs étant patent dans ce type de montage financier, il nous paraît légitime de s’interroger sur les mécanismes qui ont permis cette évolution providentielle au regard des intérêts de la Caisse d’Épargne. Un tel phénomène éveille les soupçons d’une manipulation de cours. Nous pensons donc qu’il s’impose d’analyser en détail la nature, l’origine et le volume des transactions durant cette courte période, analyse dont seule l’AMF a les moyens.

C’est pourquoi nous vous prions de bien vouloir nous confirmer que cette anomalie de l’action PFIZER, dont nous vous alertions dans notre lettre du 29 juillet 2008, a bien été notée et prise en considération par vos services. Le cas échéant, il nous serait également agréable de savoir si des investigations ont été entreprises par l’AMF pour tenter de répondre à ces interrogations ».

A la lecture de la réponse, parvenue le 7 avril, il éprouvait un goût amer en raison du sens très particulier de la transparence, aussi, dont elle attestait :

« … S’agissant de l’action PFIZER, je suis en mesure de vous indiquer que les services de surveillance des marchés ont procédé aux vérifications nécessaires. Toutefois, les procédures d’enquête et de contrôle étant confidentielles, aucune information ne peut vous être communiquée à ce titre ».

La tentation était grande d’établir un lien entre le fait que d’une part, Monsieur Jouyet venait tout juste de quitter le gouvernement et que d’autre part, l’affaire mettait en cause un établissement que d’aucuns avait baptisé « Sarkoland », et aux destinées duquel l’ancien secrétaire de la Présidence de la République allait prochainement présider ! Tentation renforcée par le silence, toujours de rigueur à ce jour, de Madame la ministre de l’Économie, des Finances et de l’Emploi.

Le Collectif sut se garder d’une déduction aussi hâtive que gratuite. Mais il lui prit une forte envie de soupirer, à l’instar de Madame Roland : « Confidentialité, que de crimes commet-on en ton nom ! ».

Cet épilogue sonnait pourtant le glas définitif et de ses illusions et de sa foi en la conciliation, à vrai dire déjà fort entamées par l’épisode judiciaire de janvier 2009. Et puisque la Caisse d’Épargne lui avait montré la voie, il prit à son tour la décision d’en appeler à la Justice.

C’est ce que relatera le septième et (provisoirement ?) dernier volet de cette saga.