La saga des Doubl’Ô – (5/7)

 

 

 

 

La médiation institutionnelle

Les dispositifs de médiation institutionnels sont le sujet de ce cinquième volet.

Lorsque les premières réclamations des Doubloïstes ont commencé d’affluer, les agences des Caisses d’Épargne se sont aimablement défaussées sur le Service Relation Client :

« … Votre demande concernant la performance du FCP Doubl’Ô [xx] exprimée dans votre lettre du [date] a bien été prise en compte.

Votre dossier a été immédiatement transmis au service concerné, pour étude … »

Ces réponses sont le plus souvent parvenues aux épargnants dans des délais brefs, a priori du meilleur augure. A posteriori, il ne faut sans doute pas voir dans cette célérité inespérée autre chose qu’une conséquence de la Directive européenne MIF (Marché des Instruments Financiers) dont la transcription en droit français est devenue effective depuis le 1er novembre 2007 (près d’un an auparavant) et qui dispose en particulier que les réclamations émanant de particuliers (non professionnels) doivent être dûment enregistrées et archivées et que leur destinataire doit veiller à une gestion rapide et argumentée.

Il faut dire que la Caisse d’Épargne est devenue d’autant plus prudente qu’elle a déjà été épinglée par la Commission ad’ hoc de l’AMF qui a infligé en date du 5 juin 2008 des sanctions à l’encontre de plusieurs Caisses d’Épargne, dont la Caisse d’Épargne Île-de-France, pour avoir commis des manquements aux obligations pesant sur elles en leur qualité de prestataires de services d’investissement.

Autre revers : l’arrêt n° 740 du 24 juin 2008 de la Chambre commerciale de la Cour de cassation qui déboute la Caisse d’Épargne Île-de-France au motif « … que la publicité délivrée par la personne qui propose à son client de souscrire des parts de fonds commun de placement doit être cohérente avec l’investissement proposé et mentionner le cas échéant les caractéristiques les moins favorables et les risques inhérents aux options qui peuvent être le corollaire des avantages énoncés ; que l’obligation d’information qui pèse sur ce professionnel ne peut être considérée comme remplie par la remise de la notice visée par la Commission des opérations de bourse lorsque la publicité ne répond pas à ces exigences … ».

Les suites données par le Service Relation Client sont diverses : le silence prolongé est le cas le plus courant. Plus rarement, il répond et dans ce cas, par des fins de non-recevoir, le plus souvent. Mais à l’occasion, il peut se vouloir ingénument pédagogique ; par exemple ici :

« Par courrier … vous souhaitez attirer mon attention sur votre mécontentement à propos de l’absence de rentabilité du fonds commun de placement Doubl’Ô Monde 2 … Vous demandez à ce titre un dédommagement pour compenser ce préjudice.

Je regrette sincèrement ces désagréments et déplore le contexte boursier qui a conduit à cette situation.

Compte tenu des très bonnes performances des marchés financiers en 2000, la commercialisation de ce FCP avait effectivement pour objectif de faire bénéficier les souscripteurs des avantages boursiers, sans prise de risque sur le capital, en cas de variation importante à la baisse du marché. »

Dès ce stade, cette réponse mérite quelques commentaires. En effet, les graphiques publiés dans le premier volet démontrent qu’en 2000, les indices boursiers évoluaient sur les sommets de leurs maximums historiques sous l’effet de la « bulle Internet ». Pourtant, dès 2001, son éclatement était amorcé, reflété par la chute des indices, qui avaient déjà très largement entamé leur descente aux enfers, historique elle aussi.

Pour choisir précisément cette période sensible, il fallait faire preuve d’un optimisme à tout crin pour faire miroiter des « avantages boursiers » ; optimisme que les conseillers traduisaient alors à leur manière : « au point où ils en sont, les marchés ne peuvent que remonter sur le long terme ; le doublement annoncé est donc une quasi-certitude ». Quant à l’éventualité dune « variation importante à la baisse du marché », elle n’était pas même envisagée dans leur discours, et encore moins dans les brochures commerciales sur lesquelles ils l’appuyaient.

La missive enchaîne :

« A la différence des Fonds Communs de Placement traditionnels … les Fonds à formule avec garantie de capital à l’échéance offrent la garantie de récupérer à l’échéance, l’intégralité du capital [merveilleuse tautologie], hors commission de souscription, et minoré des frais de gestion prélevés par l’assureur, lors d’un investissement dans le cadre d’un contrat d’assurance-vie [une sérieuse nuance donc, malgré tout, d’autant que ces frais de gestion sont aussi prélevés sous le nom de « droits de garde » pour d’autres modalités de souscription …].

La contrepartie de cette absence totale d’aléas consiste dans la perception d’un rendement complémentaire éventuel limité et partiellement dé corrélé des évolutions du marché en cas de croissance.

… cette performance complémentaire est déterminée grâce à l’application d’une formule construite à partir d’un panier de 12 actions diversifiées, sélectionnées à l’époque pour leur potentiel de croissance à moyen ou long terme (BP, Ford, Nestlé, Sanofi …).

Les douze actions du panier … ne représentent pas la partie physique du portefeuille [qui est] positionné sur un certain nombre d’instruments financiers … Il s’agit principalement des valeurs du CAC 40 sur lesquelles est positionné le Fonds … condition indispensable pour pouvoir faire bénéficier les souscripteurs des avantages fiscaux du PEA ».

Je sens poindre chez certains des lecteurs un pressant besoin d’acide acétylsalicylique, pour digérer ce pathos d’expert. Ils doivent se rendre à cette évidence, si peu évidente au commun des mortels : en langage de spécialiste, ne perdre ‘que’ des commissions et des frais de gestion se dit bénéficier d’une « absence totale d’aléas » ; tout ce qui pourrait vous revenir au-delà de votre mise de fonds se nomme un « rendement complémentaire» ; la performance annoncée n’y est qu’« éventuel[le] », « limité[e] » et « partiellement dé corrélé[e] des évolutions du marché en cas de croissance ». Tout sauf un « doublement en toute sérénité », en somme …

« En tout état de cause », poursuit l’auteur de ce chef d’œuvre, « je vous précise que le fait de connaître le détail des valeurs dans lesquelles est investi le fonds n’est pas un élément essentiel afin d’en déterminer la performance, comme c’est le cas des OPCVM traditionnels, puisque dans le cas de fonds à formule avec garantie du capital à l’échéance, la performance est partiellement dé corrélée des évolutions du marché ».

Pourquoi pas, après tout ? Mais pourquoi avoir présenté les produits de façon toute différente, à l’origine ? Et pourquoi avoir démarché de manière forcenée des épargnants tranquilles, dont le profil se situe aux antipodes des spéculations boursières ?

« Ceci étant, à la première date de constatation, le 8 mai 2006, une valeur avait franchi la barre des 40% par rapport à son cours d’origine (Ford Motor [dont on se souvient pourtant qu’elle était l’une de celles « sélectionnées à l’époque pour leur potentiel de croissance à moyen ou long terme » …]). Par conséquence (sic), la condition … pour obtenir une rémunération n’était plus remplie … [et] comme l’évolution du panier est à zéro, aucune rémunération ne pourra être dégagée.

La valeur liquidative de votre placement converge donc sur la période du fonds restant à courir, vers le montant de la part initiale du FCP, soit 150 euros, afin qu’à l’échéance, et grâce à la garantie du capital, vous soyez assuré de récupérer au minimum votre investissement initial, hors commission de souscription ».

Mais la cerise sur le gâteau reste à venir :

« Toutefois, afin de maintenir la qualité de vos relations commerciales avec votre agence, j’ai le plaisir de vous informer que la Caisse d’Épargne Île-de-France Paris a pris la décision de vous proposer une remise commerciale sur les droits d’entrée du FCP et les frais de gestion sur votre contrat Nuance 3 D, à hauteur de 1.000,00 euros ».

Autrement dit, en résumant : je soussigné Écureuil, déclare vous avoir activement démarché pour vous servir une loterie que vous n’aviez en rien demandé. Comme les règles en étaient particulières (« Pile je gagne ! Face tu perds »), le sort vous a été défavorable et vous voici comme la Cigale, dépourvu. Je n’y suis pour rien, bien au contraire : j’ai tout fait pour vous protéger. Pourtant, bon prince, je vais vous dédommager de quelques noisettes …

Étonnez-vous alors que notre souscripteur (honteux et confus, à l’instar du corbeau de la fable, mais toujours conciliant …) se tourne alors, comme les « Lagardère » le lui conseillent, vers la médiation.

Encore peu connue du grand public en France, cette démarche connaît un succès grandissant chez nos voisins européens. Elle consiste à réunir les parties, en présence d’un tiers neutre, dont le rôle est de favoriser l’établissement d’un vrai dialogue, de sorte qu’elles soient en mesure de convenir entre elles d’une solution équitable et durable, en faisant l’économie, au propre comme au figuré, d’un recours par voie de justice.

Le médiateur n’est pas un conciliateur, ni un négociateur, encore moins un arbitre : on peut résumer son rôle, schématiquement, en le décrivant comme un facilitateur ; il a reçu pour exercer cette mission neutre et confidentielle, rémunérée par les parties, une formation certifiante spécifique.

Mais celui du Groupe Caisse d’Épargne, Monsieur Alain Mansillon, tout comme ses confrères des autres institutions bancaires, ne fonctionne pas ainsi. Salarié par son employeur, il n’en est donc pas indépendant et joue, au mieux, comme le démontre l’expérience, un simple rôle de courroie de transmission qui focalise les demandes, les fait suivre et retransmet en retour les consignes qu’il reçoit, le cas échéant, de ses commanditaires.

On s’en convaincra par les quelques exemples suivants qui débutent par la formule

« A titre liminaire, je vous précise que la compétence du médiateur concerne les litiges portant sur les produits et services bancaires à l’exclusion des produits financiers dont les performances sont liées à l’évolution des marchés financiers. J’ai néanmoins examiné les éléments de votre dossier au titre d’un éventuel défaut de conseil ou d’information ».

Premier cas :

« Je constate que vous avez signé le bulletin d’adhésion au contrat d’assurance-vie Nuance 3 D par lequel vous reconnaissez avoir reçu un exemplaire des conditions générales valant note d’information, ainsi que les notices d’information du support et vous déclarez être pleinement conscient des fluctuations inhérentes aux marché financiers ».

Rappelons que lesdites « notices d’information du support » n’ont pas été remises aux souscripteurs ou alors postérieurement à leur souscription. Précisons aussi que ce courrier date de septembre 2008, c’est-à-dire près de trois mois après l’arrêt n° 740 du 24 juin 2008 de la Chambre commerciale de la Cour de cassation cité plus haut, en première page … Mais Monsieur le médiateur ne semble sensibilisé au fait « que l’obligation d’information qui pèse sur ce professionnel ne peut être considérée comme remplie par la remise de la notice visée par la Commission des opérations de bourse lorsque la publicité ne répond pas à ces exigences », ce qui est pourtant outrageusement le cas (voir fac similes dans le premier volet).

« Par ailleurs, vous ne rapportez aucune preuve tangible que ce n’est pas en toute connaissance de cause que vous avez procédé à cet investissement dans le but de rechercher des produits présentant certes un risque, mais susceptibles d’offrir un rendement supérieur à celui de l’épargne traditionnelle ».

Ce paragraphe doit se savourer avec tout le respect qui convient aux grands crus ; pour que la demande soit recevable, y lit-on en creux, la charge de la preuve devrait être renversée : ce n’est pas à la banque de démontrer qu’elle a satisfait à ses obligations ! Au passage, nous remarquerons que « le produit (Doubl’Ô Monde 2, en l’occurrence, compte tenu de la date de souscription, et non pas Doubl’Ô que le médiateur mentionne donc par erreur) présente certes un risque » ; c’est bien la première fois que ce terme, risque, apparaît en six ans sous la plume d’un représentant de la Caisse d’Épargne … On le chercherait en vain dans les brochures commerciales !

« Vous n’aviez de plus pas confié de mandat de gestion à la Caisse d’Épargne. Vous êtes donc responsable de vos choix d’investissement.

 En tout état de cause, le défaut d’information et de conseil que vous soulevez ne semble pas avéré.

Dans ces conditions, je suis au regret de ne pouvoir accéder à votre demande d’indemnisation telle que vous la formulez ».

Le défaut lui semblerait-il avéré, au demeurant, que le médiateur ne serait pas davantage en mesure d’accéder à la demande puisqu’il conclut :

« Je vous précise toutefois que mon avis ne s’impose pas aux parties ».

Un avis qui en l’espèce ne fait que transmettre les consignes reçues :

« La Caisse d’Épargne me fait cependant part de sa proposition commerciale. Je ne peux que vous inciter à l’accepter et à vous rapprocher de votre agence habituelle pour clore ce dossier sur un accord transactionnel car dorénavant la solution dépend de se seule responsabilité ».

Deuxième cas ; à la suite du titre liminaire :

« Je constate que vous avez signé le bulletin de souscription par lequel vous reconnaissez avoir pris connaissance de la notice d’information validée par l’Autorité des Marchés Financiers. Vous étiez donc informé des caractéristiques de ce placement et du caractère aléatoire du rendement lié à la performance du panier de valeurs boursières ». Il est vrai que le courrier est daté d’août 2008 et que l’arrêt n° 740 est encore tout frais …

Circonstance aggravante, sans doute :

« Cette souscription a été réalisée dans le cadre d’un plan d’épargne en actions (PEA) ouvert à cette occasion, et dont le libellé à lui seul est sans ambiguïté quant à son objet. ».

Puis vient le refrain :

« Par ailleurs, vous ne rapportez aucune preuve tangible, etc …, etc …».

Circonstance aggravante, encore, peut-être :

« Vous possédiez déjà des contrats d’assurance I8nitiative Transmission et cet investissement pouvait tout à fait s’inscrire dans une stratégie de diversification de votre patrimoine ».

Qui précède cet autre refrain :

« En tout état de cause, le défaut d’information et de conseil que vous soulevez ne semble pas avéré.

Dans ces conditions, je suis au regret de ne pouvoir accéder à votre demande d’indemnisation».

Avant de conclure :

« Je vous précise toutefois que mon avis ne s’impose pas aux parties. Aussi dans le cas où il ne vous satisferait pas [humour ! cynisme ?], il vous appartiendra [futur prémonitoire ? ou provocateur ? ou simplement inscrit en filigrane d’une insatisfaction très largement prévisible ?] de prendre les dispositions que vous jugerez opportunes ».

Troisième cas, mai 2008.

Introduction sobre, sans préliminaire :

« J’ai examiné votre dossier ».

Ton direct pour la suite, également :

« La composition de votre portefeuille au moment de la souscription du produit Doubl’Ô Monde et son évolution les années suivantes démontrent que vous êtes détentrice d’un Plan d’Épargne en Actions dont le libellé à lui seul est sans ambiguïté quant à son objet » (déjà Napoléon perçait sous Bonaparte).

« Par ailleurs, j’ai constaté que vous aviez signé et reconnu avoir reçu toutes les informations sur le produit qui fait l’objet du litige ».

Pour une fois, rien à dire : l’arrêt n° 740 ne sera rendu que plus d’un mois plus tard.

« Dans ces conditions, je ne vois pas comment vous pouvez accuser la Caisse d’Épargne d’un défaut de conseil ou d’une quelconque tromperie ».

On sent bien qu’il n’en faudrait guère plus pour contre-attaquer en diffamation.

Le verdict est en conséquence le même :

 « Je ne peux donc malheureusement pas accéder à votre demande ».

Pourtant :

« La Caisse d’Épargne, à titre tout à fait exceptionnel et pour tenir compte de la qualité des relations commerciales avec vous, propose une remise commerciale de 1000€. Je ne peux que vous conseiller de l’accepter ».

Aucun défaut de conseil ne pourra donc être retenu à l’encontre de Monsieur le médiateur !…

Puis vient le désormais traditionnel :

« Je vous précise toutefois que mon avis ne s’impose pas aux parties. Aussi dans le cas où il ne vous satisferait pas, il vous appartiendra de prendre les dispositions que vous jugerez opportunes ».

Quatrième cas, mars 2008 :

« Les performances n’étant pas à la hauteur des promesses, vous estimez avoir été victimes d’un défaut d’information voire d’une « tromperie ». Un document interne à la Caisse d’Épargne vous aurait été remis en lieu et place de la notice d’information réglementaire. Vous demandez le doublement du capital placé ».

On notera l’emploi du mot « promesses », sans qu’il soit assorti de guillemets ; on remarquera en revanche le conditionnel concernant le document interne. Notre souscripteur va-t-il être accusé de recel ? Fort heureusement pour lui, il n’en est rien :

« J’ai examiné votre dossier.

Je constate que le bulletin de souscription n’est pas conforme car il ne fait pas référence à la notice officielle validée par l’Autorité des Marchés Financiers. De plus, le document interne qui vous a été remis était destiné aux commerciaux et non à la clientèle, et ne mentionne pas de façon complète les mécanismes caractérisant ce produit ».

Pour notre part, nous estimons tout au contraire qu’il les mentionne fort bien et de manière fort pédagogique car il renvoie à cet autre document interne, « Points clés pour vendre Doubl’Ô ».

Nous l’avons commenté dans le troisième volet, car c’est le seul à expliquer la nature du portefeuille physique et le « swap » dont il est l’objet dès sa naissance. C’est en vain qu’on chercherait la trace de cette mécanique dans les notices officielles !

« C’est la raison pour laquelle, je considère que la responsabilité de la Caisse d’Épargne est engagée au titre d’un défaut de conseil et d’information ».

A lire des conclusions aussi catégoriques, on anticipe une terrible sanction !

Monsieur le médiateur s’empresse pourtant de les tempérer :

« Ceci étant, ce document interne faisant explicitement référence à la garantie d’un remboursement en capital (hors frais d’entrée) implique a contrario un risque potentiel en termes de performance » !

« Risque » : voici le gros mot de nouveau lâché. Mais à mauvais escient car pour mémoire, ce document interne est celui qui indique sue « 4057 simulations réalisées à partir des historiques de cours relevés entre janvier 1980 et février 1987 : dans 85,21% des cas, le client aurait obtenu au moins le doublement de son capital ; dans 94% des cas, le rendement aurait été supérieur au taux sans risque 6 ans (4,70% l’an au 24 juillet 2001) » (voir premier volet).

Le naturel revient vite au galop :

« De même, je note que ce placement s’est effectué dans le cadre d’un « plan d’épargne en actions » dont le seul nom est sans ambiguïté quant à son objet, et aux risques éventuels liés à un produit boursier. Enfin, ce plan ayant été transféré à la BNP dès novembre 2002, la Caisse d’Épargne n’avait plus de raison de vous tenir informés de l’évolution de ce produit ».

Échec ! Échec et mat !!!

On s’attend au pire après l’exposé de responsabilités ainsi partagées. Pourtant, la chute est cinglante :

« Il reste que le défaut de conseil initial doit être sanctionné. Dans ces conditions, je vous propose que la Caisse d’Épargne vous verse une rémunération au taux du livret B (votre livret A à l’époque de la souscription étant au plafond) pendant toute la période concernée, et vous rembourse les frais de souscription ».

Verdict sans appel, à ceci près que, naturellement

« Je vous précise toutefois que mon avis ne s’impose pas aux parties. Aussi dans le cas où il cette proposition ne serait pas acceptée [par la Caisse d’Épargne, donc] ou vous paraitrait insuffisante, il vous appartiendra de prendre les dispositions que vous jugerez opportunes ».

Cinquième cas, septembre 2008, encore ; réponse conforme au modèle, mais avec une variante :

« Il reste que la Caisse d’Épargne n’a pas été en mesure de me fournir la copie des différents bulletins de souscription et par là-même, me rapporter la preuve qu’elle avait bien satisfait à son obligation d’information en vous remettant à chacun les notices officielles validées par l’Autorité des Marchés Financiers ».

Nous sommes toujours en septembre et l’arrêt n° 740 n’est toujours pas sorti des oubliettes, alors même que le plaignant avait pris grand soin de rappeler son existence et son contenu dans la lettre de couverture de l’envoi de son dossier.

S’ensuit un jugement de Salomon :

« Dans ces conditions, je propose qu’elle vous verse une indemnité correspondant à 50 % des intérêts acquis au taux du livret B pendant la période considérée sur les capitaux placés hors droits d’entrée ».

Est-ce à dire qu’à ses yeux, un doute existe et que le doute doit bénéficier à l’accusé (en l’occurrence son employeur) ? Mais pourquoi 50% ? Au nom de l’adage : « Faute avouée à moitié pardonnée » ?

Une autre hypothèse est qu’il aurait tenu à mettre en exergue la magnanimité dudit employeur :

« La Caisse d’Épargne m’informe cependant qu’elle est disposée à vous verser une rémunération de vos capitaux au taux du Livret B plus le remboursement des frais d’entrée. Je ne peux donc que vous inciter à accepter et à vous rapprocher de votre agence habituelle pour clore ce dossier sur un accord transactionnel car dorénavant, la solution dépend de sa seule responsabilité ».

La proposition est bien entendu tempérée du désormais classique :

« Je vous précise toutefois que mon avis ne s’impose pas aux parties. Aussi dans le cas où cette proposition ne vous satisferait pas, il vous appartiendra de prendre les dispositions que vous jugerez opportunes ».

Un certain nombre de Doubloïstes (impossible à chiffrer, confidentialité des transactions oblige) acceptèrent, de guerre lasse, de suivre ces « conseils » désintéressés.

L’analyse en retour de ces courriers stéréotypés conduisait cependant à quelques constats patents. Passée la phase de mise au point et de rodage (jusqu’à l’été 2008), ils étaient construits comme des formulaires comportant

  • une partie commune : 1- déni de compétence, 2- examen du dossier malgré tout, 3- accusation de mauvaise foi (3a : « vous ne rapportez aucune preuve tangible … », 3b : « … le libellé même du PEA est sans ambiguïté quant à son objet … », 3c : absence de mandat de gestion), 4- précaution « … mon avis ne s’impose pas aux parties … »)
  • entrelardée d’une partie personnalisée : 1- références de l’envoi du dossier, 2- rappel (parfois biaisé) de la demande, 3- notification de la « décision » (3a : « … je ne peux accéder à votre demande … » ou 3b : « … J’ai proposé … » mais « … la Caisse d’Épargne vous offre mieux … » ; donc « … je vous incite à accepter … »).

Mais l’autre constante est que ces réponses ne font que dupliquer celles déjà exprimées par les agences, ou bien par leur inexistence pure et simple, ou bien par la réitération de propositions de dédommagements résolument minimalistes, mais pourtant présentés comme un mieux par rapport aux propres préconisations du médiateur.

Il est toutefois un cas très particulier qui mérite d’être signalé : celui d’un souscripteur membre du personnel de la Caisse d’Épargne. Monsieur le médiateur ajoute un paragraphe à son plan-type pour relever qu’il occupait, au moment de la souscription, une place de choix qui aurait dû lui permettre de tout savoir du placement litigieux. Et le voici soudain pris de sueurs froides : n’est-on pas en train de lui dire, en mots à peine couverts, qu’en cas de succès du FCP, il aurait encouru le délit d’initié ?…

Tant et si bien que le Collectif Lagardère décide de donner à ses membres le conseil de renoncer à cette étape stérile, dont il soupçonne qu’elle n’est en fait destinée qu’à gagner du temps, misant sur une éventuelle prescription. Il leur recommande, à la suite de son rendez-vous du 25 septembre 2008, d’emprunter la voie de l’ultime recours : celui de la médiation de l’Autorité des Marchés Financiers.

C’est cet épisode que nous examinerons dans le sixième volet, à suivre.