La nuit du Pharaon – Episode 15

 

J'ai passé plusieurs mois dans le petit village des ouvriers, près de la ville de Ptah. Ma convalescence dura quelques jours pendant lesquels je restais allongé à l'intérieur de la cabane de terre battue, dans l'angle le plus sombre qui procurait un peu de fraîcheur. Il n'y avait pas de fenêtre, l'ouverture de la porte était cachée par une lourde étoffe brune. Pendant des journées entières j'ai contemplé le toit défait qui laissait passer un peu de la lumière du soleil.. Une odeur de feu de brindilles imprégnait le sol.

Le vieillard me nourrissait le soir, au retour de ses travaux, accompagné de l'enfant qui le suivait partout. Ils ne parlaient pas, ils semblaient vivre comme des ombres, sans joie ni pensée. Je me laissais vivre moi-même comme en un songe. Le visage du vieil homme était strié de longues et profondes rides par où glissait la sueur des trop chaudes journées. Ses petits yeux pétillants délavés étaient devenus pâles avec le temps. Mais sa bouche édentée souriait largement. Quant à l'enfant, il lui ressemblait déjà. Je n'ai jamais su son âge, mais il n'avait pas de camarades de jeux, il partait travailler le matin et rentrait le soir, sans parler, sans chanter ni jamais jouer comme le faisaient les enfants papillon de l'Horizon.


Je retrouvais vite mes forces et je pus faire quelques pas dans la cabane. Au dehors, sous un soleil trop vif pour mes yeux déshabitués de la lumière, d'autres petits cubes de briques séchées abritaient des familles éparpillées en un curieux village gris et ocre à la lisière rocailleuse des terres cultivées qui formaient une longue bande verte le long du Nil.

C'était le village des ouvriers du temple. Cette terre appartenait aux prêtres depuis l'aube des temps, et de père en fils, les habitants y étaient employés aux constructions toujours multipliées des communs, des magasins et des murs d'enceinte pour les temples de la ville de Ptah.

Pendant quelques temps, je fis partie des ouvriers, avec le vieillard et l'enfant. Il fallait, le matin, charrier dans de lourds paniers dégoulinants, la terre grasse et limoneuse du fleuve jusqu'à l'endroit où d'autres avaient broyé la paille séchée. Aidés de longs bâtons nous gâchions le mélange avec nos pieds, enfonçant jusqu‘aux genoux dans la boue irritante.

L'après-midi, nous devions recueillir la pâte obtenue dans le large moule en bois et étaler une à une sur le sol brûlant la multitude de briques grises Mais il était nécessaire de savoir attendre, selon l'intensité de la chaleur et du soleil, le bon moment où la pâte ne serait ni trop liquide, collante au moule, ni trop sèche, se brisant au sol, pour faire ces grosses briques longues d'une coudée et larges comme une main.

Le soir, avant le coucher du soleil, nous devions ramasser les briques sèches des jours précédents pour les porter sur la place du chantier en cours afin que les ouvriers maçons puissent, le lendemain, dès l'aube, continuer la construction du nouveau mur d'enceinte ou bien monter l'énorme échafaudage en forme de rampe qui permettrait aux poseurs de pierres d'atteindre la dernière rangée du faîte de la grande porte du temple, avant que les sculpteurs, à leur tour, ne commencent leur œuvre.

Nous rentrions avec le gain du jour, quelques racines, des figues, de la bière, du froment, et parfois des oignons, beaucoup de fatigue, et pour le vieillard un peu plus de vieillesse. Je comprenais alors son silence. Je m'étonnais aussi qu'il ait pu porter tant d'attention au petit pèlerin malade sur le parvis du temple.

Un soir, au bord du fleuve, le vieil homme me raconta qu'il était venu de très loin,  avec quelques compagnons. Ils n'avaient pas de pays, et durant leur long cheminement, les enfants naissaient, grandissaient, se mariaient, mouraient parfois, vieillards, toujours sur les routes. Ceux qui étaient arrivés en Égypte n'avaient pour patrie que les chemins du désert, et pour souvenir que les longues nuits étoilées qui avaient bercé leurs espoirs.

Il ne semblait pas avoir de culte. Les ouvriers que je côtoyais tous les jours ne vivaient pas dans la crainte des dieux.

« – Pourquoi voudrais-tu que je craigne vos dieux qui utilisent mes mains pour bâtir une maison où je ne puis entrer ? Pourquoi voudrais-tu que je loue un Roi assuré d'être dieu par delà la mort alors que je ne serai qu'un grain solitaire parmi les sables du désert ? Je n'ai pas de prière pour eux, ni pour vos prêtres. Au temps où les dieux étaient cléments pour le peuple, le peuple construisait avec art les plus belles demeures des dieux, car en ces temps régnait l'amour. Ces temps sont révolus, les temples ne sont plus que des murs de pierres où sont incisés de plus en plus profondément les silhouettes démesurées des dieux cupides. Je n'ai pas de prières pour ces prêtres qui laissent mourir des pèlerins sur le parvis de vos temples. Pour moi, seule la vie est une prière. J'ai fait œuvre de prière en ramassant ta vie pour en ranimer la flamme. Et ma propre vie est ma prière. Souviens-toi, enfant-pèlerin, que si nos pauvres maisons ne sont faites avec le bon limon du Nil, les temples de tes dieux ne sont faits que des pierres du chemin. »

 

 

Un matin, sur le chantier, régnait une atmosphère étrange, un silence inhabituel, une angoisse indéfinissable due à l'absence des prêtres et des contremaîtres. L'odeur d'encens avait disparu, cette odeur qui planait sur tout le chantier et qui consacrait chaque geste aux dieux de la ville.

Le vieux portail était abandonné. Les peintres avaient laissé sa réfection à peine entamée. Seul le rouge des écritures avait été rehaussé tout le long du mur, et le reste des fresques semblait se fondre dans les pierres. L'or des couronnes avait pâli, la chair des dieux avait viré au brun, le bleu-nuit d'Amon s'écaillait comme une peau brûlée, le vert de Ptah gardait quelque chose de mortuaire. Les bas-reliefs s'estompaient avec le temps. Le vieillard souriait :

« – Regarde les dieux comme ils passent au soleil … »

 

Devant le parvis, rangés comme une armée, se tenaient des messagers dont les enseignes  étaient celles de la Ville de l'Horizon. Le peuple ébahi scrutait les gestes des hommes d'armes. Les chevaux piaffaient, les chars attendaient. Au bord du quai, de longues barques aux couleurs royales étaient alignées côte à côte. Un cortège de prêtres vêtus de lin blanc quitta les navires pour se diriger vers le temple dont les soldats avaient ouvert les portes. Derrière le portail, les prêtres noirs de Ptah s'écartaient, impuissants.

Sur le chantier, les ouvriers s'étaient figés sans comprendre le choc silencieux des deux armées de prêtres.

Toute une troupe de sculpteurs descendit d'un bateau, et lentement envahit le temple, à l'intérieur comme à l'extérieur.

Bientôt les murs retentirent du martèlement des poinçons sur la pierre tendre des bas-reliefs. Les noms des dieux disparaissaient dans les éclats de pierre, et du sanctuaire monta soudain la plainte des prêtres noirs, comme une litanie rythmée par les maillets sur le granit des grandes statues divines. Hurlements et martèlements se répercutèrent dans la ville tout au long de la journée.

L'armée de Pharaon resta plusieurs jours, puis les prêtres blancs repartirent dans leurs grands bateaux dorés, chantant leurs litanies.

Le village des ouvriers était dans la désolation. En quelques jours la famine s'installa, car aucun ne pouvait survivre sans travail et sans provisions. Le temple délabré n'était d'aucun secours aux miséreux, les malades mouraient, faute de soins, les enfants mort-nés étaient jetés dans les eux du Nil. Il n'y eut bientôt plus de chiens ni de chats dans Memphis, capitale du Nord qui se mourrait de la guerre d'Aton.

Au bout de quelques semaines pourtant, l'espoir revint sur le fleuve avec la flottille du général. L'armée des soldats de l'Égypte apporta du froment, de la bière, et des réserves de poissons séchés qui furent entreposées dans le temple où le clergé fut rétabli par l'armée pour sauver le peuple. J'allais chaque jour quémander de quoi assurer la survie du vieillard, de l'enfant et de quelques voisins impotents. C'est alors que je le vis, un soir, comme nous nous croisions sur le quai de l'embarcadère. Tous étaient à ses pieds, louant ses actes comme les bienfaits d'un dieu, mais je reconnus Horemheb, le meurtrier du prince de Thèbes, le régicide. Il eut une courte hésitation, puis il leva la main. Les soldats s'emparèrent de moi avant que j'aie pu fuir, laissant choir mes paniers de poissons et d'oignons. La foule murmurait, car beaucoup me connaissaient depuis la scène du parvis. Le général s'en aperçut et prit le ton poli d'un précepteur :

« – Qui es-tu, toi qui fuis à la vue d'un soldat ? »

« – Et qui es-tu toi-même, chasseur de faucon ?… »

Je ne cherchai pas à le tromper, car mon regard bordé de noir, trahissait mon identité, mais mes paroles à double sens le firent sourire. Une étrange complicité s'immisça entre nous. Pour moi la certitude qu'il ne me ferait pas de mal, pour lui celle de mon silence concernant ses ambitions. L'ambiguïté de ma réponse lui laissait supposer que je connaissais son crime, mais elle aurait pu s'appliquer à mon état d'héritier du trône. En outre, le nom d'Horemheb aurait dû suffire à réjouir tous les faucons d'Égypte, et le jeu de mots sembla plaire au prestigieux général.

Il ma laissa ramasser mes paniers pour rentrer au village, m'enjoignant de retourner au plus vite à l'Horizon où je n'avais plus rien à craindre, pour apprendre mon métier d'Horus.

Je n'eus pas de surprise à m'apercevoir que des soldats me suivaient désormais. Au matin, je saluais le vieillard et l'enfant qui m'accompagnèrent jusqu'au fleuve. Je reprenais le long chemin d'Égypte au bord du Nil, le bâton à la main, mon panier de jonc à la ceinture de ma chemise sale et déchirée.

Dans chaque ville je rencontrais la même désolation. Les habitants fuyaient quelques jours, sans comprendre, puis rentraient lorsque les prêtres blancs s'étaient éloignés. Les temples multicolores s'écroulaient, le nom d'Amon disparaissait, les prêtres se lamentaient, soulevant le peuple contre le nouveau dieu. Au cours de longues processions dans les rues, ils montraient les statues mutilées des dieux tutélaires, portées par des barques brisées. La stupeur faisait place à la colère.

Les prêtres se mirent à déchirer leurs pagnes sur les parvis des temples, criant au sacrilège, ils arrachèrent l'or des statues en hurlant aux voleurs, chaque ville respirait les cendres chaudes des portes incendiées par le clergé lui-même. Puis l'armée du général faisait son entrée, apportant vivre et réconfort aux plus démunis, soutien et rétablissement au clergé banni.

Une grande tristesse envahit mon cœur sur le chemin du retour. L'Égypte était blessée.

 

 

Au détour du sentier qui longeait le Nil, la Ville de l'Horizon s'offrit enfin à mes yeux, blanche et lumineuse sous le soleil radieux. Le calme et le bonheur planaient encore, comme un grand oiseau bleu en forme de ciel au-dessus de l'or des sables du désert environnant qui marquait les limites de la capitale.

 

Pourtant la révolte y grondait, sourdant comme une source entre les pierres disjointes des temples d'Amon. L'eau claire qui aurait dû purifier ne demandait qu'à se teinter de sang.

A l'Horizon d'Aton, le bonheur et la joie commençaient à se ternir avec le pressentiment de l'irrémédiable. Seule Beauté semblait insouciante et souriante dans ses jolies robes de lin blanc. Les nouvelles pourtant étaient de plus en plus inquiétantes. Les coursiers rapportèrent qu'un prêtre d'Amon, dans la ville du sud, avait été retrouvé noyé dans le fleuve, à moitié dévoré par les crocodiles. Des prêtres blancs avaient été pris à partie par le clergé, et des meurtres avaient été commis au nom d'Amon pour la vengeance du dieu.

Semblant menacer le soleil lui-même, le long serpent de l'armée d'Horemheb était apparu à l'horizon, grandissant lentement au rythme de la marche des fantassins. Les armes scintillantes éblouissaient les yeux du peuple, pour la première fois depuis l'avènement du Pharaon.

Les soldats étaient partout, sur les chemins de pierres, avec leurs arcs et leurs lances, dans les champs avec les chars de la cavalerie, et sur le fleuve avec les grands navires de cèdre couverts de cuir sombre. Le général avait pour mission de fermer tous les temples d'Amon et des autres faux dieux dans le double pays. Le grand prophète de la ville aux cent portes avait été arrêté, tous les trésors des temples avaient été confisqués.

Il régnait sur le pays une étrange atmosphère de guerre froide, latente, comme une guerre civile à venir, déclenchée par le combat des dieux. La sainte colère de Pharaon s'abattait sur le clergé impie …

 

L'attitude du Roi inquiétait ses conseillers, la cour murmurait dans les corridors et les jardins, le Divin Père était soucieux. Mes précepteurs m'oubliaient, le silence s'installait au palais, les enfants ne jouaient plus, les suivantes parlaient bas des affaires de l'état. C'était comme si le grand oiseau bleu du ciel s'était lentement évanoui, étouffant de ses ailes trop chaudes et trop lourdes toute la plaine de l'Horizon d'Aton. La Reine souriait toujours, mais elle ne chantait plus.

Les longues randonnées de chasse dans les marais s'espacèrent, je ne bandais bientôt plus mon arc contre les canards sauvages, je ne voulais plus apprendre à lancer les javelots de bois effilé. La solitude s'était emparée des enfants d'Aton.

Or voici que des songes venaient me visiter dans mon sommeil, mais je les oubliais au matin, vie repris par la tristesse de la vie à l'Horizon d'Aton. Un songe pourtant revint plusieurs nuits de suite : j'y voyais un grand épervier blanc, un bel Horus entouré de papillons, et je me réveillais en sursaut sur ma couche avant la fin du rêve, moite de cette chaleur d'été sans brise du désert. Une nuit pourtant, le songe devint interminable :

Le bel épervier blanc déploya ses ailes au-dessus de l'horizon, accompagné d'un vol de grands papillons blancs et d'une douce colombe. Les dernières lueurs du crépuscule achevaient de mourir dans une nuit sans lune, plongeant l'Égypte dans l'obscurité de Nout.

Surgissant de la nuit un grand aigle noir plongea sur les papillons blancs mais le bel épervier les protégea de ses ailes étendues. Alors de son bec acéré, l'aigle blessa l'épervier qui tomba sur la plaine désertique. Quand il voulut à nouveau battre des ailes pour s'envoler au secours des papillons, il retomba dans le sable et la poussière, incapable de voler.

L'aigle s'approchait des papillons lorsque la colombe parut devant lui, telle Isis devant Seth. Alors l'aigle oublia les papillons et suivit la douce colombe au-delà de l'horizon.

Et le bel épervier blanc demeura seul, marchant dans le désert.

Je ne répondais pas, mais je sentais qu'un grand danger planait sur l'Egypte et sur son dieu vivant. Peu m'importait qui était l'aigle, il me suffisait de comprendre que le dieu allait y perdre ses ailes et que la Reine allait disparaître, et je me mis à pleurer. Le dieu eut un sourire, m'embrassa tendrement et s'éloigna, triste, tête basse comme un grand épervier solitaire dans les sables du désert.

 

Un soir, en revenant du fleuve, suivi de quelques princes muets et sans sourire, j'aperçus un prêtre en haut d'une terrasse, grave et hiératique, paré des bijoux de Thot et revêtu du voile bleu des funérailles. Je ne connaissais pas ce prince, mais j'eus l'impression de l'avoir déjà vu. Le tatouage de ses yeux était rehaussé de fard, son regard souligné jusque sur les tempes. Il me fit signe de le rejoindre. Laissant mes compagnons, je gravis les marches du palais. Il me dominait comme une statue divine dans les lueurs crépusculaires. Lorsque je fus sur le dernier pallier, son geste m'arrêta :

« – Voici ce que je dis, moi, messager du Pharaon :

Suis-moi et allons voir la déesse, co-régente d'Égypte, car l'heure est venue que s'accomplisse ton destin. »

Mon guide m'entraîna dans les appartements de Beauté. Au seuil d'une porte, il s'effaça, silencieux et disparut, mystérieux, tandis que je m'enfonçais dans une salle qui ressemblait à un sanctuaire.

La Reine était assise sur le grand cube de pierre de ses ancêtres. Ce bloc monolithe était le trône d'Osiris, et seul le Pharaon avait pouvoir d'y prendre place. Beauté portait sa couronne bleue, elle était revêtue du long fourreau blanc des rois défunts. Je ne cherchai pas à comprendre les significations de ses attributs ni celles de la situation. Je sentais confusément que sa co-régence touchait à sa fin et que notre entrevue serait plus qu'un entretien, une cérémonie. Je m'accroupis sur les talons, dans l'attitude de respect qu'ont les princes devant les dieux et j'attendis qu'elle parlât la première, sans baisser les yeux. Son beau regard trop humide ne quittait pas le mien. Son visage volontaire ne laissait paraître aucune émotion. Pourtant je sentais bien que l'âme de ma Reine était touchée à mort. Mon âme aussi se dégagea un instant du corps d'enfant-roi, englobant l'atmosphère de tendresse autant que de tristesse. Et à travers cette brisure du temps, c'est Isis que mon âme reconnut, incarnée en l'âme de Beauté. Alors elle parla par sa bouche :

« – Les bonheurs primordiaux retrouvés au cours des premières années du règne de mon époux sont révolus. Les forces de Seth harcèlent le pouvoir depuis la mort prématurée du co-régent. Il est temps que tu saches aujourd'hui la vérité.

Au jour de ta naissance, le Pharaon ton père, qui co-régnait avec l'Aimé d'Aton depuis près de huit années, dût te remettre aux prêtres d'Amon, selon le vœu qu'il avait prononcé avant ta conception. C'est à cette condition que le clergé laissa partir le nouveau Roi, ton frère, vers l'Horizon d'Aton, car ton père, ce grand Roi, mit fin à ses jours ce même soir, selon l'antique tradition de nos ancêtres. Tu devenais ainsi un éventuel héritier élevé par le clergé et garant des traditions millénaires.

Lorsque l'Aimé d'Aton prit son demi-frère Semenkharê pour co-régent, la fureur ders prêtres fut telle qu'ils décidèrent de le faire disparaître. Leur crime rituel accompli dans la ville de Thèbes où ce co-régent tentait un rapprochement pour sauver l'Égypte, ils exigèrent que les funérailles eussent lieu dans la ville d'Amon et que le Roi se parjurât en franchissant les limites de sa ville. Jamais encore un co-régent n'avait disparu, et il fallut créer de nouveaux rites funéraires. Le corps de Semenkharê fut enseveli dans l'attitude des Vice-rois, une main tenant le sceptre, à l'intérieur du cercueil de sa bien-aimée Méritaton qui, restée en vie, devint elle-même comme un corps sans âme. Or, pendant la période des funérailles, le Roi vint rendre visite à Amon, mais jouant le jeu des prêtres, il te consacrait lui-même son héritier en te donnant le collier d'Horus. Ainsi allait-il tenter de te soustraire à l'influence du clergé en te faisant venir à l'Horizon.

Mais partout dans le pays, les prêtres soulevèrent les princes contre le Roi. La menace s'amplifiant jusqu'à la cour, nous décidions de t'envoyer sur les chemins d'Égypte, comme un pèlerin anonyme, surveillé de loin par quelques-uns de nos fidèles. Pendant ce temps, le Roi tentait d'anéantir les prêtres pour sauver la couronne. Mais l'armée, se retournant contre lui, vient de prendre le parti des prêtres, tu sais les risques qu'encoure l'Égypte aujourd'hui : guerre civile, coups d'état, guerres aux frontières, famine et ruine.

Je quitte l'Horizon, je rentre à Thèbes avec les prêtres d'Amon pour sauver les couronnes. Tu montes sur le trône aux côtés du Roi, tu deviens le co-régent de l'Aimé d'Aton, en accord avec le clergé d'Amon.

Voici ce que je dis, sur l'ordre du dieu mon époux, L'Aimé d'Aton, Pharaon des deux terres :

Tandis que je retourne dans la Ville aux cent portes, prends le pays sous ton ombre, Pharaon est las de voir l'Égypte se mourir.

A Thèbes, Thot parlera par ma bouche, j'accèderai aux plaintes des prêtres d'Amon, et je chanterai à nouveau le nom d'Amon.

En restant auprès de l'Aimé-d'Aton, toi seul es désormais le lien qui relie les deux terres.

Enfant des dieux, étends tes ailes d'Horus, tu seras désormais co-régent auprès du Pharaon.

Isis te protège, à toi force et sagesse, Tout-Ankh-Aton. »

La même nuit, la Reine disparut dans la longue barque d'or que les prêtres d'Amon avaient envoyée de Thèbes pour venir la quérir. Un peu plus loin, sur la rive, l'Aimé d'Aton, tel un épervier blessé, la regardait s'éloigner pour toujours.

(… à suivre …)