La montée du populisme en Europe : la gauche s’autocongratule

Pour ouvrir le Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH), et prolongeant la diffusion du film La machine populiste (Jean-Pierre Krief, 2007), un débat était organisé ce vendredi 7 mars autour de la montée des populismes sur le Vieux continent. Une semaine de films consacrés aux droits de l’homme, le festival est résolument engagé, et contient une affiche des plus prometteuses : Carmen Castillo, Oskana Chelysheva, Aye Chang Naing, pour ne présenter que la devanture. Alléchant, car la qualité est épaulée par la quantité de courts, moyens et longs métrages, de films et de documentaires. On se dit, au moins sur le papier, qu’on va apprendre bien des choses. Mais est-ce le cas ? 

Ca commence mal. Le documentaire La machine populiste est un affront fait à l’intelligence des spectateurs. Un pamphlet sans créativité qui, sous prétexte de dénoncer les idées populistes de l’extrême droite, a une forme insupportable et un fond inexistant. Durant 52 minutes, on attend un argument. Une enquête. Une information. Autre chose que des gros plans suggestifs et subjectifs des leaders honnis par une assemblée soucieuse des droits humains, des images baignant dans une musique suffisamment noire pour bien faire comprendre au spectateur que c’est le mal incarné qui est à l’écran. Ralentis, discours coupés à la seconde près, aucun recul, on se croirait pris dans la tourmente d’un quelconque film de propagande de l’ancienne RDA. Le rideau se ferme, le calvaire prend fin, la prise d’otage est terminée : le public est enfin libre de penser ce qu’il veut, la chape de plomb se lève. Le sens critique refait surface.

 

Pendant presque une heure, il n’y a rien eu à se mettre sous la dent. Des clichés, des images d’archives, des interviews de quelques intellectuels qui définissent le populisme, des questions mille fois abordées posées à trois leaders qui ne font que répéter leur programme. Le néant de l’information, une simple vidéo pour nous rappeler combien il est bon de ne pas le ressembler. Nous voilà réconfortés, nous sommes du bon côté de la barrière.

Arrivés au terme de cette autocongratulation étouffante, le débat aurait pu prendre son envol. Tout commence d’ailleurs pour le mieux : Jérôme Jamin (philosophe et politologue à Anvers) nous rappelle que le populisme se calque aussi bien dans les discours de gauche que de droite. Philippe Vidal (directeur de Charlie Hebdo) se lance dans une explication historique des conceptions radicalement opposées de ce que pouvait être la démocratie (notons que pour être correct, il aurait fallu parler de république, pour l’époque) à Sparte et à Athènes. Puis la discussion vire : Jean Ziegler prend la parole, et nous voilà partis dans l’oligarchie impérialiste capitaliste, source de tous les maux selon le sociologue. On se demande quel est le rapport avec le sujet : mais lorsqu’on connaît le personnage, on sait que le sujet aurait pu porter sur la cuisine thaïe au XIXème siècle, son intervention aurait été identique. Il est d’ailleurs plutôt cocasse de l’entendre proférer les mêmes attaques, presque mot pour mot (seul le niveau du vocabulaire change) que ceux même qu’il entend combattre. Quand on vous dit que les extrêmes se rejoignent…

Après cette dernière intervention, le niveau du débat s’abaisse bien vite au film qui l’a précédé. Les questions dans l’assemblée fusent, l’intervention d’une élue genevoise d’extrême droite provoque l’indignation, les questions critiques et de plus grande complexité (la même complexité que l’on “se félicite d’avoir à gauche”, dixit Ziegler) est abandonné. Effarant, alors que le débat avait pour objectif de chercher à dépasser le populisme et sa simplification discursive, on trébuche allégrement pour tomber dans le trou béant creusé à l’instant.

La salle n’est pas dupe, les questions se font incisives, on demande une condamnation de la tendance populiste de la gauche. Entre Ziegler et Vial, qui monopolisent le temps de parole, seul se dernier osera mentionner Ségolène Royal. Un sens critique rassurant, alors que Ziegler défend le “respect pour la démocratie” d’Hugo Chavez, le président vénézuélien. L’auto-critique, c’est pour les autres. Les méchants. Parce que nous, nous sommes les héros; on se croirait dans une scène de Die Hard.

Le déroulement de cette soirée est d’autant plus décevant que le modérateur, Darius Rochebin, a su poser des questions dérangeantes. L’auditoire était on ne peut plus critique. Les sujets abordés, ou plutôt effleurés, avaient un fort potentiel : il est évoqué comment, par exemple, l’avènement de la télévision a permis aux populistes de s’adresser à des millions d’individus, sans avoir à les réunir dans un meeting. On se prend à rêver de pouvoir parler du travail de Bourdieu, qui expliquait combien il était difficile de poser une réflexion construite dans ce type de média. Après tout, un sociologue est présent… malheureusement, il s’agissait de Ziegler. On aurait voulu entendre combien le populisme de gauche partage des idées, et même certaines valeurs, avec le populisme de droite; essai manqué.

Ce genre de débat est rarement satisfaisant. Difficile de contenter plus de 300 personnes présentes, informées sur le sujet et en attente de nouvelles idées. Cela ne justifie toutefois en rien cette frustrante suffisance, incapable de laisser un espace à d’autres idées. Or, rien n’est plus important de savoir pourquoi l’on se bat; questionnez, refusez le rôle du Lemmings, et vous voilà suspect. Suspect de quoi ? De participer à un meeting sur les droits fondamentaux, et de mettre en doute le discours des élites. Mais les droits de l’homme, n’est-ce pas remettre en question le pouvoir des élites ?

Aborder les droits humains est délicat pour plusieurs raisons, mais retenons-en trois. Tout d’abord, il s’agit de ne pas sombrer dans les travers dénoncés, reprochés à la partie adverse. Ensuite, c’est un combat contre les détenteurs du pouvoir; il existe une asymétrie, difficile à combler, et qui alimente l’idée (erronée, au vu des résultats) que les défenseurs des droits de l’homme sont de doux idéalistes. Enfin, le questionnement doit être permanent : qu’est-ce que les droits de l’homme encadrent, comment et par qui doivent-ils être défendus.

La lutte pour conserver nos droits fondamentaux est permanente, personne n’en doute. Et si le terrain de chasse privilégié reste les pays non démocratiques, il ne faudrait pas oublier que de sérieux coups de boutoirs ont été donnés chez nous, en Occident, parmi les démocraties tellement soucieuses de donner des leçons. Ces atteintes ont été portées par des gouvernements aussi par des gouvernement pas forcément populistes; cela ne signifie-t-il pas qu’il est temps de se pencher aussi sur nos propres dérives ? Pour ce faire, il est vital de procéder à l’auto-critique. De réaffirmer quelles sont nos valeurs. En d’autres termes, l’inverse des film et débat qui ont ouverts cette sixième édition du Festival du film et forum international sur les droits humains.