Je l’ai connu, ce n’était qu’une enfant. Et je la croise, jeune adulte tout juste sortie de l’adolescence, si tant est que l’on rentre dans le monde adulte à 18 ans…

Elle me voit et sa réaction est immédiate : « Bonjour Mme S., comment allez-vous ? », elle me saute littéralement au cou pour me faire la bise.

Comportement presque en contradiction avec tout ce qu’on a traversé ensemble, pourtant, elle semble réjouie de me voir, de me connaitre, de me reconnaitre. A ma question « et toi ? », elle répond par un « bien » rapide, et retourne rapidement vers ce jeune qui l’accompagne, et qui semble la rappeler à l’ordre. La réponse à ma question est plus dans ce petit ventre tout rond que dans son regard fuyant.

On se retrouve à la caisse du magasin, lorsque la caissière leur annonce qu’il leur manque 20 centimes pour emporter les quelques victuailles achetées. Ils regardent ensemble leur billet de 5 euros, et je me rends compte dans quelle misère elle est : short arraché, chaussettes, vieux T.Shirt, cheveux en bataille… Je ne m’étais arrêtée que sur son sourire et ce ventre… Sans hésitation je leur tends la pièce, devant le regard interrogateur et pas vraiment d’accord des autres clients et de la caissière… Leurs sourires et merci suffisent à me briser le cœur, et à me replonger dans son histoire…

18 ans, sans domicile, un bébé en « préparation » : la vie suit son cours pour cette demoiselle, cette vie qui ne l’a pas épargnée…

 

/

A 13 ans, battue par son père, elle se retrouve en foyer de protection de l’enfance. Bras cassé pour elle, marques de strangulation sur le cou pour son frère qui prouvent que cela a du être la nuit de trop… Commence alors le lourd suivi judiciaire : suivi par des éducateurs, passages réguliers devant les juges pour enfants,… un parcours sans fin dans la minorité… A 18 ans c’est différent, puisqu’en marge de l’école, la seule route possible devient la rue…

Je ne me permettrais pas de juger son enfance : le peu que j’en connaisse me donne pourtant froid dans le dos… Son adolescence a été sans dessus dessous… Pourtant, elle commence à se confier, et à montrer sa révolte face au monde, à la société, à l’école, à sa famille : à tout ces systèmes où elle n’a pas de place. Elle apprend l’amour dans la rue, une passe pour une cigarette, rien de plus…

Ses 18 ans sont synonymes de fin : fin du suivi de l’ASE (Aide sociale à l’enfance), fin du suivi de protection judiciaire, fin de toute possibilité d’aide convenable.

En CHRS (Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale), elle redécouvre à nouveau l’amour. L’amour avec des jeunes en galère, qui lui promettent une vie meilleure, sans savoir ce qu’à été la sienne. Elle y croit, et se lance dans des aventures, malheureusement qui ne durent pas plus d’une nuit… Mignonne demoiselle, proie parfaite dans ce monde sauvage…

La voilà, avec un enfant dans son ventre : pourtant je la regarde et je ne vois qu’une enfant. Paradoxe…

Je me souviens de ses mots catégoriques, lorsqu’elle avait 16 ans et des poussières : « jamais je ne ferais d’enfants », mots du cœur consécutifs aux maux profonds causé par le rejet maternel si destructeur…

Je sais que si elle arrive au bout de cette grossesse, cet enfant sera un enfant de l’ASE, boucle bouclée ??

 J’espère juste que cette nouvelle naissance sera une révélation pour cette enfant/ado/adulte et qu’enfin, grâce à ce petit être, elle va connaitre la véritable signification du mot amour…