La jurisprudence Chirac, boîte de Pandore

Déjà en 2009, le Parquet avait déclaré qu’il ne poursuivrait pas l’ex-président parce que, selon son interprétation, un non-lieu s’imposait au motif que les infractions ne lui paraissaient pas caractérisées (sic)
Ajoutant que, même si celles-ci étaient avérées, le prévenu les avait commises de bonne foi, ne réalisant pas qu’il transgressait la loi.
Après "Nul n’est censé ignorer la loi", l’adage devient : "Si tu ne connais pas par coeur le code pénal, tu es innocent !" Avec en bonus : "Désormais, les absents ont toujours raison !"

Parquet vernis, attention aux glissades !

Il y a mieux, si j’ose dire. Après avoir appuyé les multiples reports d’audience plus ou moins dilatoires, le procureur a annoncé qu’il renonçait à requérir du fait des délais excessifs entre les faits incriminés et le procès. La faute à qui ?
La procédure a été ouverte en 1988. Il y a 23 ans. Outre les emplois fictifs à Paris et à Nanterre, il y avait des malversations sur les marchés d’HLM, des dépenses personnelles (frais de bouche et voyages) réglées avec de l’argent public et divers favoritismes. Un système mafieux qui "arrosait" aussi divers élus ou personnalités de gauche. Nobody is perfect. Jusqu’en 1995, on avait le temps d’enquêter et d’auditionner
le principal suspect. Qu’a-t-on fait ? Et depuis 2007, pourquoi tant de lenteurs ?

Toujours selon le procureur, il n’y aurait plus lieu de poursuivre parce que la ville de Paris aurait été indemnisée… Outre le fait que le remboursement est très partiel, depuis quand l’action publique est-elle tributaire du désistement de la partie civile principale ?
En tout cas, en demandant une copie du chèque, les juges du siège semblent se ranger au moins en partie à cette interprétation du Parquet. Une vénérable institution toujours subordonnée au pouvoir politique.

Encore plus troublant : le Parquet a soutenu à l’audience que les parties civiles de principe (mouvements anti-corruption) étaient selon lui irrecevables. Faute d’avoir subi un préjudice direct et personnel. Et la défense s’en est donné à coeur joie pour dénigrer ces personnes et leurs motivations.
Tandis que le tribunal a renoncé à faire comparaître le prévenu au vu d’un simple certificat médical, sans se demander comment l’anosognosique a pu publier un pavé de 600 pages en juin, et signer allégrement des paquets d’autographes à la terrasse de Sénéquier peu après… Sur la photo prise le 14 août, il a l’air en effet très fatigué. Et quand bien même, on pouvait l’autoriser à répondre assis, en prenant son temps, ou en lisant des notes, avec le concours de ses avocats.

Un cadeau au barreau

Si j’étais avocat pénaliste, j’utiliserais à l’avenir la jurisprudence Chirac pour mes clients au moins dans deux hypothèses bien précises :
– La première, défendant des petits truands, je soutiendrais qu’ils ignoraient transgresser la loi et ont commis leurs délits en toute innocence : les pauvres, ils ignoraient que puiser dans la caisse ou racketter, c’est mal ! Ou ils avaient la tête ailleurs tandis que leurs associés se goinfraient…
Et je leur conseillerais de refuser de comparaître, en envoyant un certificat médical. Rien de plus facile que simuler l’amnésie.
Naturellement si le procureur avait l’impudence de requérir contre mes "innocents" et que la cour refuse d’appliquer la jurisprudence Chirac, j’attaquerais l’Etat Français devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, pour discriminations inacceptables. Puisque, selon notre constitution et nos codes, tous les justiciables doivent être traités de la même manière. CQFD.

– Autre hypothèse : les personnes poursuivies pour négationnisme, injures raciales ou homophobes, le plus souvent à l’initiative des associations. Là, je soutiendrais sans état d’âme que leurs plaintes sont irrecevables… Puisque les présidents de ces assoces n’ont pas été, en tant qu’individus, personnellement insultés ou agressés. Et profitant de l’immunité judiciaire, je les traiterais de "paranoïaques narcissiques". Par référence à Anticor & Cie. Puisque ce qui est valable pour les uns, l’est "forcément" pour les autres.
Et bien sûr, direction Cour Européenne en cas de rejet de cette argutie toujours au nom de l’obligation de juger tout citoyen sans favoritisme ni détestation.

Au nom du peuple français
Nos magistrats requièrent et jugent en notre nom. En principe.
Certes il est mal vu que le peuple se permette de leur demander des comptes. Sauf cas exceptionnels. Et le procès Chirac en est un ! Moins en raison du parcours personnel de l’accusé que du fait des libertés prises avec les grands principes. Des "adaptations" qui sont en train de créer un précédent inquiétant. Lequel peut, demain, secouer toute l’institution judiciaire.
Hasard du calendrier ? Le film relatant les errements inquisiteurs d’Outreau sort en même temps que s’ouvre le non-procès de l’ancien président. De quoi  brouiller un peu plus les repères de nos concitoyens, altérer la confiance qu’ils pouvaient avoir encore dans la justice, et renforcer le sentiment que le système D "pas vu pas pris" est parfaitement justifié puisque l’exemple vient de haut.