Très bonne enquête de la chaîne espagnole Ser qui relève que les dettes des clubs de football envers l’État s’élève à six milliards d’euros. Pourtant, dans ce pays dont le sort préfigure celui de la France, ni la gauche, ni la droite ne s’en émeuvent très fort. L’Espagne n’est pourtant pas en campagne électorale… Et en France, alors que le PCF et le Front de Gauche de Mélenchon cherchent à flatter les « sportifs » (tant en chambre que sur terre, air, mer…), aucune critique sérieuse ne prend le risque de s’aliéner les « footeux » et les autres (oh, peut-être, côté Verts, s’en prendrait-on à la Formule 1). Pourtant, ce nouvel opium du peuple lui coûte fort cher.

Voyez le programme du « Front de gauche des Sports » : il en faut toujours davantage pour le sport mais aussi en « éradiquant la corruption », via l’interdiction de la cotation des clubs en bourse ou l’interdiction des paris sportifs en ligne (et aussi la création d’une taxe sur les équipementiers ou le plafonnement des rémunérations des professionnels). Bref, de très bonnes intentions.

Mais il n’est jamais question de remettre en cause le sport de haut niveau ou de risquer de prendre les spectateurs à rebrousse-poil. Trop dangereux !

Pourtant, ce qui est dangereux, c’est bien, pour le peuple, la financiarisation du sport-spectacle.

Certes, le Front de Gauche la dénonce. Mais pas au point de lancer une grande enquête pédagogique dans les pages sportives de L’Humanité et d’expliciter des choix qui feraient mal aux petits cœurs des amateurs ou de ceux qui ruinent leurs familles en espérant accéder à l’élite des sports de compétition.

Je suis sportif (billard électrique, c’est très tonique, de très bon niveau, et assez médiocre véliplanchiste amateur), sans jamais rien coûter à la collectivité et en assumant seul mes dépenses. Aucun parti ne soutient que toutes et tous devraient faire de même.

Le foot, c’est la ruine

Le foot amateur pue et pollue (combien de tonnes de carbone pour assurer les déplacements), coûte fort cher aux collectivités territoriales, mais c’est encore pire avec le foot pro, lourdement subventionné, directement et indirectement par les contribuables et tous les consommateurs (qui voient les sommes consacrés par les annonceurs répercutés sur les prix).

En Europe, l’Espagne est un bon exemple. Sur les vingt clubs en tête de l’UEFA, ce sont le Real Madrid et le FC Barcelone qui génèrent le plus de revenus (devant des clubs allemands, anglais, italiens, l’OM et l’OL n’arrivant qu’au 13e et 14e rangs). Oui, mais comment ?

Cadena Ser le révèle. 590 millions d’euros de dettes pour le Real, suivi par le FCB, avec 578 autres millions d’euros. Suivent l’Atlético (Madrid), Valencia, Villareal et Saragosse. La seule solution pour en sortir serait de gérer les clubs en « pères de famille », dit José Antonio Bosch. Oui, mais qui continueraient à taper dans la poche des contribuables.

Au total, les clubs espagnols pros doivent 752 millions d’euros à l’Agencia Tributaria, soit à l’État espagnol. Soit 490 millions pour ceux de première division et 78 pour la seconde A. Une députée d’Izquierda Unida a eu le culot de demander des explications publiques. En 2008, tous ces clubs et d’autres de moindre importance devaient déjà 607 millions au fisc espagnol. C’est presque 150 millions de pire fin janvier 2012, en seulement quatre ans.

En Espagne, on ne chauffe plus les écoles. Les stades eux, ne manquent de rien, surtout les plus prestigieux. Il y a bien en France une Direction nationale du contrôle de gestion du football. Cet organisme d’autorégulation fort coûteux publie bien un rapport annuel sur les finances des clubs, mais un par un, et les clubs communiquent ce qu’ils veulent bien voir publier. Ce qu’il coûtent aux contribuables est masqué par l’appellation « autres produits », sans le moindre détail.
On voit en revanche que l’OL et l’OM s’acquittent de seulement 2 ou 3 % de leur chiffre d’affaires en « impôts, taxes et versements assimilés ». Il n’y a, en France, pratiquement que Total à faire mieux. Pour le PSG, foin de pourcentage, mais 6,19 millions d’euros en impôts et taxes pour 2010.
Impossible de dégager une vision globale. On estime cependant qu’au total, en fin de saison 09-10, la perte pour les clubs serait de 100 millions d’euros. Contribuables et consommateurs, à votre bon cœur : il faudra emprunter, et les profits iront à vos banquiers.

Fair play financier

 

La FIFA et l’UEFA ont créé un mécanisme de Fair Play financier qui devrait s’appliquer en 2014. Le roi de Jordanie en préside un fumeux comité international qui ne compte aucun représentant français (ce qui n’est pas le cas de l’Aruba, filiale antillaise des Pays-Bas).

 

Mais revenons à l’Espagne où le club phare de la Navarre a obtenu un étalement de ses dettes fiscales sur… 75 ans. Après tout, Osasuna ne doit que près de 28 millions d’euros, une paille, et il ne faut pas désespérer les footeux de Navarre.

Pour les clubs espagnols de première division, les recettes propres ne représentent que 7 %. D’où vient le reste ? Essentiellement des subventions, des consommateurs (toutes et tous, qu’ils soient intéressés ou non par le foot), et de l’emprunt.

En France comme en Espagne, des financiers, des consultants, ont maquillé les comptes comme Goldmann Sachs en Grèce.  Michel Platini, de l’UEFA ne s’inquiète que des rencontres truquées (200 matchs en 2009, selon un tribunal allemand), un peu quand même de la hausse des salaires (de +18 % en 2008, en pleine entrée dans la crise financière mondiale).

Platini admet que la capacité financière des clubs « les pousse à prendre des risques excessifs et souvent à crédit. ». Qui paye les risques, qui épongera les dettes ? Le seul Qatar ou ce dernier appuyé par des maires et des ministres comme David Douillet ?

Le problème est plus vaste et les prévisions pour les JO de Londres sont plus que sombres. L’Italie a eu la bonne idée de passer son tour pour 2020 et on peu espérer que Bakou et Doha, ou Istanbul, encaisseront le déficit trop prévisible. 

Coûteuses danseuses

Pour réussir à placer quelques gamines et des « poussins » dans la course à la qualification pour la compétition de haut niveau, des centaines, des milliers de familles s’endettent et se ruinent. En espérant, dans x années, des salaires et des primes. Mais elles nourrissent en fait, outre les commerçants, restaurateurs et hôteliers, toute une myriade de parasites sociaux…

Pourquoi s’offusquerait-on des concours de misses prépubères et pas de toutes ces compétitions ? De plus, ce qui est consacré aux sports ne l’est pas au logement, à l’éducation générale, et seuls les riverains des stades ou des salles bénéficient de transports publics ad hoc, conçus pour les spectateurs.

De rares philosophes libertaires du sport soutiennent que la pratique sportive doit faire primer l’insouciance du jeu.

De pseudos philosophes flattent les instincts des amateurs de spectacles. Fabien Ollier, professeur d’EPS, lecteur de la Sociologie politique du sport (de Jean-Marie Brohm), lecture étayée par un mastère de philosophie, dénonce dans Quel Sport (revue hélas trop peu fréquente, dernier numéro paru en nov. 2011), la « porcherie sportive » et « le sport, plus que jamais opium du peuple ».

 

Au moins le Front national, dans son programme, a eu la décence de ne pas tomber dans le populisme sportif de bas étage. Histoire peut-être de ne pas faire remémorer les JO de Berlin ou les exploits sportifs de Mussolini (de Poutine, à présent). De son côté, le Front de Gauche dit défendre une vision humaniste de l’activité sportive.

Elle ne sera jamais autant humaine que lorsqu’on s’attaquera vraiment aux sports de compétition aux niveaux les plus élevés.

Quant à l’UMPS, et d’autres formations, un silence prudent est de mise. L’UMP met Douillet en avant, mais aussi l’accent sur le « produire plus et dépenser moins ». Soit son programme de 2007.
Les 30 propositions du PS s’intéressent d’abord au social et à l’économie.

Les socialistes semblent vouloir préférer les crèches et les hôpitaux aux stades.

Des hôpitaux qui ont d’ailleurs mieux à faire que de réparer les conséquences d’une pratique mal maîtrisée ou trop intensive des sports…

Mais il faudrait se poser la question alors que l’austérité et la rigueur deviennent incontournables : peut-on encore entretenir de si coûteuses danseuses ?
Mais, pour flatter partie de leur électorat, on voit encore des candidats trôner dans des tribunes. Il serait largement temps que cela cesse.
Que Nicolas Sarkozy se détende en courant à pied ou à vélo, soit. Mais au vu des urgences et des déficits, ce n’est pas d’un coureur dont la France a besoin, mais d’un Churchill qui, pourtant fort bon cavalier, avait d’autres préoccupations que de monter en selle pour se montrer…