À situation extrêmement complexe, idées ultra-simplistes : c’est la loi latente des médias. Certes, nous n’en sommes pas déjà vraiment là… Mais, surtout si les forces françaises essuyaient des revers au Mali, on y viendra. En sus, si l’Otan, l’Union européenne se montraient timorées dans leurs appuis, un débat de politique intérieure risque de déraper. Tentons de raison garder.


Tout d’abord un principe simple, simpliste et simplissime : ce n’est pas jouer les Déroulède que d’affirmer le plus total soutien moral aux soldats, gradés et officiers en opérations au Mali.
Cela valait d’ailleurs pour l’Afghanistan, la Libye, et même d’autres conflits pas très nets.

Toutes les guerres sont sales à des degrés divers, il faut le concevoir. Il se peut que, pour couvrir des unités maliennes ou autres, ou pour d’autres raisons, des troupes se livrent à des actes peu conformes à ce que le civil conçoit des « lois de la guerre ».

L’Algérie en avait montré l’exemple, la guerre du Tchad, hélas, dans heureusement de bien moindres mesures, l’avait aussi démontré.

Le soutien n’est pas exempt de considérations critiques, d’appréciations diversifiées, et il n’est pas question de se censurer.
En revanche, mettre tous les combattants côté français dans « un même sac », c’est aussi stupide que de mettre l’adversaire, ou plutôt les adversaires, dans un « même tonneau ».
On peut en venir ainsi à « l’armée croisée » contre celle du « Mahdi » (d’un prétendu Mahdi, plus exactement). À ne plus faire le distinguo entre contre-terrorisme et terrorisme, actes délibérés et autres.

L’adversaire est extérieur

Par facilité, je me suis laissé aller à employer l’expression « terrorisme islamiste » et ses dérivés. Je continuerai tout comme j’emploierai encore « terrorisme stalinien » et « terrorisme fasciste ». En revanche, quand je lis déjà, dans Riposte laïque, ce titre : « Mali : Moussaoui remercie Normal 1er de parler de terroristes, et pas d’islamistes », je m’inquiète. Peu m’importe l’appréciation péjorative de François Hollande, c’est de « bonne guerre médiatique ».

Faire de toutes celles et ceux qui considèrent qu’une forme d’application de la charia (plutôt d’une charia ou d’une autre) leur semble souhaitable des « terroristes islamistes » est une simplification outrancière. Cela n’implique aucun soutien à l’endroit des djihadistes (un article, une tribune, pas davantage qu’une phrase ne se lit isolément).

Ne faisons pas, par exemple, de tous les insurgés syriens des « islamistes radicaux », ni de facto des « terroristes islamistes ».  Ce qui vaut pour la Syrie, la Libye, vaut aussi pour le nord malien où les adversaires, y compris musulmans, y compris favorables à des degrés divers à l’instauration d’une variante de la charia, y compris se livrant à des actes de « résistance » (donc, parfois de terrorisme à l’endroit de populations civiles, comme ce fut le cas, côté français, depuis le ciel, en Libye, ce qui fut qualifié de terrorisme par la propagande adverse), ne sont pas tous des islamistes fanatiques (tant bien même certains comportements, sur le moment, en font des fanatisés).

Les faits restent les faits, et Alon Gilad, auteur de cet article, n’affabule pas totalement, loin de là… Mais, que l’on sache, Mohamed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman, n’a pas appelé au djihad. Le remarquer n’empêche pas de considérer, comme Pascal « Mohamed » Hilout , toujours sur Riposte laïque, qu’« il nous faut une explication salutaire avec nos voisins et concitoyens musulmans pour qu’ils en finissent avec des enseignements et des pratiques sociales incompatibles avec ce qui a fait la France jusqu’ici. » (à ce bémol près : ce qui a fait la France, c’est aussi la très peu sainte inquisition, des rois dits de droit divin, la charia catholique romaine, le calvinisme genevois…).

Maliens de France et Français maliens sont majoritairement musulmans (encore que cela soit difficile à établir avec certitude), et il s’en trouve peut-être sous l’uniforme français. Soutenons résolument tous nos militaires. De même que des communautés musulmanes « arabes » de France soutiennent les musulmans noirs maliens de France opposés aux groupes djihadistes, et bien sûr les soldats français musulmans engagés au Mali ou dans des pays voisins.

Soyons aussi réalistes : on ne va pas raser tout le Moyen-Orient en ayant évacué préalablement tous les coptes, syriaques, &c., qui n’ont d’ailleurs pas tous des enseignement et pratiques sociales si compatibles avec la laïcité à la française.

Soutien total, et critique

Je ne sais absolument pas si l’intervention française a été ou non prématurée. D’un point de vue militaire, il aurait peut-être été jouable de tempérer, le temps que des forces adverses soient plus nombreuses et plus massivement éliminables. Politiquement, les répercussions auraient pu être désastreuses, et les populations civiles en auraient certainement pâti.

On se doute bien aussi que François Hollande, en prenant langue avec l’Algérie, aurait préféré ne pas représenter que la France, mais l’Union européenne. Voire l’Otan, réintégrée sans que les bénéfices paraissent trop évidents à l’aune malienne.

Le soutien aux Armées n’implique absolument pas absence de critique du chef des Armées ou du gouvernement Ayrault. Ni d’admettre que soit politiquement judicieux toute frappe des drones français ou étrangers, quel que soit l’objectif, qu’il faille tolérer – encore moins encourager – que des unités maliennes, bénéficiant d’un appui français, se livrent à des exactions contre les populations. En Libye, être noir était incriminant, au Mali, l’être moins l’est parfois tout autant. Selon Mali Jet, à Diabaly, ordre a été « donné d’abattre le maximum d’islamistes et de faire le moins de prisonniers possible ».  On ne sait trop comment a été, sera interprété un tel ordre…

De toute manière, il n’y a pas de conflit armé dont les conséquences soient toutes incritiquables. Nous laissons des « harkis » en Afghanistan, nous en laisserons sans doute au Mali.

Mais il est détestable de lire que l’intervention armée ouvre la voie à une arrivée massive d’émigrés maliens en France. Or, c’est ce qu’on lit le plus parmi les commentaires de divers sites. L’inverse peut être soutenu, sans trop savoir d’ailleurs chiffrer.

La guerre, c’est le bourbier

Effectivement, par ailleurs, Dominique de Villepin s’inquiète de la perspective d’un bourbier malien. Mais, d’une part, la partie est-elle jouable (elle ne l’était guère en Afghanistan, pour l’Irak et la Libye, on ne sait trop déjà à moyen terme) autrement ? D’autre part, la France, l’Europe, sont dépendantes énergiquement. Ne pas « jouer » présentait aussi de graves inconvénients. Toute guerre est boueuse.

Intervention prématurée ou trop tardive ? La question vaut aussi par rapport à l’islamisme radical qui, tôt ou tard, de par ses visées expansionnistes – considérées défensives, l’attaque étant meilleure parfois que la passivité – est une réelle menace. La contenir uniquement par les armes est une gageure. C’est sans doute déplorable, mais les contradictions ne peuvent pas être levées par un coup de baguette magique, et il faut composer avec les islams. Dont certains, c’est vrai, ne tolèrent pas la laïcité, même à la française, en tout cas dans leurs zones de domination. La huda (trêve tactique) s’impose des deux côtés, idéologiquement aussi. Le mat étant quasiment inenvisageable, tentons de faire en sorte de le roi adverse soit le plus pat possible.

Comme le résume assez bien Pierre-Henri d’Argenson sur Atlantico, « quelles limites devons-nous imposer au prosélytisme de ces pays sur notre propre sol ? Quelles exigences de réciprocité devons-nous poser ? » (y compris donc au Mali du nord ou du sud et ailleurs). Ce qui ne vaut pas que pour la France.

Évolutions positives

Il avait dû être fait appel à des Antonov, ils seront moins indispensables puisque le Canada, mais aussi l’Espagne, l’Italie, en attendant d’autres pays, entrent aussi, de fait, « en guerre » à la suite des États-Unis et du Royaume-Uni. L’appui est insuffisant ? L’appui initial l’a sans doute été, dont acte. Était-il possible de procéder autrement ?

Nicolas Sarkozy avait forcé la main en Libye. Cela n’a pas trop mal réussi initialement, mais les suites avaient de quoi faire hésiter des partenaires.

Un très ferme soutien ne doit cependant pas être « inconditionnel » (en dépit du sentiment de Rachida Dati : François Hollande, mais aussi l’état-major, peuvent se fourvoyer, comme tout le monde… réitérer un tel soutien au président français est superflu ; Rachida Dati n’a d’ailleurs par évoqué un soutien irréversible). Le fait que des envoyés spéciaux seraient pris en otages ne doit pas entraîner approbation de l’interdiction dictée par le commandement militaire d’approcher les zones de combat.

La question amazigh

Si elle est véridique, la remontée sur près de 1 700 km du commando de « Bellaouar » (Mokhtar Belmokhtar), notamment le long de la frontière algéro-libyenne est inquiétante. L’action l’est tout autant si des groupes basés en Algérie, Libye (voire le sud tunisien ?) ont pu se joindre à la colonne s’étant emparée du site gazier de BP. Le MLNA (touareg, laïque ou islamique modéré) n’a rien vu venir ? Les pays voisins non plus ? Il va bien falloir composer avec des factions ou des dictatures ou des régimes peu ragoutants. Et puis, si l’opération avait été planifiée « au cas où », cela peut établir qu’elle aurait été aussi envisagée pour une date ultérieure, après renforcement de l’emprise djihadiste sur tout le Sahel (comme l’a suggéré Bernard Longuet).

Dans ce cas, l’union « sacrée », oui, mais pas avec œillères. Les risques sont très élevés, des revers probables. Il faudra peut-être s’en prendre à des Touaregs de diverses origines ou localisations qui apporteraient un soutien à l’adversaire, même s’il ne s’agit pour eux que de nourrir leurs familles.

Comme l’a souligné Romano Prodi, « je ne suis pas un belliciste et par le passé, face à d’autres épisodes de guerre comme en Libye, j’ai manifesté des doutes. Mais dans ce cas, il me semble qu’il n’y avait pas d’autres moyens à mettre en œuvre pour éviter le pire. ».

Je manifeste aussi des doutes sur la « paix » en Libye. Cette guerre peut y offrir prétexte à tenter de « pacifier » le Fezzan et l’est de la Tripolitaine. Prodi poursuivait dans L’Unita (titre bien choisi en la circonstance) : les Touaregs « ont été supplantés par les forces purement djihadistes ».  Mais, non, les rebelles ne sont pas tous « devenus djihadistes ». Ni tous, ni forcément durablement, ni même tous combattants ou trafiquants.

Propagandes

Il n’y aura pas qu’un type de propagande (l’officielle, la djihadiste qui s’est manifestée par un « Français, AlQuaida fera de Mali votre cimitiere » – sic), ils seront multiples.

Aux forces tchadiennes d’appui à la Misma, ou Afisma, (le Tchad n’a pas déjà rejoint la Cédéao, mais la conforte, est membre de l’Oci musulmane), le ministre tchadien de la Défense a adressé ce message : « vous partez pour défendre une cause juste et donc ayez un comportement exemplaire. ». En face, la cause est estimée tout aussi juste et le comportement tout autant exemplaire, selon de tout autres critères. De plus, rarement les causes sont uniques. De même que le tiers des sondés qui, en France, désapprouvent l’intervention, n’ont pas de cause unanime.

Mais, oui, « Barbe rouge », le Madhi local, veut instaurer la charia la plus radicale partout dans le monde. Pour le contrer, l’islam malien du sud s’est en partie durci, devenant plus rigoriste. On voit quelles sont les répercussions du conflit libyen qui a provoqué un exode de Touaregs vers le nord du Mali, et la radicalisation de certains.

Au Mali des voix prônent l’anéantissement total de la rébellion du nord (MLNA inclus ? sans doute). Comme si elle n’était pas exportable. Comme si composer avec un islam devenu plus rigoriste, mais « acceptable », serait l’une des solutions durables ? Lorsque les religions se radicalisent, on sait comment cela commence, on ne sait où cela finit.

Rappelons que l’Oci (Organisation de la coopération islamique, regroupant 57 états dont le Mali, basée à Djeddah) en appelait déjà aux négociations et au cessez-le-feu. L’appel a été critiqué et il a été souvent caviardé cette précision « dès que possible ». L’Oci regroupe aussi des pays islamistes (et beaucoup de musulmans). Il y a matière à débat.

Débat inopportun, vraiment ?

Quant Henri Guaino (UMP) déclare « pas maintenant, c’est la guerre (…),ce n’est pas le moment d’ouvrir un débat politique », serait-il Mélenchon ou Marine Le Pen qu’il aurait partiellement tort. Un débat politicien s’impose peu, un débat politique est toujours nécessaire, à tout moment.

Pour le moment, seul le NPA dénonce « La France en pompier pyromane ». Eh bien non, si « la menace islamiste constitue le paravent de cette opération militaire », la menace n’en est pas moins réelle. Et s’il y a d’autres moyens pour que « les Maliens se libèrent de tous les fondamentalismes », l’un d’eux consiste à ne pas les laisser gagner du terrain au Mali. Un autre est peut-être une approche plus affinée de la huda laïque.

Quant à la crainte que l’intervention déclenche « une guerre contre l’Occident » au Sahel, ne nous leurrons pas, elle était déjà engagée en Libye. Où il a été laissé faire.
Il ne s’agit pas là d’ouvrir un débat politique passéiste, mais de tirer les leçons du passé. Ce n’est pas du tout identique.

Et puis, oui, disons-le tout net : cette guerre contrecarre l’objectif de contenir la dépense publique.

Il faudra bien tailler dans des dépenses moins essentielles, notamment civiles.

Si l’actuel gouvernement le faisait de la manière dont a procédé l’UMP (maintien des privilèges, népotisme, dépenses régaliennes, clientélisme, favoritisme pour les partenariats public-privé, &c.), serait-il moins critiquable ?
Le débat doit rester global, la guerre ne devra pas l’occulter.