au XXème siècle.

 

Après l'affaire Dreyfus, la Franc-maçonnerie entre dans la tourmente d'un scandale qui est dévoilé par la presse en 1904, c'est l'affaire des fichages politiques et religieux menée par l'armée Française au début du XXème siècle. Elle débute en 1901 lorsque le général André [1], ministre de la guerre, et qui n'est pas franc-maçon, met en fiches les convictions philosophiques et religieuses de quelques 27000 officiers, pour gérer leur avancement. Les renseignements sont fournis par des centaines de francs-maçons dans tout le pays.

 

Les origines de l'affaire,

Le général Louis André est nommé le 29 mai 1900 ministre de la guerre par Waldeck Rousseau [2] président du Conseil sur la suggestion de Maurice Ephrussi, (banquier né le 18 novembre 1849 à Odessa (Russie) et mort le 29 octobre 1916 à Paris XVIe), pour remplacer le général Gaston de Galliffet [3] démissionnaire, puis reconduit dans celui d'Émile Combes [4], après le triomphe du bloc des gauches aux élections de 1902.

Désireux de républicaniser l'armée en la laïcisant, le général fait appel aux loges maçonniques (cellules locales) du Grand Orient de France par le biais de Frédéric Desmons, ancien sénateur du Gard et président du conseil de l'ordre du Grand Orient de France, dont l'obédience est à l'époque pleinement engagée dans la lutte pour la séparation de l'Église et de l'État, pour établir au total 25 000 fiches sur les opinions politiques et religieuses des officiers.

Dans la pratique, la direction du Conseil de l'Ordre fait passer une circulaire aux vénérables maîtres présidents de chaque loge de cette obédience pour leur demander de rassembler à leur niveau le plus d'informations possible sur les officiers des garnisons de leurs villes ou départements. Si de nombreux vénérables (généralement ceux des loges bourgeoises modérées qui désapprouvent les excès du combisme, voir [4]) ne donnent pas suite, ne voulant se compromettre dans une opération de «basse politique», d'autres, surtout ceux des ateliers les plus politisés (radicaux ou socialistes), se lancent avec enthousiasme dans l'opération.

Sur les fiches ainsi constituées, on pouvait voir des mentions comme «VLM» pour «Va à la messe» ou «VLM AL» pour «Va à la messe avec un livre». Les fiches ne se contentent pas de rapporter uniquement des faits comme en témoignent les appellations de «clérical cléricalisant », «cléricafard», «cléricanaille», «calotin pur-sang», «jésuitard», «grand avaleur de bon Dieu », «vieille peau fermée à nos idées», «rallié à la République, n'en porte pas moins un nom à particule».

Les fiches rapportent aussi la vie privée ou familiale des officiers, «suit les processions en civil », «a assisté à la messe de première communion de sa fille», «Membre de la Société Saint-Vincent-de-Paul», «A ses enfants dans une jésuitière», «Reçoit La Croix chez lui», «A qualifié les maçons et les républicains de canailles, de voleurs et de traîtres», «richissime», «a une femme très fortunée», «Vit maritalement avec une femme arabe», «A reçu la bénédiction du Pape à son mariage par télégramme».

Les fiches sont d'abord centralisées au secrétariat de la rue Cadet siège du GO, par Narcisse-Amédée Vadecard, secrétaire du Grand Orient de France, et son adjoint Jean-Baptiste Bidegain [5] puis transmises au capitaine Henri Mollin, gendre d'Anatole France et franc-maçon et membre du cabinet du général André. Le nombre total de fiches était d'environ 18818 entre le premier septembre 1901 et le 30 octobre 1903. Le général André avait déjà constitué un fichier baptisé Corinthe et Carthage ou les officiers étaient classés pour la constitution des tableaux d'avancement sur deux listes d'après les renseignements fournis, poétiquement nommées par André Corinthe (les officiers à promouvoir) et Carthage (ceux à écarter des promotions).

Mais œuvre personnelle, il ne comportait que quelque dizaines de noms. Il demande donc aux Préfets de lui signaler les officiers cléricaux et les officiers républicains, le résultat n'est pas à la hauteur de ses attentes. C'est à partir de ce constat qu'il pense faire appel au Grand Orient de France, et le Grand Maître, et député radical, Louis Lafferre [6] charge Narcisse Amédée Vadecard de trouver une personne sure au sein de chaque Loge et d'être le contact de d'Henri Mollin pour la transmission des renseignements au ministère de la guerre.

Le Capitaine Mollin «se sent d'autant moins coupable qu'il a eu connaissance par ses amis politiques, de l'existence, au moment de l'affaire Dreyfus, d'un réseau de surveillance orchestré par les Augustins de l'Assomption. En effet, les assomptionnistes avaient mis en place un système de fiches sur lesquelles les citoyens influents se trouvaient affectés de coefficients B, D ou M, initiales de «bons, «douteux» ou mauvais».

Quoi de plus naturel donc pour combattre ses adversaires que d'employer des méthodes identiques ? La collaboration Mollin-Vadecard va être couronnée de succès puisque 18 818 fiches ont été élaborées. Les officiers républicains si longtemps mis à l'index par leur hiérarchie rétrograde peuvent enfin recevoir une promotion méritée et si longtemps empêchée.

 

Le déclenchement de l'affaire.

Pris de scrupules, Jean-Baptiste Bidegain prend soudain conscience de la bombe politique qu'il possède entre les mains en cette période d'effervescence extrême due à la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège suite aux malheureuses affaires des évêques Geay et Le Nordez.

Par l'intermédiaire d'un prêtre, l'abbé Gabriel de Bessonies, il prend contact avec un ancien officier d'Etat-Major, élu député nationaliste d'extrême droite de Neuilly en 1902, Jean Guyot de Villeneuve [7], et lui vend un lot de fiches ainsi que l'intégralité des lettres de demande de renseignements adressées rue Cadet par le capitaine Mollin. Jean Guyot de Villeneuve interpelle le gouvernement à la Chambre le 28 octobre 1904.

Le scandale est énorme à la Chambre de députés, la presse d'extrême droite se déchaine, et le gouvernement ne se sauve que de justesse en affirmant avoir tout ignoré de ce système. Le 4 novembre, Jean de Villeneuve revient à la charge, apportant la preuve matérielle de la responsabilité du général Louis André, un document paraphé par lui faisant référence explicite les fameuses fiches. Convaincu de mensonge, le gouvernement est sauvé in extrémis par un incident de séance,

«le député nationaliste Gabriel Syveton [7] croit bon de gifler sur le banc même des ministres le général André, geste de violence inepte qui ressoude pour quelques heures la majorité».

Le ministre de la guerre est néanmoins contraint de démissionner quelques jours plus tard, ce qui ne suffit pas à sauver le cabinet Combes, (qui avait succédé entre temps à Waldeck-Rousseau), qui après avoir vivoté encore quelques semaines avec des majorités misérables, doit se résoudre à se retirer.

Gabriel Syveton est retrouvé mort, mystérieusement asphyxié dans sa cheminée avec un journal sur la tête, la veille du procès où il devait répondre de sa fameuse gifle. Les nationalistes, par exemple André Baron, crient à l'assassinat mais l'enquête officielle conclut au suicide. Ce fût la fin de la carrière politique du général André qui démissionna le 15 novembre 1905.

 

Les suites politiques de l'affaire.

Les fonctionnaires n'ayant pas à l'époque de statut protecteur et étant considérés comme des agents du gouvernement d'une part, les militaires ayant un rôle et un statut très particulier sous la Troisième République d'autre part,

ils ne votent pas et n'ont pas le droit d'exprimer publiquement des opinions politiques, du moins pas au sens de factions, durant leur service actif,

le général André avait paradoxalement le droit, du moins dans l'idée des prérogatives politiques de l'époque, du gouvernement sur ses agents, bien qu'il soit ici tout de même aux limites de la légalité de faire surveiller ses officiers, y compris dans leur vie privée, au nom de l'intérêt supérieur de l'État. Aucune poursuite judiciaire ne sera intentée contre lui.

Seul Syveton est poursuivi sur le plan judiciaire, pour voie de fait sur la personne du ministre de la Guerre en plein parlement, mais son décès prématuré prive la France d'un de ces épisodes amusants dont elle raffole à l'époque.

Cette affaire ouvrira cependant la voie à une série d'innovations juridiques destinées à améliorer la transparence de l'action administrative. Ainsi, l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, faisant suite à la révélation de l'affaire des fiches, autorise les agents publics, avant toute mesure disciplinaire notamment, de consulter l'intégralité de leur dossier. Par la suite, l'obligation de respecter les droits de la défense sera érigé en principe général du droit. Par contre, c'est au niveau politique que se situe ici la crise.

L'affaire provoque la chute du Cabinet Combes et sa fin politique le 15 janvier 1905, avec en prime l'ironie de certains radicaux comme Clémenceau, et la colère des républicains modérés du bloc des gauches, comme les futurs présidents Raymond Poincaré, Paul Deschanel ou Paul Doumer, qui démissionnera même quelque temps du Grand Orient.

Le Grand Orient de France défend les frères auteurs de fiches, victimes de la vindicte populaire et qui n'ont fait que leur devoir de bons républicains. Des carrières et des réputations sont brisées, souvent fort injustement comme celle du frère Bedarride. Certains même se suicident. Pourtant, les Français n'ont, fort heureusement, pas été sensibles aux sirènes des réactionnaires cléricaux.

 

«Les candidats francs-maçons n'ont-ils pas été victorieux, dans presque toute la France, aux élections sénatoriales puis législatives de mai 1906 ?».

 

De sorte que, elle n'empêchera pas la poursuite de la politique de républicanisation du personnel de l'État, et donc de l'armée, et l'offensive anticléricale de la majorité, qui sera reconduite et renforcée encore lors des élections de 1906 après la séparation des Églises et de l'État. L'affaire des fiches restera pour le GOF une affaire douloureuse à laquelle on ne reparlera plus.

 

Les suites morales de cette affaire.

Plus gravement, l'affaire des fiches entamera profondément le moral et la cohésion du corps militaire à une époque où, à l'inverse des Français, le gouvernement allemand se persuade de plus en plus, comme l'empereur Guillaume II dès son avènement, qu'une guerre est à terme une nécessité inéluctable pour le développement et la prospérité politique et économique de son pays.

Les officiers considérés comme «réactionnaires et cléricaux», généralement issus de familles traditionalistes, ont été souvent écartés des postes importants de l'armée, quelquefois au profit de carriéristes médiocres issus des loges ou de la clientèle des partis de gauche, et la France a dû se passer d'eux pendant la Première Guerre mondiale, en tant qu'officiers d'active à tout le moins.

Certains antirépublicains, comme Léon Daudet, ont cru expliquer les premiers succès de l'offensive allemande en 1914 par l'incompétence de ces officiers dont près de la moitié a été limogée par Joffre pour incompétence.

En outre, suite à l'affaire Dreyfus, le service de renseignement de l'armée (Deuxième Bureau), considéré comme subversif, a déjà été épuré et complètement désorganisé durant un certain temps, ce qui donnera aux services allemands une longueur d'avance dans ce domaine en plein développement de l'art de la guerre. Pour l'anecdote, le colonel Pétain, directeur de l'école de Saint-Cyr, connu pour ses sympathies républicaines et dreyfusardes, sera approché pour collaborer au fichage de ses subordonnés et étudiants, et peut-être aussi pour intégrer la loge Alsace-Lorraine, la loge de prestige, d'ailleurs très modérée, du GO à laquelle appartiennent ou ont appartenu des notables républicains modérés de tendance plutôt nationaliste comme Jules Ferry ou le général Joffre.

Son refus brutal et assez méprisant sera sanctionné par une fiche transmise par le G.O. au ministère de la guerre et la stagnation de sa carrière qu'il reprochera durablement à la maçonnerie.

 

En conclusion.

Le général André ne fut jamais, semble-t-il, franc-maçon lui-même. Il aurait choisi cette organisation pour une raison essentielle, leur bonne disposition politique et religieuse de principe, mais aussi pour des raisons essentiellement pratiques pour cette sorte de «flicage», le nombre important de ses membres pour l'époque, leur dispersion géographique sur tout le territoire métropolitain et colonial, l'anonymat ou le secret de l'appartenance de la plupart des simples adhérents, leur culte apparent du secret. Rétrospectivement pourtant, la naïveté du général André semble surprenante. Doutant de la loyauté républicaine de ses propres services internes, «trop réactionnaires» et discrédités par l'affaire Dreyfus, il confie cette opération de police secrète à une association de citoyens de plusieurs dizaines de milliers de membres, composée non de professionnels mais de «détectives amateurs».

Il ne semblait pas envisager que l'affaire puisse être divulguée au public. Un tel amateurisme se rattache sans doute psychologiquement plus à un reste de la mentalité du romantisme des «sociétés secrètes» du XIXe siècle qu'à un travail sérieux de police politique moderne. Cependant, à l'occasion de cette affaire, les capacités de la franc-maçonnerie à collecter et à organiser ces données a surpris une partie de la société. Cette affaire nourrira durablement le courant antimaçonnique Français.

L'Affaire des Fiches eut aussi des retombées tardives. Si Pétain demanda ardemment dès août 1940, bien avant le statut des juifs, la loi sur la dissolution des sociétés secrètes (c'est à dire l'interdiction de la Franc-maçonnerie), c'est parce qu'il avait toujours pensé que son avancement avait été retardé à cause de sa fiche.

Cet être mesquin et vindicatif portera toujours une haine inexpugnable à la Franc-maçonnerie et aux francs-maçons dont il supervisa personnellement les persécutions sous le régime collaborationniste à Vichy.

La fiche du colonel Pétain, rédigée par le capitaine Pasquier alors que le futur Maréchal commandait le 104ème de ligne est ainsi rédigée,

«Passé à l'école de Guerre. Inconnu, mais des renseignements nouveaux et sérieux le donnent comme professant des idées nationalistes et cléricales».

On ne pouvait voir plus clair que le frère Pasquier…

Lire aussi, «La vérité sur l'Affaire des fiches par Jean Bidegain, une Conspiration sous la Troisième République»,ici. Lire aussi scandale au Grand Orient ici.

 

[1] Le général André,

Louis Joseph André, né à Nuits-Saint-Georges le 29 mars 1838 et décédé à Dijon le 18 mars 1913, est général et ministre de la Guerre de la IIIe République.

Louis André entre à l'École polytechnique en 1857 et poursuit sa formation militaire à l'École d'application de Metz. Colonel en 1888, il est nommé général de brigade et commandant de l'École polytechnique en 1893. Chef de la garnison du Mans dans les années 1890, il s'y fait remarquer comme un républicain intransigeant et par son anticatholicisme virulent avec sa haine d'une société bourgeoise conservatrice dont il est issu et qui le rejette.

Cet homme au visage ingrat, malgré son passage dans la Garde impériale, qui n’est pas franc-maçon, est un positiviste voltairien et libre penseur, disciple d'Émile Littré. Loin de freiner sa carrière, ses idées le servent et pour Émile Mayer, c’est «l’amitié de Sadi Carnot, président de la République, pour son camarade de promotion Louis André» qui explique l’accession au généralat de cet officier.

Nommé général de division en 1899, il est officier de l'Instruction publique, commandeur de la Légion d'honneur et sera médaillé militaire en 1903.

Le 29 mai 1900, il succède au général Galliffet au ministère de la Guerre, il y restera jusqu'au 15 novembre 1905.

Il s'est fait remarquer par le président du Conseil Pierre Waldeck-Rousseau à qui il ne cache pas son désir d'épurer l'armée par tous les moyens de ses éléments «réactionnaires» et «cléricaux». Pierre Waldeck-Rousseau pensera à lui pour poursuivre sa politique de républicanisation de l'armée. André se fixe alors pour tâche de démocratiser l'armée et de «rapprocher le corps des officiers de la nation républicaine». Il est à l'origine de la loi du 21 mars 1905 qui

abaisse la durée du service militaire à deux ans.

En juin 1902, le cabinet anticlérical du «petit père» Combes succéda à Waldeck-Rousseau. Le général André restera à la Guerre. En avril 1903, à la suite d'un long discours de Jean Jaurès [1.1] demandant à la Chambre la révision du procès de Dreyfus, André accepta au nom du gouvernement de faire une enquête qui fut dite «préliminaire». Le général André était sans préjugés mais il n'était pas convaincu de l'innocence de Dreyfus. Il confia l'enquête au commandant Antoine Louis Targe. Celle-ci confirma officiellement que le dossier de Rennes comprenait notamment des témoignages suspects et des pièces matériellement altérées. Ce fut le premier pas vers la 2e révision du procès Dreyfus.

André fut alors convaincu de l'innocence de Dreyfus. Il considéra que sa tâche était de prendre la défense des officiers républicains, dont la carrière avait souffert du fait de leur prise de position dans l'Affaire, contre les attaques des éléments réactionnaires. À cet effet, il confia à son chef de cabinet le général Percin et son ordonnance le capitaine Mollin, membres du Grand Orient, la constitution d'un système de fiches relatant les opinions politiques et religieuses des officiers. 25000 fiches furent ainsi constituées à l'aide d'informations transmises par la hiérarchie militaire quelquefois aidée par les francs-maçons.

 

[1.1] Jean Jaurès.

Certainement la figure la plus sacrée de l'histoire et de la mémoire des socialistes Français.

180px-jean_jaures_03.1242656106.jpgJean Jaurès est un homme politique, né à Castres (Tarn) le 3 septembre 1859 et mort assassiné à Paris le 31 juillet 1914 par le militant d'extrême-droite Raoul Villain.

Orateur et parlementaire socialiste il s'est notamment illustré par son pacifisme et son opposition au déclenchement de la Première Guerre Mondiale.

Jean Jaurès n'était pas franc-maçon.

Après de brillantes études de philosophie, il est reçu premier à l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm en philosophie, puis troisième à l'agrégation de philosophie en 1881, (il obtiendra son doctorat en philosophie en 1892. Sa thèse s'intitule «De la réalité du monde sensible, sa thèse secondaire, en latin». Des origines du socialisme chez Luther, Kant, Fichte et Hegel), il enseigne à Albi puis à Toulouse. En 1885, il devient député du Tarn sous une étiquette républicaine. Son activité de journaliste commence à peu près à la même période, à «La Dépêche», à partir de 1887. Conseiller municipal puis maire adjoint de Toulouse, Jaurès est un connaisseur du monde ouvrier. Ayant en outre étudier la pensée et les militants socialistes, il s'en rapproche de plus en plus, le baptême étant la grève de mineurs de Carmaux.

En 1892, quand éclate la grande grève des mineurs de Carmaux, Jean Jaurès est à l'écart de la vie politique nationale. L'origine du conflit est le licenciement par «La compagnie des mines», dirigée par le baron Reille, (l'homme fort de la droite tarnaise), et par son gendre le marquis de Solages (député de la circonscription) d'un de ses ouvriers, le leader syndical et socialiste, ouvrier mineur, Jean-Baptiste Calvignac qui venait d'être élu maire de Carmaux le 15 mai 1892.

Le prétexte motivant le licenciement est les absences de Jean-Baptiste Calvignac provoquées par ses obligations d'élu municipal.

180px-jauresacarmaux.1242656151.jpgMonument de Jaurès à Carmeaux sclpture de Gabriel Pech.

Ce licenciement est considéré par les mineurs comme une remise en cause du suffrage universel et des droits réels de la classe ouvrière à s'exprimer en politique. Les ouvriers se mettent en grève pour défendre «leur» maire. Les autorités républicaines envoient l'armée (1500 soldats) au nom de la «liberté du travail». En plein scandale de Panamá, la République semble ainsi prendre le parti du patronat monarchiste contre les grévistes.

Dans ses articles à la Dépêche, Jean Jaurès soutient cette grève des mineurs de Carmaux. Il accuse la République d'être aux mains de députés et ministres capitalistes favorisant la finance et l'industrie aux dépens du respect des personnes. Durant cette grève, il fait l'apprentissage de la lutte des classes et du socialisme. Arrivé intellectuel bourgeois, républicain social, Jean Jaurès sort de la grève de Carmaux acquis au socialisme. Sous la pression de la grève et de Jaurès, le gouvernement arbitre le différend marquis de Solages-Calvignac au profit de l'ouvrier Calvignac. Solages démissionne de son siège de député. Jaurès est alors désigné par les ouvriers du bassin pour les représenter à la Chambre. Il est élu le 8 janvier 1893 comme socialiste indépendant malgré les votes ruraux de la circonscription.

Jaurès est à la tête du Parti socialiste Français avec Edouard Vaillant.

Il représente un courant bourgeois et pragmatique.

Socialistes non marxistes, les amis de Jaurès soutiennent la participation des socialistes au gouvernement du Bloc des Gauches. C'est la première fois que des socialistes deviennent ministres (Millerand et Briand dans les gouvernements Waldeck-Rousseau puis Combes). Soucieux d'affermir la République, Jaurès est l'un des pères de la loi de 1905 sur la séparation de l'Église et de l'État.

Issu lui-même d'une tradition catholique, il défend l'idée que les croyances religieuses d'un individu ne sauraient le priver d'appartenir lui aussi à une communauté de destin.

Auparavant, il a joué un rôle fondamental dans l'Affaire Dreyfus.

Jaurès bataille dur au sein de la famille socialiste pour son unité. Le Congrès de 1904 de l'Internationale socialiste, réuni à Amsterdam, enjoint les socialistes Français à trouver la voie de l'unité, ce qui est obtenu en 1905 avec la fondation de la Section Française de l'Internationale Ouvrière. Certes, il est mis en minorité sur la question de la participation des socialistes au gouvernement (lui est pour, mais les autres s'émeuvent de la présence dans le même cabinet d'un général qui a participé à la répression de la Commune), mais il accepte de faire l'unité avec Guesde.

Dès lors, c'est Jaurès qui sera la figure la plus importante de la jeune SFIO.

Après le combat en faveur de la révision du procès du capitaine Dreyfus, le combat le plus important de Jaurès sera en faveur du pacifisme. Il s'est battu contre la loi des trois ans (trois ans de service militaire) et il milite contre l'impérialisme Français qui, ne se différenciant pas de la politique Allemande, participe d'un dangereux engrenage qui met la paix de l'Europe en danger.

Il devient dès lors l'homme à abattre pour les nationalistes. Il est assassiné le 31 juillet 1914 au Café du Croissant, à Paris, par un nationaliste.

Ses cendres seront transférées au Panthéon en 1924.

 

[2] Waldeck-Rousseau.

180px-pierre_waldeck-rousseau_by_nadar.1242489092.jpgPierre Marie René Ernest Waldeck-Rousseau, né à Nantes (Loire-Atlantique) le 2 décembre 1846 et mort à Corbeil-Essonnes le 10 août 1904, est un homme politique.

Il est célèbre pour avoir participé à la légalisation des syndicats par la loi du 21 mars 1884 dite Loi Waldeck-Rousseau ainsi que la loi relative au contrat d'association de 1901.

Il a également dirigé le gouvernement le plus long de la IIIe République.

Avocat au barreau de Saint-Nazaire, il participe à la rédaction du journal l'Avenir puis il s'installe à Rennes en 1873 et se fait élire député en 1879 comme membre de l'Union républicaine, soutenant à la Chambre les Opportunistes. Il devait exercer ce mandat parlementaire pendant dix ans. Il devient ministre de l'Intérieur dans l'éphémère gouvernement de Léon Gambetta [2.1] (où il conserve son poste du 14 novembre 1881 au 30 janvier 1882) puis dans le second gouvernement de Jules Ferry [2.2] (23 février 1883 – 6 avril 1885). C'est alors qu'il se fait l'avocat de la liberté d'association, déposant une première proposition de loi dès 1882.

Après la chute du gouvernement Ferry, le 30 mars 1885, Pierre Waldeck-Rousseau s’éloigne peu à peu de la vie politique nationale.

Dans une France déchirée par l'Affaire Dreyfus, il contribue à la constitution du Bloc républicain et occupe les fonctions de président du Conseil des ministres du 22 juin 1899 au 3 juin 1902 succédant à Charles Dupuy et étant à son tour remplacé par Émile Combes. Il cumule ses fonctions avec les portefeuilles de ministre de l’Intérieur et des Cultes.

Investi le 26 juin 1899, ce gouvernement de «défense républicaine» très hétéroclite comprend dans ses rangs des républicains progressistes, des radicaux, le général Gaston de Galliffet, qui avait participé à l'écrasement de la Commune en 1871, tout comme le socialiste Alexandre Millerand.

C'est la première fois qu'un socialiste participe à un gouvernement de la IIIe République.

Waldeck-Rousseau décide la révision du procès Dreyfus à Rennes. Il soutient aussi des lois sociales, le 30 mars 1900 une loi sur le travail des femmes et des enfants est promulguée suivie le 30 septembre d’une loi qui abaisse à onze heures la durée du travail journalier. Il réussit enfin à faire voter une loi qui lui tient depuis longtemps à cœur, la loi relative au contrat d’association est adoptée par le Sénat le 22 juin 1901, votée par la Chambre des députés le 28 juin, et promulguée le 1er juillet.

Exaspéré par les interventions des congrégations religieuses dans les affaires politiques, il a voulu les soumettre au droit commun mais le Parlement vote un texte plus sévère que celui prévu par le président du conseil. Il mène le Bloc des gauches au succès lors des élections législatives de 1902 mais, souffrant du cancer du pancréas qui devait l'emporter deux ans plus tard, il démissionne dès le 3 juin 1902. Il s'oppose au Sénat à l'application rigoureuse faite par son successeur à la loi de 1901, déplorant qu'on ait transformé une «loi de contrôle en loi d'exclusion».

Waldeck-Rousseau a été jusqu'au bout une grande figure libérale du parti républicain.

 

[2.1]Léon Gambetta.

180px-leongambetta.1242496356.jpgLéon Gambetta par Léon Bonnat.

Léon Gambetta, né le 2 avril 1838 à Cahors et mort le 31 décembre 1882 (à 44 ans) à Sèvres, est un homme politique républicain. Il a été président du Conseil et ministre des Affaires étrangères du 14 novembre 1881 au 30 janvier 1882.

Il fût initié franc-maçon en 1869 à la Loge La Réforme.

Père fondateur de la IIIème République, Léon Gambetta naît de parents commerçants Italiens Génois. Il commence une carrière d'avocat libéral sous le Second Empire avant de se consacrer à la politique. Député républicain, auteur du programme radical de Belleville en avril 1869, où il y demandait entre autre, l'école gratuite, laïque et obligatoire, la liberté de la presse, le suffrage universel. Après la défaite de Sedan, il entre dans le gouvernement provisoire, participe à la journée révolutionnaire du 4 septembre 1870 au cours de laquelle furent proclamées la déchéance de l'empereur Napoléon III et la naissance de la République.

Il assume alors la défense du pays envahie par les Prussiens en organisant une délégation chargée de la conduite de la guerre. Chef de l'union républicaine, il défendit la république contre la restauration monarchique et prononça un discours en 1871 pour les valeurs démocratiques. Grâce à cet homme politique clairvoyant et attentif aux réalités, la République l'emporte lors de la tentative de coup de force de 1877. En 1879, il devient président de la Chambre des Députés puis Président du Conseil en 1881. Son grand ministère est renversé après seulement quelques semaines en 1882.

En novembre 1882, un coup de pistolet le blessa à la main et il contracta une septicémie. Officiellement le coup survint lorsqu'il réparait son arme, d'autres pensent que c'est sa maîtresse qui en fut la cause. Il mourut quelques semaines après, à l'âge de 44 ans. Après son décès, Léon Gambetta devient le symbole du patriotisme républicain.

En 1920 son cœur fut placé au Panthéon.

 

[2.2]Jules Ferry.(voir le dossier suite 6 ici)

 

[3] Gaston de Galliffet.

220px-galliffet_gaston_de.1242554286.jpgLe général marquis Gaston Alexandre Auguste de Galliffet, prince de Martigues, est un militaire né à Paris le 23 janvier 1830 et mort à Paris le 9 juillet 1909 qui fut ministre de la Guerre dans le gouvernement Waldeck-Rousseau. Sa carrière ministérielle est marquée par ses positions impopulaires pendant l'Affaire Dreyfus.

Après de médiocres études et l’obtention de son baccalauréat ès lettres (1846), il s’engage le 22 avril 1848 dans la cavalerie légère. Il est brigadier le 3 octobre 1849 puis sous-officier le 13 décembre 1850. Il devient sous-lieutenant en 1853, est nommé au régiment de Guides, garde personnelle de Napoléon III et fait chevalier de la Légion d'honneur.

Plus intéressé par la vie mondaine, le jeu et les femmes que par la carrière militaire et ayant hérité, en 1854, à la mort de ses parents, d’une petite fortune, il songe à démissionner de l’armée.

Il est promu au grade de colonel le 14 août 1867 du 3e Régiment de chasseurs d'Afrique, puis il est admis en 1re section des officiers généraux avec le grade de général de brigade le 30 août 1870. Il commande la brigade de chasseurs à cheval qui charge à Sedan. À l'issue de sa captivité, il retourne en France pour commander une brigade de cavalerie de l'armée de Versailles et participe aux opérations contre la Commune où il se distingue par sa férocité envers les insurgés et gagne le surnom du «Marquis aux talons rouges».

Il commande ensuite la subdivision de Batna puis la 31e brigade (1874-1875) et est promu commandeur de la Légion d'honneur en 1873. Général de division le 3 mai 1875, il commande la 15e Division (1876-1878), puis le 9e Corps d'Armée (1879-1881).

Il est candidat à l'élection présidentielle de 1879.

Élevé à la dignité de grand officier de la Légion d'honneur en 1880 il est distingué par Gambetta et nommé gouverneur de Paris. Il commande ensuite le 12e corps d'armée (1882-1886). Président du comité de cavalerie (1881-1885), il réorganise la cavalerie Française. Il est fait grand croix de la Légion d'honneur en 1887. Il appartient au Conseil supérieur de la Guerre, est inspecteur général de l’École d’application de cavalerie, de la section de cavalerie de l’École spéciale militaire et du manège de l’École de Guerre et directeur permanent des manœuvres de cavalerie.

Au moment de l' affaire Dreyfus, c'est à ce militaire en retraite, à la réputation sulfureuse, que Waldeck-Rousseau confie le ministère de la guerre dans son gouvernement dit de «Défense républicaine» constitué le 22 juin 1899 suite à la crise de régime consécutive à l'affaire Dreyfus, son républicanisme et son opportunisme d'un côté, sa réputation de «bourreau de la Commune» de l'autre côté, faisant paradoxalement de ce personnage détesté de tous les bords, un homme sûr et prêt à appliquer des décisions impopulaires pour l'armée. Il montra son caractère quand, accueilli par les députés socialistes qui criaient, «Assassin!», il répondit simplement, «Assassin ? Présent».

C'est lui qui décide de demander la révision du procès de Dreyfus dont la réhabilitation avait été soutenue par Émile Zola. Ainsi, le 21 septembre 1899, il peut déclarer à la Chambre à propos de l'affaire Dreyfus, suite à la grâce présidentielle de celui-ci et à sa remise en liberté : «l'incident est clos». Sa carrière ministérielle s'achève par sa démission le 29 mai 1900 du fait de critiques du président du Conseil sur certains membres de son administration. Son successeur au portefeuille de la Guerre est le général Louis André qui poursuivra efficacement, mais plus maladroitement, sa politique de «républicanisation de l'armée».

 

[4] Émile Combes.

Émile, Justin, Louis Combes, né à Roquecourbe (Tarn) le 6 septembre 1835 mort à Pons (Charente-Maritime) le 25 mai 1921, est un homme politique.

180px-emile_combes.1242654046.jpgIl est issu d'une famille relativement pauvre. Poussé par son oncle, curé, l'abbé Gaubert, il suit des études au séminaire et devient docteur en théologie en 1860. Il perd la foi et abandonne l'Eglise au milieu des années 1860, et entreprend alors de suivre des études de médecine. Diplôme en main, il s'installe dans la petite ville de Pons (en Charente-Inférieure, désormais en Charente-Maritime), où il installe son cabinet. Il en est élu maire en 1876, et tiendra ce poste jusqu'en 1919 puis sénateur de la Charente-Inférieure en 1885 et devient Président de «La Gauche Démocratique». En 1902, il est désigné Président du Conseil et mène alors une politique dite du «Combisme» fortement anticléricale, qui mènera en 1905 à la loi de séparation des Églises et de l'État et à l'aboutissement de l'école laïque en France.

Mais il démissionne en 1905 avant que cette loi ne soit promulguée le 9 décembre 1905, suite à l'affaire des fiches. Élu sénateur en 1885, il devient l'un des leaders du radicalisme.Il succède à Waldeck-Rousseau à la présidence du Conseil, mai 1902. Il profite d'une confortable majorité par 368 contre 220, dont 48 socialistes, 90 radicaux-socialistes, 129 radicaux et 99 républicains divers. La Délégation des gauches (Union Démocratique, Radicaux, Radicaux-Socialistes et Socialistes) se réunit avec le Cabinet pour régler les problèmes susceptibles de surgir. Combes établit ainsi avec la Chambre un dialogue constant. Jean Jaurès y gagne un rôle prépondérant. L'anticléricalisme dont il fait preuve est relativement paradoxal pour un homme issu d'un milieu religieux et destiné à la prêtrise. C'est pourtant avec intransigeance qu'il applique les lois de 1901 et 1904 sur le droit des associations et la liberté d'enseignement des congrégations religieuses, plus de 2 500 établissements d'enseignement privés sont alors fermés. Les catholiques résistent, et l'on doit employer la force. Toutes les congrégations de femmes sont dissoutes, seules cinq congrégations d'hommes restent.

Combes considère que la lutte contre l'Église fortifie et glorifie la République. Attaqué par les catholiques, puis progressivement par les socialistes, l'affaire des Fiches va causer sa ruine. Symbole de la politique anticléricale et prologue à la séparation de l'Église et de l'État, l'expression «combisme» s'impose. Pourtant, Émile Combes, souvent tenu pour unique responsable de la crise sociale, politique et religieuse en germe, ne fait que traduire en actes le militantisme du bloc des gauches (radicaux et socialistes). Mais l'anticléricalisme dans lequel les gauches s'étaient réunies est une impasse. La France se montre impossible à déchristianiser, et le front républicain se divise.

La séparation des Églises et de l'État en 1905 y mettra un terme.

 

[5] Jean-Baptiste Bidegain.

Jean-Baptiste Bidegain (Paris, 1870-1926) était une personnalité du Grand Orient de France impliquée dans l'affaire des fiches, il devient par la suite un militant antimaçon.

Il se suicida en 1926.

Celui qui deviendra le «Judas du Grand Orient» au moment de l'affaire des fiches est né à Paris, dans le quartier du Sentier, le 26 avril 1870 d'une famille de pauvres paysans catholiques Basques.

Il entre «par curiosité» dans la Franc-maçonnerie en 1893 à la «Loge Le Travail et Vrais Amis Fidèles de la Grande-Loge Symbolique Écossaise». Influencé par le spiritualiste Oswald Wirth qui en est la figure de proue, Jean-Baptiste Bidegain est ensuite accueilli au Grand Orient de France par le docteur Blatin. Ce dernier, «le marchand de pommades», président de l'Obédience en 1894, lui procure «sans l'avoir consulté», selon Bidegain, un emploi au secrétariat de la rue Cadet en mai 1894.

Il devient dès lors «un scribe consciencieux aux appointements modestes». Maçon actif et zélé, il fonde en 1902 la très républicaine Revue du XXe siècle et, avec le collectiviste Lucien Deslinières, la «Loge L'Action Socialiste Bidegain devient secrétaire de cette Loge de tendance guediste et antisémite, composée exclusivement de socialistes». L'occultisme hérité de Wirth et ses idées politiques font du futur traître un élément original et marginal au Grand Orient. Il n’en est pourtant pas moins appelé à assister aux séances du Conseil de l'Ordre à partir de 1900, nommé secrétaire adjoint le 1er janvier 1901 et initié au 18e grade.

Le poste de secrétaire adjoint procure à Bidegain un pouvoir considérable au sein du Grand Orient.

En l'absence du secrétaire Narcisse-Amédée Vadecard, il est «le véritable chef de l’Ordre». En 1904, le député nationaliste Jean Guyot de Villeneuve est contacté par un mystérieux franc-maçon, «G.T», qui, «écœuré de l’usage que l’on faisait des fiches, voulait, dans un but patriotique, quitter la Franc-maçonnerie en criant tout haut la vérité». Cet énigmatique personnage n’est autre que le sous-secrétaire du Grand Orient de France, la «brebis galeuse»,  Jean-Baptiste Bidegain. Il annonce au député de Neuilly, Guyot de Villeneuve, qu'il possède les preuves de la délation dans l’armée, preuves pouvant entraîner la chute du ministère Combes et discréditer les radicaux dans l’opinion.

Bidegain, en effet, dégoûté par son travail de délation, a confié un dossier «composé de quelques lettres et fiches originales et de photographies» à l’abbé de Bessonies. Cet abbé, qui a déjà publié deux brochures hostiles à la Franc-maçonnerie, voit immédiatement l’intérêt du dossier. Après réflexion, il décide d’en faire part à un homme politique pour mener une campagne de presse et faire éclater le scandale. Ce n’est que trois semaines plus tard, le lundi 20 juin, au Palais-Bourbon, que l’abbé Gabriel de Bessonies révèle au député le retournement du sous-chef du secrétariat du Grand Orient et l’existence d’un dossier capable de renverser le ministère.

Guyot de Villeneuve est étonné mais réservé et ce n’est que lors de la deuxième entrevue, le lendemain, après s’être renseigné sur son interlocuteur et avoir prit connaissance des documents, qu’il se déclare prêt à intervenir. Pendant la copie les fiches au Grand Orient, celui-ci rencontre Bessonies chez lui, le 30 septembre et le 7 octobre. Villeneuve revient le 10 octobre avec un ami, Gabriel Syveton. «De taille élancée, souple dans ses mouvements, doué d’un regard agile, d’une voix forte aux inflexions rondes, d’une vaste érudition», cet ambitieux député nationaliste du 2e arrondissement, trésorier de la Patrie Française, est redouté par la gauche et son soutien paraît nécessaire à Villeneuve.

Pour Villeneuve et Syveton le but est à court terme, faire tomber Combes. Le plan d’attaque est de provoquer l’indignation de la Chambre et de l’opinion et entraîner le départ du général André puis du président du Conseil. Un informateur maçon de la Sûreté Générale, prévient en effet le Grand Orient des offres faites à Guyot de Villeneuve et d’une interpellation prochaine. Une entrevue le 15 octobre est programmée durant laquelle Bessonies remet le dossier complété au député, l’interpellation est décidée pour le 28 octobre, jour d’une interpellation du lieutenant-colonel Rousset. Informé à leur tour des fuites, Syveton et Villeneuve décident de lancer l’information à la presse selon laquelle le député de Neuilly est en possession de preuves accablantes sur la délation dans l’armée. Villeneuve rencontre une dernière fois Bidegain le 25 octobre pour lui présenter son discours et le modifier selon ses indications.

 

[6] Louis Lafferre.

Louis Lafferre né à Pau le 10 mai 1861 décédé à Paris le 28 février 1929, homme politique et président du Grand Orient de France. Il est impliqué dans l'affaire des fiches, au début du XXe siècle.

Louis Lafferre, président du Grand Orient de 1903 à 1905 puis de 1907 à 1909 est une personnalité importante. Cet ancien professeur de rhétorique né à Pau en 1861 devient conseiller municipal de Narbonne, député de Béziers et sénateur de l’Hérault de 1898 à 1928. Initié en 1889, vénérable, membre du Conseil de l’Ordre de 1898 à 1909, il est vice-président du Grand Orient en 1902 et membre du Grand Collège des Rites en 1907.

Ce disciple de Frédéric Desmons est un des principaux responsables de la délation dans l’armée en tant que président du Grand Orient, même si «il semble y avoir été totalement étranger». Radical de tendance «clémenciste [6.1]», Lafferre est président du Comité exécutif du parti radical. Anticlérical fanatique, il exprime la philosophie du Grand Orient au convent de 1904, «Nous ne sommes pas seulement des anticléricaux, nous sommes véritablement les adversaires de tous les dogmes et de toutes les religions. Nous sommes, si j’ose m’exprimer ainsi, aussi antireligieux que nous sommes anticléricaux…Le véritable but poursuivi, c’est la chute de tous les dogmes et la ruine de toutes les Églises… ».

 

[6.1] Clémenciste, Clémensisme.

Je n'ai rien trouvé qui donne une définition de ces deux termes. Je pense, a partir, de ce que j'ai lu, que Clémenciste signifierait se rapporter de Georges Clémenceau, et que Clémensisme serait l'application de la pensée du Tigre. Clémenceau, à combattu Emile Combes tout en soutenant sa politique, il le méprisait, en fait Clémenceau était un caractériel tombeur de ministères, c'est aussi un grand orateur et le fondateur du parti républicain radical, un farouche partisan de l'ordre siégeant de l'extrême gauche. Combes c'est la séparation de l'église et de l'État et le Clémenciste est une forme d'opposition au Combisme.

 

[7] Jean Guyot de Villeneuve.

Né en 1864 au château de Lagrange, dans le Cher, il était le fils du comte Gustave Guyot de Villeneuve, grand collectionneur et ancien préfet de Seine-et-Marne, et le petit fils du comte Camille de Montalivet, ami et ministre du roi Louis Philippe.

Son frère aîné, Camille, député des Basses-Alpes de 1906 à 1910, épousa la fille de M. Piou, président de l'Action libérale.

Jean Guyot de Villeneuve, qui se battit plusieurs fois en duel au cours de cette période, notamment contre Maurice Berteaux, fut à la même époque le témoin de Déroulède lors de son duel fameux avec Jean Jaurès à la frontière espagnole.

Battu aux élections législatives de 1906, il eut peu après un grave accident d'automobile (bien que grand cavalier, il s'était en effet passionné très tôt pour ce nouveau mode de locomotion dont il était devenu un amateur averti). Il en resta très diminué et mourut à Paris en 1909. Il avait 45 ans.

 

[8] Gabriel Syveton.

Gabriel Syveton, né à Boën-sur-Lignon (Loire) en 1864 et mort à Neuilly-sur-Seine le 8 décembre 1904, est un homme politique et historien français, connu surtout pour son altercation avec le général Louis André lors de l'affaire des fiches.

 

Le prochain dossier sera la suite de la Franc-maçonnerie au XXème siècle.