Les fonctionnaires du ministère grec des Finances et d’autres vont sans doute travailler jusqu’à l’aube pour calculer à quel pourcentage l’opération d’échange d’obligations souveraines aura été acceptée par les créditeurs privés. Il semble qu’il s’établira aux alentours de 80 % ou davantage, ce qui marque un succès [Actualisation : 9 mars, c’est 85,8 %]. Mais les marchés et les experts n’éludent toujours pas le risque d’une faillite ultérieure de la Grèce.
En fait, le FT conclut que la Grêce, aux yeux des marchés, se retrouve dans la situation pour laquelle elle était considérée voici six mois : en faillite latente. Ce serait déjà un mieux ?
En dépit des sempiternelles assurances de Nicolas Sarkozy, qui peut effectivement à présent espérer que la Grèce ne se déclarera pas en faillite avant l’été et la fin des élections présidentielles et législatives, l’euro tel qu’on le connait (à 17) n’est absolument pas indéfiniment préservé.
Selon diverses sources, l’opération aurait réussi à près de 87 ou 89 %. On ne saura que ce vendredi matin ce qu’il en est vraiment. Toujours est-il que, finalement, avec les plans de sauvetage européens précédents, tout cela aura coûté aux contribuables européens, et bien sûr à certains épargnants, bien davantage que l’ensemble de la dette grecque.
Le ministre grec des Affaires économiques, Constantine Papadopoulos, a bien voulu admettre que le succès de l’opération représentait un ballon d’oxygène, mais n’écartait pas les dangers ultérieurs.
D’une part, les banques grecques et les fonds de retraites grecs vont fortement souffrir. Des banques étrangères aussi. Mais de hauts fonctionnaires grecs, sous couvert d’anonyma, admettent que tout n’est pas résolu pour autant.
Les deux autres pays, en sus de la Grèce pour laquelle un troisième plan de sauvetage reste à envisager, qui vont avoir besoin de fonds supplémentaires, même s’ils s’en défendent, sont l’Irlande et le Portugal. Il a été répété sans fin que la Grèce était un cas unique, exceptionnel, inédit, &c.
Tout le monde s’accorde à dire que le Portugal et l’Irlande ont pris les mesures qui leur étaient plus ou moins dictées. Mais, malheureusement, elles ne suffisent pas : l’austérité génère l’austérité, et la dette souveraine portugaise pourrait grimper, selon le FMI, à 118 % du PIB portugais, dès l’an prochain. Avec les dettes privées, cela représente plus de trois fois le PIB portugais, beaucoup plus que pour la Grèce.
L’Union européenne se retrouve toujours dans la situation d’un Sisyphe qui, au lieu d’un très gros rocher, en aurait divers à remonter, sur diverses pentes. Le coût des cales a été très fort, il risque d’augmenter encore.
Autre petite bouffée d’oxygène pour la Grèce. Elle va recevoir 90 millions d’euros de Siemens qui s’engage à investir aussi une centaine de millions localement (et renonce à 80 millions d’avoirs dus). Le raison en est que Siemens avait consenti, depuis la fin des années 1990, jusqu’à deux millions d’euros de pots de vins à des dizaines de décideurs et politiciens grecs. Il n’y avait qu’en Grèce que Siemens graissait les pattes pour obtenir des marchés aux termes lui convenant.
Pour s’en sortir, il faudrait savoir où porter les efforts d’austérité, et où et à qui présenter la note. Il y a le fonctionnement des parlements, des gouvernements, mais aussi celui de la Commission européenne, d’ONG, de diverses dispendieuses instances supranationales. Il serait temps de s’intéresser aux dépenses somptuaires des gouvernements et des parlements, mais aussi de la Commission, du FMI, de l’Unicef, et d’autres instances. Hormis très timidement, les dirigeants ne veulent pas encore vraiment l’entendre.
Le Financial Times n’exclut toujours pas que la Grèce soit forcée de quitter la zone euro. Elle est traitée par les marchés « tel un pays du tiers-monde », estime James Mackintosh, du FT. Mais, finalement, en quoi les dirigeants européens, hormis peut-être ceux des pays scandinaves, se comportent-ils si différemment de ceux du tiers-monde ? Cela vaut tant pour les dirigeants financiers ou industriels (tels ceux de Siemens, voir supra) que pour les autres.
Comme le relève, pour Bloomberg, Nicholas Burns, ancien ambassadeur américain en Grèce, c’est une chose d’obtenir une réduction de la dette grecque et de nouvelles aides européennes, une toute autre de convaincre les peuples que l’austérité prônée par les dirigeants ne doit pas commencer par soi-même; et être vraiment partagée.
Temps gagné
La classe politique grecque a gagné du temps. Combien ? Certes celui d’arriver aux élections sur un relatif succès, relatif, mais indéniable. Relatif car en absolu, l’épine ôtée du pied correspond à deux pour cent du poids de la dette sur le PIB (de 161 à 159 %). En revanche, cela représente des sorties immédiates (environ 15 % de leurs avoirs pour les créanciers, soit 30 milliards d’euros d’argent frais). Par la suite, les nouvelles obligations devront, elles, être rétribuées rubis sur l’ongle. Elles ne valent plus que 31,5 % des montants antérieurs. La perte est sèche, mais la garantie n’est plus grecque, mais celle du Fonds européen de stabilité et des États AAA de l’Union européenne.
Les créanciers privés, surtout internationaux, ont été, selon l’économiste Nouriel Roubini, choyés par les créanciers institutionnels.
Le gouvernement grec est sommé de recapitaliser ses banques nationales, pour justement, leur éviter une nationalisation. Elles seront prioritaires, la troika et la Commission y veillant (toutes les sommes du second plan de sauvetage sont consignées sur un compte bloqué, pour débloquer, il faut obtenir un feu vert).
Sarkozy peut souffler : la crise de l’euro à venir pourra peut-être attendre la fin du second tour des élections françaises. Au-delà, on ne sait trop.
Pour France-Soir, l’économiste Céline Antonin estime toujours que les privatisations grecques tardent trop, que l’évasion fiscale n’est pas encore assez combattue.
À peine le succès enregistré, Fitch Ratings a dégradé la note de la Grèce. Ce n’est qu’un ajustement reflétant tout simplement le fait que l’opération est bel et bien le marqueur d’un défaut partiel. En France, le Front national estime « le petit répit » à seulement « quelques semaines ». Ce qui peut quand même faire deux-trois mois.
Un médecin hospitalier grec de l’hôpital de Kilkis vient de toucher sa paye : c’est en fait un remboursement de 170 euros qu’on lui réclame au lieu des 800 euros attendus. D’autres n’ont rien reçu ou des sommes dérisoires (neuf euros). Tant qu’à faire, plutôt que de payer pour se chauffer et s’éclairer à domicile, les membres de l’hôpital de Kilkis occupent leurs locaux.
Les Grecs tentent de s’organiser. Le « mouvement des patates » tente de ravitailler les villes en achetant directement aux producteurs. Pendant ce temps, Goldman Sachs aura encaissé, depuis 2001, la modique somme de 600 millions d’euros.
Cela à quelque chose à voir : un ami revient de Barcelone. On y trouve pour deux euros des blousons ou des pantalons qui, en troisième démarque lors des derniers soldes en France, se seraient vendus au moins une vingtaine d’euros. Les rideaux sont tirés définitivement, des bars et des restaurants populaires en sont à se demander si la facture d’électricité sera bien compensée par les rares clients.
Selon l’association du patronat touristique grec, Sete, les pays européens les plus riches bouderaient la Grèce. Effectivement, la concurrence de l’Espagne et du Portugal va être rude. Or, le tourisme, en Grèce, c’est, ou plutôt c’était, 768 000 personnes.
L’Allemagne étant le principal bailleur de fonds de l’Europe et de la Grèce, maintenant que cette dernière s’est engagée, et l’Europe dans son sillage, à soutenir, avec deux plans successifs, le maintien de la Grèce dans l’euro, et connaissant les Allemands, je pense que ceux-ci ne lâcheront pas la Grèce et que celle-ci aura également besoin, dans le futur, d’un troisième plan de sauvetage.
Et quant à dire, avec certains (je pense à Nouriel Roubini qui fut l’un des seuls à prévoir la récession mondiale dès l’année 2008), que la Grèce sortira de l’euro, au début de l’année 2013, en raison d’un trop lourd fardeau supporté par les Grecs – ce qui lui permettra d’alléger, avec un drachme dévalué, son commerce extérieur – on ne résoudra pas, de cette façon, la question du chômage en Grèce. Ou alors, il faut supposer que l’économie grecque dépend peu, malgré son intégration à l’Europe, du commerce extérieur. En ce cas, c’est vrai, la réintroduction du drachme permettra de résorber l’emploi en ce sens que les entreprises grecques n’ont pas besoin, pour vendre sur le marché intérieur, de s’aligner sur leurs concurrents de l’étranger.
Mais là encore, il faut tenir du prix des matières premières importées en Grèce, ET il faut tenir compte également du fait que la dette souveraine grecque est supportée, pour une grande part, par les banques et les caisse de retraites grecques, ce qui signifie qu’ une faillite incontrôlée de la Grèce correspondrait à une faillite de tout le système bancaire grec, ce qui provoquera, avec la ruée des Grecs vers leur propres banques, un effondrement du drachme, si celui-ci est introduit, lequel sera doublé, dans le pays, d’une inflation galopante.
C’est dire que la sortie de l’euro s’accompagnera, au final, pour les Grecs, par plus d’austérité que dans le cas contraire.
(suite)
Quant à l’argument soutenu récemment par le ministre argentin de l’Economie (Roberto Lavagna) qui conseilla aux Grecs de refuser les mesures d’austérité voulues par les créanciers européens, en échange d’un abandon de leurs créances, au motif que l’Argentine, durant sa propre crise, avait prononcé une sorte de moratoire ou les créanciers de l’Argentine avait perdu jusqu’à 70% de leur avoirs, on peut constater que le moratoire grec est quasiment du même ordre, puisque les créanciers privés grecs ont accepté un abattement de plus de 70% sur la valeur actuelle de leurs avoirs..
Ceci dit, la situation de l’Argentine, quand les accords avec les créanciers furent prononcés fin 2004 et début 23005, était moins pire qu’en Grèce, puisque durant les deux années précédant l’accord, le pays avait connu un taux de croissance positif de son PIB, ce qui n’est pas le cas de la Grèce puisque ce pays entame sa 5ème année de récession.
Et puisque j’ai cité Nouriel Roubini, celui-ci est d’avis que l’accord de la Grèce avec ses créanciers et publics est plus favorable aux premiers qu’aux seconds puisque ceux-ci vont être, d’après lui, les gros perdants, dans le futur, dans cette affaire, ce qui prouve qu’il ne croit pas, comme d’ailleurs la plupart des investisseurs internationaux, au sauvetage de la Grèce ces prochaines années.
Et si la Grèce fait faillite ces prochaines années, le risque systèmique, contrairement à ce que prétendent certains libéraux allemands, provoquera des remous dans les autres pays de l’Union europenne – comme Jef le souligne dans son article – vec un possible éclatement entre des pays du sud qui quitteront l’euro, et avec des pays du nord qui eux resteront eux dans l’euro. Mais là faut rêver, puisque ce sera la fin de l’Europe. (Ce qui prouve qu’on ne bâtit pas une Union qu’avec de la monnaie et avec une politique monétariste).
Le seul remède à tout cela est de voir l’économie mondiale repartir, et notamment grâce à des politiques monétaires fondées sur de très bas taux d’intérêt de la part des autorités centrales (et notamment de la BCE et de la FED).
Oui, effectivement, Clgz11, les avis sur la sortie de l’euro sont très partagés.
Mais je ne suis pas sûr que les Allemands soient si susceptibles, à je ne sais quel terme, d’accepter de réinjecter des fonds.
Soit parce que les « progrès » de la rigueur ne les satisferont pas, soit parce qu’ils constateront que cela ne suffit pas.
En tout cas, selon le ministère grec des Finances, l’échange a été accepté par 85,8 % des détenteurs de dette.
Michael Kemmer, de l’association bancaire all., a considéré que : « [i]on ne peut dire que la Grèce est sauvée et que la crise soit derrière nous.[/i] ».
Ce qui est encourageant, c’est que les taux à dix ans pour les emprunts italiens et espagnols sont tombés sous les 5 %.
Bonjour Jef, il est encourageant, en effet, de voir les taux sur les emprunts italiens et espagnols baisser, puisque dans la situation actuelle toute info positive est bonne à prendre.
Sur la Grèce, les Allemands vont exiger, c’est sûr, que les mesures d’austérité contenues dans le deuxième plan de sauvetage soient effectivement appliqués. Et ils se sont d’ailleurs montrés très irrités sur ce dossier puisque cela fait des mois que l’Allemagne essaie d’aider la Grèce par le biais de l’organisme d’aide public au développement (GIZ), et de la banque publique d’aide au développement (KFW) qui était chargée, grâce sa nouvelle structure grecque, de créer et de soutenir des PME compétitives en Grèce. Or rien n’ayant été fait, les Allemands, gens très pragmatiques et qui n’entendent plus donner leur fric et celui du reste de l’Europe sans savoir ou va l’argent, vont se montrer très exigents sur les mesures qui seront effectivement prises par la Grèce dans le cadre des plan de sauvetage.
De ce point de vue je les comprends, car chaque fois que l’Europe a voulu aider les gens des pays du sud touchés par une catastrophe naturelle , l’argent n’est jamais arriver là ou il devait, ce qui prouve le niveau de corruption et l’économie mafieuse qui règnent dans ses régions. Mais je pense aussi que si l’Europe a déjà investi autant de milliards pour aider la Grèce et la maintenir au sein de l’euro, ces milliards, si la Grèce fera faillite dans le futur, seront perdus.
Mais peut-être que les responsables européens font le calcul suivant : l’Europe laissera tomber la Grèce si le puits est réellement sans fond et si les responsables estiment que le risque systémique n’est pas trop important. Mais je pense aussi que l’Allemagne acceptera de se laisser convaincre d’augmenter le parefeu européen destiné à contenir ce risque. A partir de là, si la Grèce, isolée qu’elle sera des autres pays membres, ne fait pas les efforts voulus par l’Allemagne et le reste de l’Union, celle-ci la laissera tomber et elle fera faillite.
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Mais je pense aussi que l’Europe, sous l’égide de l’Allemagne, est beaucoup trop rigide en voulant imposer dans ses statuts des taux plafonds sur la dette ou le déficit budgétaire. La preuve : c’est que chaque fois qu’il existe une crise économique, ces taux sont dépassés, y compris d’ailleurs dans un pays comme l’Allemagne.
Quant à moi je préfère, en cas de crise, que ces pays fassent de la relance par le déficit qu’enfermer les pays dans la récession en exigeant d’eux, pour qu’ils s’en sortent, qu’ils se réforment en libéralisant le marché du travail.
En résumé, je préfère l’inflation au chômage, cette inflation qui hante les Allemands depuis 1923. Raison pour laquelle le chômage et la précarité ne sont pas près de diminuer en Europe.
Ceci dit, le problème, en Grèce, est différent puisque les marchés publics étant corrompus, les alimenter avec de nouveaux apports venus de l’extérieur reviendrait à engraisser une minorité de gens, sans que l’argent venu de l’extérieur ne profite réellement à la population.
Certes, je concois volontiers que partout dans le monde les partis politiques s’enrichissent grâce aux marchés publics, ou à la nationalisation des matières premières, et sur la privatisation de entreprises publiques, ou sur les commissions versées par les entreprises étrangères désireuses de s’installer dans le pays, mais si des pays vivent dans le sous-développement c’est que la corruption y atteint les niveaux les plus élevés.
Pour illustrer cette affaire par un exemple, on ne verra jamais, dans aucune ville d’Allemagne, comme c’est le cas, par exemple, à Salvador de Bahia, la construction d’un métro urbain sur une dizaine de kilomètres, et qui tout à coup est arrêté (avec des armatures métalliques en train de rouiller, et des armatures en béton en train de se dégrader, au motif que l’Etat n’a pas l’argent nécessaire pour payer l’avancement des travaux. Quant aux responsables politiques du projet, apès avoir encaissé leur commission et avoir permis à certains maitres d’oeuvre de s’enrichir également, ils vivront bien mieux que ceux qui auraient eu besoin du métro pour se déplacer.
(Mes excuses pour cette digression, mais qui permet de montrer que la corruption ou la prévarication n’est pas la même partout).
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