Les fonctionnaires du ministère grec des Finances et d’autres vont sans doute travailler jusqu’à l’aube pour calculer à quel pourcentage l’opération d’échange d’obligations souveraines aura été acceptée par les créditeurs privés. Il semble qu’il s’établira aux alentours de 80 % ou davantage, ce qui marque un succès [Actualisation : 9 mars, c’est 85,8 %]. Mais les marchés et les experts n’éludent toujours pas le risque d’une faillite ultérieure de la Grèce.

Un indice qui en dit long. Dès qu’il a été annoncé que l’opération de sauvetage de la dette grecque, qui passe par une parte consentie de plus de 70 % des sommes dues par la plupart de ses détenteurs, avait réussi (ce qui est le cas si les trois-quarts ou davantage des créditeurs y souscrivent), un « marché gris » s’est mis en place.
Selon le Financial Times, le taux de rendement de ces valeurs serait aux alentours de 19 %. Traduisez que l’investissement semble très, très risqué, et que les marchés considèrent donc qu’une faillite ultérieure de la Grèce, entraînant sa sortie de la zone euro, n’est toujours pas à exclure.

En fait, le FT conclut que la Grêce, aux yeux des marchés, se retrouve dans la situation pour laquelle elle était considérée voici six mois : en faillite latente. Ce serait déjà un mieux ?

En dépit des sempiternelles assurances de Nicolas Sarkozy, qui peut effectivement à présent espérer que la Grèce ne se déclarera pas en faillite avant l’été et la fin des élections présidentielles et législatives, l’euro tel qu’on le connait (à 17) n’est absolument pas indéfiniment préservé.

Selon diverses sources, l’opération aurait réussi à près de 87 ou 89 %. On ne saura que ce vendredi matin ce qu’il en est vraiment. Toujours est-il que, finalement, avec les plans de sauvetage européens précédents, tout cela aura coûté aux contribuables européens, et bien sûr à certains épargnants, bien davantage que l’ensemble de la dette grecque.

Le ministre grec des Affaires économiques, Constantine Papadopoulos, a bien voulu admettre que le succès de l’opération représentait un ballon d’oxygène, mais n’écartait pas les dangers ultérieurs.

D’une part, les banques grecques et les fonds de retraites grecs vont fortement souffrir. Des banques étrangères aussi. Mais de hauts fonctionnaires grecs, sous couvert d’anonyma, admettent que tout n’est pas résolu pour autant.

Les deux autres pays, en sus de la Grèce pour laquelle un troisième plan de sauvetage reste à envisager, qui vont avoir besoin de fonds supplémentaires, même s’ils s’en défendent, sont l’Irlande et le Portugal. Il a été répété sans fin que la Grèce était un cas unique, exceptionnel, inédit, &c.
Tout le monde s’accorde à dire que le Portugal et l’Irlande ont pris les mesures qui leur étaient plus ou moins dictées. Mais, malheureusement, elles ne suffisent pas : l’austérité génère l’austérité, et la dette souveraine portugaise pourrait grimper, selon le FMI, à 118 % du PIB portugais, dès l’an prochain. Avec les dettes privées, cela représente plus de trois fois le PIB portugais, beaucoup plus que pour la Grèce.

L’Union européenne se retrouve toujours dans la situation d’un Sisyphe qui, au lieu d’un très gros rocher, en aurait divers à remonter, sur diverses pentes. Le coût des cales a été très fort, il risque d’augmenter encore.

Autre petite bouffée d’oxygène pour la Grèce. Elle va recevoir 90 millions d’euros de Siemens qui s’engage à investir aussi une centaine de millions localement (et renonce à 80 millions d’avoirs dus). Le raison en est que Siemens avait consenti, depuis la fin des années 1990, jusqu’à deux millions d’euros de pots de vins à des dizaines de décideurs et politiciens grecs. Il n’y avait qu’en Grèce que Siemens graissait les pattes pour obtenir des marchés aux termes lui convenant.

Pour s’en sortir, il faudrait savoir où porter les efforts d’austérité, et où et à qui présenter la note. Il y a le fonctionnement des parlements, des gouvernements, mais aussi celui de la Commission européenne, d’ONG, de diverses dispendieuses instances supranationales. Il serait temps de s’intéresser aux dépenses somptuaires des gouvernements et des parlements, mais aussi de la Commission, du FMI, de l’Unicef, et d’autres instances. Hormis très timidement, les dirigeants ne veulent pas encore vraiment l’entendre.

Le Financial Times n’exclut toujours pas que la Grèce soit forcée de quitter la zone euro. Elle est traitée par les marchés « tel un pays du tiers-monde », estime James Mackintosh, du FT. Mais, finalement, en quoi les dirigeants européens, hormis peut-être ceux des pays scandinaves, se comportent-ils si différemment de ceux du tiers-monde ? Cela vaut tant pour les dirigeants financiers ou industriels (tels ceux de Siemens, voir supra) que pour les autres.

Comme le relève, pour Bloomberg, Nicholas Burns, ancien ambassadeur américain en Grèce, c’est une chose d’obtenir une réduction de la dette grecque et de nouvelles aides européennes, une toute autre de convaincre les peuples que l’austérité prônée par les dirigeants ne doit pas commencer par soi-même; et être vraiment partagée.

Temps gagné
La classe politique grecque a gagné du temps. Combien ? Certes celui d’arriver aux élections sur un relatif succès, relatif, mais indéniable. Relatif car en absolu, l’épine ôtée du pied correspond à deux pour cent du poids de la dette sur le PIB (de 161 à 159 %). En revanche, cela représente des sorties immédiates (environ 15 % de leurs avoirs pour les créanciers, soit 30 milliards d’euros d’argent frais). Par la suite, les nouvelles obligations devront, elles, être rétribuées rubis sur l’ongle. Elles ne valent plus que 31,5 % des montants antérieurs. La perte est sèche, mais la garantie n’est plus grecque, mais celle du Fonds européen de stabilité et des États AAA de l’Union européenne.
Les créanciers privés, surtout internationaux, ont été, selon l’économiste Nouriel Roubini, choyés par les créanciers institutionnels.
Le gouvernement grec est sommé de recapitaliser ses banques nationales, pour justement, leur éviter une nationalisation. Elles seront prioritaires, la troika et la Commission y veillant (toutes les sommes du second plan de sauvetage sont consignées sur un compte bloqué, pour débloquer, il faut obtenir un feu vert).
Sarkozy peut souffler : la crise de l’euro à venir pourra peut-être attendre la fin du second tour des élections françaises. Au-delà, on ne sait trop.

Pour France-Soir, l’économiste Céline Antonin estime toujours que les privatisations grecques tardent trop, que l’évasion fiscale n’est pas encore assez combattue. 
À peine le succès enregistré, Fitch Ratings a dégradé la note de la Grèce. Ce n’est qu’un ajustement reflétant tout simplement le fait que l’opération est bel et bien le marqueur d’un défaut partiel. En France, le Front national estime « le petit répit » à seulement « quelques semaines ». Ce qui peut quand même faire deux-trois mois.

Un médecin hospitalier grec de l’hôpital de Kilkis vient de toucher sa paye : c’est en fait un remboursement de 170 euros qu’on lui réclame au lieu des 800 euros attendus. D’autres n’ont rien reçu ou des sommes dérisoires (neuf euros). Tant qu’à faire, plutôt que de payer pour se chauffer et s’éclairer à domicile, les membres de l’hôpital de Kilkis occupent leurs locaux.

Les Grecs tentent de s’organiser. Le « mouvement des patates » tente de ravitailler les villes en achetant directement aux producteurs. Pendant ce temps, Goldman Sachs aura encaissé, depuis 2001, la modique somme de 600 millions d’euros.

Cela à quelque chose à voir : un ami revient de Barcelone. On y trouve pour deux euros des blousons ou des pantalons qui, en troisième démarque lors des derniers soldes en France, se seraient vendus au moins une vingtaine d’euros. Les rideaux sont tirés définitivement, des bars et des restaurants populaires en sont à se demander si la facture d’électricité sera bien compensée par les rares clients. 

Selon l’association du patronat touristique grec, Sete, les pays européens les plus riches bouderaient la Grèce. Effectivement, la concurrence de l’Espagne et du Portugal va être rude. Or, le tourisme, en Grèce, c’est, ou plutôt c’était, 768 000 personnes.