La diplomatie schizophrène

Par Daniel Vernet 

 

Pendant la campagne électorale, Nicolas Sarkozy l’avait dit : les droits de l’homme seraient au centre de sa politique étrangère. Il l’avait répété dans son premier discours après son élection. Le nouveau chef de l’Etat voulait rompre avec ce qu’il considérait comme le réalisme mercantile de ses prédécesseurs. Les quelques intellectuels dont il s’était entouré et qui avaient suggéré cette « rupture » applaudissaient : fini le cynisme qui fermait les yeux sur les violations des droits de l’homme au nom de la souveraineté des Etats et des intérêts nationaux mal compris.

M. Sarkozy ne se contentait pas de déclarations. Il mettait en place une double commande diplomatique, à l’Elysée et au Quai d’Orsay, à même de concilier la gestion des relations classiques d’Etat à Etat et une nouvelle éthique internationale. A côté de diplomates chevronnés, habitués des négociations discrètes et spécialistes de la litote, Bernard Kouchner, flanqué de Rama Yade et, dans une moindre mesure, de Jean-Marie Bockel pour l’Afrique, incarnait cette ère. L’idéal était de cultiver les relations traditionnelles, y compris et surtout commerciales, et l’affirmation de principes que certains interlocuteurs peu scrupuleux mais néanmoins susceptibles supportent mal.

Un an plus tard, cette double démarche a sombré dans la schizophrénie. Le réalisme le plus cru l’a emporté dès la réception du colonel Khadafi à Paris, confirmé par les félicitations de M. Sarkozy à Vladimir Poutine, au lendemain des élections à la Douma où ce dernier n’était pas candidat, et souligné au-delà de toute décence par l’onction démocratique accordée au président tunisien, Ben Ali. Peut-être ne pouvait-on faire autrement si l’on voulait sortir les infirmières bulgares et le médecin palestinien des geôles libyennes (et vendre quelque matériel nucléaire), gagner la Russie à une politique de sanctions contre l’Iran ou obtenir l’appui de la Tunisie au projet d’Union pour la Méditerranée. Après tout, ces objectifs ne sont pas méprisables. De même, peut-il paraître souhaitable de ne pas isoler la Chine en stigmatisant sa politique au Tibet pour tenter de la convaincre que son intégration dans un monde globalisé comporte aussi des obligations de sa part.

Encore faudrait-il assumer ces objectifs, ne pas laisser le ministre des affaires étrangères prêcher dans le désert ou condamner la secrétaire d’Etat aux droits de l’homme à un silence gêné après avoir sacrifié le secrétaire d’Etat à la coopération aux caprices du président Bongo. Comble de la confusion, le président de la République transforme les despotes en chantres de la démocratie. On peut se taire à propos de la Tunisie. Ce n’est pas glorieux, mais certains non-dits parlent d’eux-mêmes. Au contraire, M. Sarkozy s’est placé dans les pas de Jacques Chirac en présentant comme un parangon de vertu un président qui harcèle ses opposants et qui va tripatouiller la Constitution pour se faire élire pour la cinquième fois avec plus de 90 % des voix ! C’est ce que l’Elysée appelle « le cheminement vers la démocratie »

Il n’est certes pas facile de mêler le respect des droits de l’homme à la défense des intérêts des Etats, ces « monstres froids », disait de Gaulle. Certains hommes d’Etat soutiennent que c’est inutile, voire dangereux. Mais l’heure est à l’ingérence démocratique. Alors, pour avoir une chance de réussir, il faut un minimum de constance dans les principes, une puissance suffisante pour impressionner des interlocuteurs sensibles aux rapports de force et une capacité à accepter quelques rebuffades politiques ou économiques. Le pire est la confusion et le mélange des genres.

 

Source « Le Monde » du 13 mai 2008

Par Daniel Vernet 

 

Pendant la campagne électorale, Nicolas Sarkozy l’avait dit : les droits de l’homme seraient au centre de sa politique étrangère. Il l’avait répété dans son premier discours après son élection. Le nouveau chef de l’Etat voulait rompre avec ce qu’il considérait comme le réalisme mercantile de ses prédécesseurs. Les quelques intellectuels dont il s’était entouré et qui avaient suggéré cette « rupture » applaudissaient : fini le cynisme qui fermait les yeux sur les violations des droits de l’homme au nom de la souveraineté des Etats et des intérêts nationaux mal compris.

M. Sarkozy ne se contentait pas de déclarations. Il mettait en place une double commande diplomatique, à l’Elysée et au Quai d’Orsay, à même de concilier la gestion des relations classiques d’Etat à Etat et une nouvelle éthique internationale. A côté de diplomates chevronnés, habitués des négociations discrètes et spécialistes de la litote, Bernard Kouchner, flanqué de Rama Yade et, dans une moindre mesure, de Jean-Marie Bockel pour l’Afrique, incarnait cette ère. L’idéal était de cultiver les relations traditionnelles, y compris et surtout commerciales, et l’affirmation de principes que certains interlocuteurs peu scrupuleux mais néanmoins susceptibles supportent mal.

Un an plus tard, cette double démarche a sombré dans la schizophrénie. Le réalisme le plus cru l’a emporté dès la réception du colonel Khadafi à Paris, confirmé par les félicitations de M. Sarkozy à Vladimir Poutine, au lendemain des élections à la Douma où ce dernier n’était pas candidat, et souligné au-delà de toute décence par l’onction démocratique accordée au président tunisien, Ben Ali. Peut-être ne pouvait-on faire autrement si l’on voulait sortir les infirmières bulgares et le médecin palestinien des geôles libyennes (et vendre quelque matériel nucléaire), gagner la Russie à une politique de sanctions contre l’Iran ou obtenir l’appui de la Tunisie au projet d’Union pour la Méditerranée. Après tout, ces objectifs ne sont pas méprisables. De même, peut-il paraître souhaitable de ne pas isoler la Chine en stigmatisant sa politique au Tibet pour tenter de la convaincre que son intégration dans un monde globalisé comporte aussi des obligations de sa part.

Encore faudrait-il assumer ces objectifs, ne pas laisser le ministre des affaires étrangères prêcher dans le désert ou condamner la secrétaire d’Etat aux droits de l’homme à un silence gêné après avoir sacrifié le secrétaire d’Etat à la coopération aux caprices du président Bongo. Comble de la confusion, le président de la République transforme les despotes en chantres de la démocratie. On peut se taire à propos de la Tunisie. Ce n’est pas glorieux, mais certains non-dits parlent d’eux-mêmes. Au contraire, M. Sarkozy s’est placé dans les pas de Jacques Chirac en présentant comme un parangon de vertu un président qui harcèle ses opposants et qui va tripatouiller la Constitution pour se faire élire pour la cinquième fois avec plus de 90 % des voix ! C’est ce que l’Elysée appelle « le cheminement vers la démocratie »

Il n’est certes pas facile de mêler le respect des droits de l’homme à la défense des intérêts des Etats, ces « monstres froids », disait de Gaulle. Certains hommes d’Etat soutiennent que c’est inutile, voire dangereux. Mais l’heure est à l’ingérence démocratique. Alors, pour avoir une chance de réussir, il faut un minimum de constance dans les principes, une puissance suffisante pour impressionner des interlocuteurs sensibles aux rapports de force et une capacité à accepter quelques rebuffades politiques ou économiques. Le pire est la confusion et le mélange des genres.

 

Source « Le Monde » du 13 mai 2008

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