Avertissement : cet article a été rédigé dès le 15 janvier 2009 ; l'auteur a décidé en conscience de différer sa publication au 22 afin que son contenu ne puisse en aucun cas être considéré comme une tentative de pression sur le juge. En écrivant ces lignes, il ignorait donc, par définition, que le plaignant serait débouté de sa demande, le juge considérant « nulle » son assignation au motif qu'elle était « confuse » et « imprécise ». Il n'en reste pas moins que cette décision s'en tient à la forme et que ce qui est dit ici quant au fond demeure parfaitement d'actualité. De ce fait, il est permis à bon droit considérer la tentative avortée de la Caisse d'Épargne comme « excessive, vexatoire et injurieuse » à l'égard de Monsieur Noël Hongne …


Huit mois après avoir annoncé qu'elle portait plainte contre Mediapart pour diffamation, la Caisse d'Épargne récidive, si l'on en croit une dépêche AFP du 14 janvier 2009 qui titre : « Un ex-salarié de la Caisse d'Épargne assigné pour avoir critiqué Doubl'ô ».

Décidément, il semblerait que l'on a le droit de penser ce que l'on veut de la vieille dame, mais à la condition de ne pas le dire ! Pourtant, « sans la liberté de blâmer, il n'est pas d'éloge flatteur » ; ou bien encore, comme l'affirme un volatile célèbre : « La liberté de la presse ne s'use que si l'on ne s'en sert pas » …

PARIS, 14 jan 2009 (AFP) – Un ancien salarié de la Caisse d'Épargne, qui dénonce sur internet les promesses non tenues du fonds commun de placement Doubl'ô, s'est vu assigné mercredi en diffamation par L'Écureuil, devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris.

 

Doubl'ô est un fonds commun de placement commercialisé en 2001 et 2002 par les Caisses d'Épargne. Il proposait, dans une brochure publicitaire, de doubler le capital investi en six ans "en toute sécurité".

 

Mais les épargnants n'ont finalement récupéré que leur mise de départ, minorée des frais. Noël Hongne, ancien salarié de la Caisse d'Épargne et de Prévoyance de Flandre, a alors tenté de rassembler les déçus de Doubl'ô au sein du "Collectif Lagardère contre les abus bancaires", dont il est le président.

 

Concrètement, la Caisse nationale des Caisses d'Épargne lui reproche d'avoir tenu, sur le site internet qu'il a créé, "des propos excessifs, vexatoires et injurieux". Elle exige leur retrait.

 

Sur ce site (http://doublo.monde.free.fr), le collectif présente la Caisse d'Épargne comme "l'auteur d'une vaste escroquerie" et dénonce "une vaste machination" dont le but est "d'appâter le client par tous les moyens, y compris les plus déloyaux".

 

La Caisse d'Épargne, toujours selon ce site, "a résolument dupé les souscripteurs en leur faisant miroiter la promesse d'un doublement de leur capital, tout en leur cachant avec le plus grand soin quelle était la probabilité réelle (quasiment nulle) d'obtenir ce résultat"

 

"A aucun moment, le doublement de capital, qui pouvait être réalisé uniquement si aucune valeur du panier ne baissait de plus de 40% pendant la durée du placement, n'a été promis aux souscripteurs", se défend la Caisse d'Épargne, qui jure n'avoir jamais manipulé quiconque.

 

"On peut perdre de l'argent, mais on n'a pas le droit de s'en plaindre", s'est indigné pour sa part l'un des avocats de M. Hongne, Me Daniel Richard.

 

En octobre, Me Richard a déposé une plainte au parquet de Paris pour "publicité mensongère et escroquerie". L'Autorité des marchés financiers (AMF) a également lancé une enquête.

 

Le juge des référés Philippe Jean-Draeher rendra une première décision le 21 janvier sur la recevabilité de l'assignation. Si l'assignation est jugée recevable, une seconde audience sera programmée.

Sans préjuger de la décision de justice à venir, on ne peut que s'étonner de la stratégie de la Caisse d'Épargne, à bien des égards.

Sur l'usage de la voie des référés, en premier lieu. Cette procédure, dont l'intitulé complet est « référé d'heure à heure », vise en effet des situations d'urgence. Quelle est donc l'urgence en la matière ? Celle d'obtenir le retrait d'un site internet de propos jugés par elle « excessifs, vexatoires et injurieux » ? Acceptons cette hypothèse. Mais alors, pourquoi avoir choisi la voie judiciaire ? N'aurait-il pas été plus simple, plus efficace (et plus rapide !) d'user du droit dûment rappelé sur le site incriminé en sa page « Mentions Légales » :

« Les personnes nommées ou désignées sur ce site disposent d'un droit de réponse qu'elles peuvent exercer en adressant leur demande à l'adresse ci-dessus dans les trois mois suivant la mise à disposition du public du message justifiant cette demande.

Conformément à la loi [n° 2004-575 du 21 juin 2004], les réponses émanant des personnes nommées ou désignées seront insérées dans les trois jours ouvrables suivant leur réception. »

Interrogés sur ce point, les responsables du site disent avoir adressé à Monsieur Bernard Comolet, Président du Directoire de la CNCE, deux courriers en dates du 5 et du 19 novembre 2008 ; ce dernier était en forme de demande de rendez-vous pour « … échanger de la manière la plus courtoise et la plus constructive nos points de vue respectifs et examiner les possibilités d'une solution ». Ils ajoutent qu'ils n'ont reçu pour toute réponse qu'un courrier assez évasif de Madame Laurence May, Directrice de la Conformité du Groupe. Celle-ci a demandé, le 9 décembre 2008, à ce que cette réponse soit retirée du site, demande à laquelle ils ont fait droit tout aussitôt. La main droite de la Caisse d'Épargne ignorerait-elle ce que fait la main gauche ?

En second lieu, on a beau parcourir en tous sens le site présumé litigieux, c'est en vain qu'on y cherche l'expression « une vaste machination ».

La phrase « appâter le client par tous les moyens, y compris les plus déloyaux » y figure en revanche bien, en commentaire de facsimiles de documents publicitaires émis par la Caisse d'Épargne proclamant « UNIQUE La Caisse d'Épargne double votre épargne en six ans. Net d'impôts » et « Doublez votre capital en 6 ans » ainsi que « La performance minimale attendue est de doubler votre capital », respectivement ; avec un renvoi précisant, en caractères d'une police minuscule : « sous réserve des conditions indiquées dans la notice COB, disponible dans cette agence », il est vrai.

Dans d'autres documents, internes, on peut lire que sur « 4057 simulations réalisées à partir des historiques de cours relevés entre janvier 1980 et février 1987 dans 85,21% des cas, le client aurait obtenu au moins le doublement de son capital » (FCP Doubl'Ô) et aussi « Les simulations réalisées sur une période allant du 1/01/89 au 30/10/01, en reprenant les cours quotidiens de chaque action montrent que dans 100 % des cas le doublement du capital a été obtenu » (FCP Doubl'Ô Monde 3).

Voilà qui relativise l'affirmation selon laquelle « A aucun moment, le doublement de capital, qui pouvait être réalisé uniquement si aucune valeur du panier ne baissait de plus de 40% pendant la durée du placement, n'a été promis aux souscripteurs ». D'ailleurs, interviewée dans le journal de 13 heures de France 2 du 11 décembre 2008, une responsable de la Caisse d'Épargne reconnaissait, penaude : « Le regret qu'on peut avoir, c'est le nom Doubl'Ô et ses déclinaisons qui, effectivement, peuvent maintenant nous paraître aberrantes » … « Aberrantes … » : un qualificatif que d'aucuns pourraient considérer notoirement « excessif, vexatoire et injurieux » ; cette responsable risque-t-elle à son tour d'être assignée ?

Quand au mot « escroquerie », il apparaît deux fois. Pour en préciser le contexte, il convient de citer la phrase dans son intégralité : « L'avocat Daniel Richard a lui indiqué avoir déposé, début octobre, une plainte au parquet de Paris pour "publicité mensongère et escroquerie" », elle est extraite d'une dépêche AFP du 23 octobre 2008, reprise par afp.google.com, LePoint.fr, e24.fr, Fortuneo.fr, Orange.fr, La Croix.com, avmaroc.com, Challenges.fr et msn.com, notamment. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, ces sites risquent-ils eux aussi l'infamie d'une assignation ?

Puisqu'il est établi qu'elle fréquente très assidument le site qu'elle accuse, plusieurs fois par jour (depuis l'adresse internet ip215.net176.gcetech.net – ‘CAISSE EPARGNE – Platform of Services'), la Caisse d'Épargne ne peut donc ignorer cette vérité ! De ce fait, elle sait pertinement qu'ou bien les propos qu'elle conteste ont été retirés, satisfaisant ainsi par anticipation sa demande, ou bien qu'ils n'ont jamais figuré sur le site, sous la plume de celui qu'elle incrimine. Dans ce dernier cas, ne se rendrait-elle pas de fait coupable d'allégations infondées et diffamatoires et son assignation ne prendrait-elle pas le caractère d'une dénonciation calomnieuse ?

Enfin, pourquoi s'en prendre nommément à une personne en particulier et en faire un bouc émissaire ? Pourquoi lui et pas l'un des 239.999 autres épargnants concernés ? Pourquoi pas moi ? Pourquoi pas vous ? Est-ce l'épargnant contestataire qui est visé ? Ou bien est-ce « l'ex-salarié » ? S'agit-il de s'en venger ? S'agit-il de le contraindre au silence ? S'agit-il d'une tentative pour intimider tous les autres ? Toutes les hypothèses sont ouvertes. On se souviendra toutefois que la même personne avait déjà fait l'objet d'une vigoureuse campagne de dénigrement et de calomnie sur plusieurs forums internet aux alentours du 11 décembre 2008 (date que le collectif avait décrétée « grande journée nationale de mobilisation ») de la part d'un courageux anonyme se présentant comme un « modeste salarié de la Caisse d'Épargne ». Coïncidence ?

Au final, il semble bien que l'épiderme de la vieille dame soit devenu excessivement sensible ; peut-être s'agit-il d'une réaction allergique aux articles, propos et commentaires qui ont foisonné sur internet, dans la presse écrite et audiovisuelle au cours d'une annus 2008 décidément horribilis.

Est-ce bien la meilleure manière de restaurer une confiance qui lui fait de plus en plus cruellement défaut ?

L'avenir le dira ; il commence le 21 janvier.