Koh Lantah contre Survivor

On s’ennuie ferme parfois en regardant Koh Lanta : le parcours d’obstacles, le radeau, la dégustation de vers, le cochon pendu, la boue, les poteaux… Les saisons s’enchaînent, et les épreuves restent en grande partie les mêmes. Les candidats actuels sont même tellement habitués à les regarder à la télévision qu’ils les connaissent par cœur  : ils les devinent à l’avance, et savent comment les surmonter. Ils s’entraînent avant de partir, et à l’approche de l’épreuve des radeaux, une équipe s’est limitée à dire "bon ben on fait le radeau de Freddy", sans chercher davantage, sûr de la réussite de cette solution. La production essaye d’apporter des surprises à doses homéopathiques, comme les changements de composition des équipes en cours de route, mais il y a quand même bien des moments mollassons. 

Si Koh Lanta est le meilleur programme français de télé réalité, il est encore loin de son modèle, l’émission américaine Survivor. Actuellement, ils en sont à la 21ème saison, et continue d’être la reine des audiences dans une concurrence bien plus sévère. On en comprend les raisons en regardant le programme. 

D’abord, les épisodes sont bien plus courts, et forcément, cela donne plus de rythme. Au lieu de passer 1h20 pour deux épreuves et une éliminations, cela se passe en 42 minutes. Du coup, on passe moins de temps sur certains aspects "survie" qui, au fil des saisons, deviennent répétitifs : voir quelqu’un ronchonner à cause de la faim a un intérêt télévisuel limité au bout d’un moment. Les épreuves restent une part intégrante du programme, ainsi que le conseil. Par contre, la partie qui domine largement l’émission est celle des intéractions entre les aventuriers, et généralement ces intéractions sont le "jeu" en lui-même. 

En effet, depuis la première émission de la première saison, la stratégie est reine dans Survivor. Dans Koh Lanta, elle est souvent vilipendée pour son côté immoral, mais c’est passer à côté de toute une dimension du programme. Dans la troisième saison de Koh Lanta, l’aventurier Moussa n’avait pas hésité à recourir à des éléments stratégiques pour durer le plus longtemps possible dans un contexte défavorable. Aux Etats-Unis, c’est constant. Les alliances se font dès le premier jour de l’aventure, et il n’est pas rare que certains candidats cultivent plusieurs alliances différentes pour se laisser des portes ouvertes. Au fur et à mesure des années, les candidats apprennent de leurs prédécesseurs, et apportent leurs propres contributions à cet art consommé. Les nouvelles saisons apportent chacune de nouveaux génies en matière de stratégie. Les saisons all-stars ramenant les meilleurs anciens candidats sont ni plus ni moins que des chocs de titans. Au muscle nécessaire pour les épreuves, s’ajoute l’intelligence nécessaire pour survivre aux autres. Voilà un vrai milieu hostile.

Les producteurs américains ont eux-mêmes accompagné ce mouvement, en préparant de multiples rebondissements à chaque nouvelle saison. Par exemple, l’une des innovations introduites est la présence de totems d’immunité individuelle cachés soit sur des îles désertes, ou bien sur le camp même. Cela permet à l’aventurier qui la découvre de se préserver d’une élimination, après le vote, mais avant le dépouillement. L’objectif est alors de cacher cet atout pour prendre ses adversaires à revers. 

Les épreuves quant à elles, sont souvent plus ambitieuses que leurs équivalentes françaises. Grandes et colorées, on sent qu’il y a un certain budget pour des infrastructures constamment renouvelées. Les règles sont plus dures : un aventurier éliminé ne reviendra jamais sur le camp, même en cas de blessure d’un candidat par la suite. Et bien évidemment, le casting révèle à chaque fois de vraies personnalités, entre d’authentiques héros, et les manipulateurs les plus incroyables. 

Au final, il n’est pas question de plaquer tous les éléments du Survivor américain sur le Koh Lanta français, alors que la culture n’est pas la même. Mais un peu plus de changements et d’ambition ne feraient pas de mal au programme français, et accepter que la stratégie fasse partie intégrante du jeu le rendrait plus intéressant.