Deuxième délire du romancier canadien Douglas Coupland, jPod, pavé de quelque 500 pages, déjà adapté en série télévisée, même composé entièrement en Comic sans corps 8 étroitisé et interligne 7,6, se laisserait lire. C’est dire !


Ronald n’a pas surnagé, Coupland sort rescapé de son deuxième roman (sur douze parus). Corneguidouille ! Et si j’osais sur un site respectable, « Putantrailles » (expression d’Axle Munshine, vagabond des limbes, créature de Christian Godard et Julio Ribera). J’ai osé. Ils ont aussi osé. Soit Anne Vaudoyer et ses comparses des éditions du Diable Vauvert ont eu le culot de m’envoyer un bouquin non sollicité. La dernière fois que cela m’est arrivé, c’était de provenance Maren Sell (les éditions), pour la Tentative d’assassinat du bourgeois qui est en moi (prix 2009 du Pamphlet), que j’ai beaucoup apprécié, mais toujours pas chroniqué. J’ai des Nouvelles Légendes improblables de Roubaix abondamment illustrées (approfondissement encore plus ciblé des Nouvelles Légendes improbables du Nord-Pas-de-Calais, des mêmes, soit les 3-Jean éditeurs) encore sur le feu, et voici que débarque jPod, de Douglas Coupland traduit par Christophe Grosdidier. Douglas Coupland, ce serait un auteur-culte, un peu comme Jack Kerouac, dont j’ai tout lu, et dans le texte original, d’abord passionnément, ensuite par pur snobisme. Je l’ignorais jusqu’à tout à l’heure, que Coupland avait lu Kerouac. Pas ma fatuité, assumée, mais je ne subodorais même pas l’existence de ce nouveau Dakota (dit C-47) de la « nouvelle » littérature. Sans même lire le bouquin, je pressens subrepticement qu’il s’agit en fait d’un sous-Pynchon (Thomas) mâtiné de Peter (Lawrence J.) mais en plus « goût du jour ».  Au feuilletage (étape perso précédant la consultation de la prose du communiqué de presse et du prière d’insérer), je tombe sur des mots composés en corps 72 ou approchant, en latin (alphabet de base) et en coréen (j’imagine que le japonais, c’est désuet, et le chinois, trop commun… en tout cas, pas du vieux slavon ou de l’hébreu ou du grec anciens). Il y a aussi des pages entières d’octets disposés sans ponctuation ou séparateur d’unités (ou alors, c’est du n’importenawak à la Kerouac, mais encodé), des lignes de Cobol ou d’Assembleur (peut-être du Pascal, pour faire moins ésotérique). Bref, des trucs à vous faire sentir hors-jeu, vieux cuistre, piqué au vif de votre curiosité de crouton passéiste voulant quand même faire semblant d’être resté un tant soit peu à la coule, zazou, apte nonobstant à comprendre que « c’est bath » veut de nouveau signifier « c’est bonnard » et plus « c’est trop top » (expression désuète de la décennie 2000 écoulée, plouf !)
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Bon, d’abord, oubliez tout ce qui est précédemment écrit. C’est faux. Enfin, presque. J’ai voulu avoir ce livre, je l’ai demandé (pas comme la Tentative d’assassinat du bourgeois…). Merci. Pour le reste, vous vous ferez une idée.

 

Ce livre ne ressemble à aucun. Ce livre est génial. Ce livre incite à photocopiller des pages à expédier en pièces jointes à vos copines, à vos amis, à votre employeur (avec une adresse bidon), à vos pires ennemis. Ce livre se lit d’un trait (500 pages foliotées, pas mal de hors-texte, plus évidemment les trucs avant et  après, qu’on ignore, genre celle de la mention d’imprimeur, et pourtant, La Flèche, son prytanée, son église.…). Certes, j’en ai vu qui sautaient – les niais ! – de la page 398 à la 437. Sans voir l’essentiel, et c’était pourtant facile à déceler (en corps 10, vu l’interlignage, cela sautait aux yeux) puisque les cent mille premières décimales de pi ne pouvaient couvrir autant de pages. Il s’agissait, dans ce premier divertissement, de chasser l’intrus, la décimale superflue. Dans le second, c’était un O à la place d’un 0. Facile. Mark le Maléfique promettait, si on décelait la coquille entre les pages 418 et 437, d’interpréter la chanson du choix de l’équipe au karaoké. Pour ne pas briser le suspense, je vous confie, sans vous révéler l’identité du ou de la gagnante, qu’il s’est agi de Hand in my pocket, d’Analis Morissette. C’est dans l’album Jagged Little Pill Acoustic, plage quatre, et l’autre n’est pas dans la culotte du zouave puisqu’elle forme, bras brandi, le signe de la paix… Je trouve que ces tire-au-cul de critiques littéraires qui n’ont même pas la curiosité de se livrer à des recherches élémentaires (telle que celle-ci, sur Morissette.com) et se contentent d’aller visiter les sites dédiés au livre (ou aux produits dérivés, comme ceux de la série de 13 épisodes débutée au Canada le 8 janvier 2008) pour repomper servilement des commentaires convenus suggérés par l’éditeur devraient me céder leur tabouret au banc de miction de copie destinée au Toboggan du prépresse ainsi que leur perf’ d’amphets. Chacun son tour, quoi ! Ce qui me fait penser que je n’aurais pas le temps de me laver et me raser avant d’aller à mon rendez-vous du salon Intergraphic (Porte Maillot, Paris) qui débute, heurk, dans moins de six heures trente minutes et dix secondes à présent (sinon je vais rater la première mondiale du Digital Finisher 360, l’unité de finition cinq fonctions en une seule passe avant emploi de JET Varnish et Meteor DP60 – Intergraphic, qui a déjà 30 ans, comme les juniors de Coupland, finit le 14 janvier 2010). Ce manque de valeur ajoutée qui fait toute l’onctuosité de la sauce du critique littéraire de haut niveau s’étale en plus en plus flagrant chez les confrères soutiers dont les plates resucées des sites mercatiques éditoriaux font figure d’édulcorant alors qu’il pourtant aisé d’insérer de vrais fruits factuels et imaginaires dedans. Au fait, pour déceler un 0 d’un o capitale dans 15 pages de chiffres sans séparateur décimal, il faut être soit correcteur chevronné ayant suivi les cours par correspondance de l’Arci (l’association professionnelle suisse romande), soit être entré dans la peau du personnage de Mark le Maléfique. À partir de la page 320, c’était déjà jouable, là, cent pages plus loin, fastoche : il allait évidemment considérer que les concurrents se diviseraient en trois ensembles, l’un débutant vers la fin, l’autre vers le début, le troisième se concentrant sur les pages du milieu. Le O devait donc se trouver soit aux doubles pages 425-426, soit circa la 431. C’était sans compter la perversité de Coupland, ce fumier (ses personnages ont bien raison de le penser et de l’exprimer de manière récurrente – c’est ce genre de remarque qui fait que, à l’inverse des tireurs à la ligne de Lire, ou du Littéraire encore en activité depuis 1946 au Figaro Littéraire pour combler leurs dix années d’études non cotisées à la Sécu, vous pouvez persuader l’éditeur que vous avez bien lu le livre et il vous recommandera : dommage que le redchef ne croira jamais que vous poursuivrez en cette voie dès la huitième pige qu’il vous confiera).

 

La ligne rouge de jPod est méandreuse à souhait. Cela démarre comme dans Budding Prospects (bêtement traduit par La Belle Affaire en édition française, heureusement que mon essai de trad du premier chapitre m’a été réglé par Phébus…) de Tom Coraghessan Boyle. Soit une histoire de culture d’herbe à livrer en pochons magiques d’un quintal à des Hell’s Angels de grossistes (n’insistez pas, aucune vente à l’unité, krona islandaise non acceptée). Cela finit à la Kurt Vonnegut Jr. dans La Meuf du 49, bât. A, esc. B, éplorée (nouvelle traduction branchée à paraître du Crying of Lot 49) mâtinée chute de Barbouillée l’Oréal, moi ? Jamais sans mes pincos ! (idem, mais de T. Pynchon, dans Slapstick or Lonesome no more, à moins que ce ne soit le contraire). C’était un peu prévisible que je ne lirais pas la fin avant de mettre en ligne, pas avec Intergraphic dans désormais six heures, vingt-huit minutes, treize secondes. Recopier la dernière phrase, soit « c’est vrai quoi, quel genre de blaireau terminerait un livre juste au moment où tout va si bien ? » (page 522), fera l’affaire et saura convaincre que, moi aussi, je sais lire en diagonale et tenir en haleine comme un pro à l’ancienne. Tiens, si je ne faisais plus que des phrases courtes, en sujet-verbe-complément sans « dirimant » ou « platybasique » dedans ? D’accord, là, j’en ferais trop dans l’hyperproductif formaté Celsa après Sciences Po et thèse de paléophilolinguistique énonciative sur Henri-Joseph Dulaurens (ma prochaine chronique du Écrire et s’enfuir, dans l’ombre des lumières, de Stéphane Pascau, vous dira tout sur la distribution des virgules et l’imaginaire des nonnes égarées en string dans les labyrinthes du discours des Lumières ; c’est chez Les Points sur les i éd., col. des « Gueux littéraires »).  Or donc, un mot du style : alternatif 110 volts à surtension maîtrisée de cadence d’horloge grâce à un circuit hydraulique dont le comburant de refroidissement restera secret mais je peux assurer qu’il y a des Treets©, qui fondent dans la bouche mais pas dans la main, dedans.  Des Treets™ d’époque, pas des Èmènèms® d’à présent ; les références récurrentes au Toblerone (Coupland, je te vois ! tu es démasqué !) ne sont qu’un leurre au beurre de cacaco et de karité avec adjonction des 5 % d’adjuvants autorisés par la directive européenne. Tout est dit !

 

Sous prétexte de conflit générationnel et de liens limite SM entre les paires de gonades et les porteuses d’ovules de deux groupes distincts, l’un mûr et épars, l’autre post-pubère attardé genre Tanguy concentré dans un stalag geek genre Sophia Antipolis hors les murs (délocalisé vers Vancouver), Coupland tisse un réjouissant entrelacs de poncifs sur le Vieux Continent, histoire de ne pas laisser entrevoir qu’il a remastérisé Bonjour Paresse, de Corinne Maier, et Ma Vie ratée d’Amélie Nothomb, de Huet. Fin connaisseur des mœurs asiatiques, Coupland lit ce genre de trucs faciles en classe affaires de l’A380 d’Emirates pour attirer l’attention des hôtesses coréennes. Quelques inserts, dont la consistance trahit l’amalgame de phrases piquées au hasard dans la Tentative d’assassinat du bourgeois qui est en moi de Kerninon, mises bout à bout en galimatias avec grumeaux de flocons d’avoine célinienne période finistérienne – zut, plus que cinq heures, quarante-sept minutes pile, qu’avais-je besoin de faire une pause Super Trétis 1991 niveau 6 alors que je dois traiter de Certitudes et candeur militaires, de Robert Le Roy chez BTF Concept, puis enchaîner avec L’Histoire du Libertinage, des Golliards au marquis de Sade, de Didier Foucault, qui ressort en format poche en février, et enfin balancer un truc sur le vernissage du groupe Dix/10 au Duplex ? – font Sens de la vie, des Monty Python, mais sans la bande sonore ni les séquences sur le gros bonhomme ou la rencontre de rugby entre élèves et corps professoral. Quoique…

 

Parmi les personnages pas si secondaires qu’il y paraîtrait, il y a un multimillionnaire et honorable importateur d’intérimaires du Yunan diplômé de Stanford et de Jiao-Tong U., « hissé à la force du poignet hors du sphincter non lubrifié et précapitaliste » (de la RPC),  ainsi qu’une gouine radicale végétarienne.  C’était convenu, il ne se passera rien entre eux, cette partie de l’intrigue provenant clairement de Gazon maudit, de Balasko. À chacun sa toison de frifri, comme le chante Gotainer, mais faire disputer une partie de morpions entre des acnéiques attardés et leurs géniteurs androposés ou craignant la descente d’organes en guise de métaphore de la transmission des savoirs immémoriaux du Vaudou paléo-colombien-britannique (Le Vaudou et moi, retours d’affection en trois jours, col. « J’apprends en m’amusant », Le Rais d’escarboucle éditions, a visiblement été consulté), c’est un peu surfait. Vous direz : « encore un jaloux de Coupland, un sous-Nothomb qui se la joue ». Je vous tends l’autre, j’ai l’habitude…

 

Que nenni ! J’admire sans réserve ni envie. Le Martin Dupont (John Doe, inchangé dans la VF) de Coupland est la trouvaille du bouquin qui relègue Roger Rabbit Angstrom et Henry Bech au rang de silhouettes dans un nanar. Le père d’Ethan, le narrateur principal, danseur de salon et figurant vancowoodien, sorte de Doc de Retour vers le futur, mais gominé et beaucoup plus glabre et moins gordo que Chuck Fadel (ancien instructeur de tir des Marines au Nam, passé par l’Actors Studio, vite reconverti dans la restauration des Corvette après avoir vu toutes ses scènes coupées dans la série des Trinita, protagoniste à multiples couverts dissimulé dans le Budding Prospects de Tom Boyle, et j’en passe) – au fait, c’est quoi déjà le prénom du père d’Ethan ? son estompage en dit long sur les rapports de Coupland au père ; d’un fils de médecin militaire, on s’y attendait   et or donc, où en étais-je ?, ah oui, Ethan Sr (appelons-le ainsi) fait très mauracien déjanté, période Bicyclette Bleue en côte de Graves,  et on nous a épargné les références à Mrs Iris Robinson (la femme adultère du Premier ministre de l’Ulster, personnification contemporaine de Scarlett O’Hara en bigote folle de la fesse et des gigolos). C’est déjà cela. Très réussi… En plus, c’est autant documenté qu’un Dan Brown. Qui d’autre que Coupland pourrait glisser que « Michael Landon, le type de La Petite Maison dans la prairie, a joué une fois dans un téléfilm sur l’énurésie » ? Peut-être dans Where Pigeons Go to Die, une hardie transposition de Les Albatros vont au Pérou pour mourir peinards au-dessus des jonques (Mocky ? Audiard ? Daryl Duke ? Romain Gary ? Googlez, bande de petites merdeuses et d’énoués de la zigounette !). Dommage qu’Ethan soit si insipide et Kaitlin, tout aussi insignifiante, n’ait pas cédé sa place à la sémillant Bree en son déshabillé de la Parisienne (mais je ne veux pas vous dévoiler pourquoi, cela gâcherait la lecture).  Encore que… Jalmince fielleux, moi ? Jamais ! En seconde lecture, il se peut que Kaitlin soit la réincarnation de Virginia Woolf employée par Be Tomorrow Sarl et qu’Ethan, en transfuge de la division Abandonware d’Ubi Soft chez Infogrammes, soit mezzo voce un Zarathoustra masquant sous sa robe de chambre son fourreau de Super Dupont et fonçant, ailes de cybercharentaises déployées, vers le firmament de la Pensée macrobiozénétique recomposant l’univers dysfonctionnel (adjectif piqué en quatrième de couv) de nos existences consuméristes d’hyperactifs stressés (tant pis, personne ne verra sur Intergraphic que mes chaussettes ne sont pas assorties).

 

L’hélium est-il l’arme du crime maquillée en gaz hilarant fortuitement ingéré par voie anale sous forme de suppositoire effervescent ? Vous ne le saurez qu’au pénultième paragraphe du dernier chapitre de ce roman noir anthracite qui fait de l’ombre à James Ellroy. La page laissée intentionnellement vide (la 479) ménage le temps d’arrêt nécessaire pour tout remettre en ordre et se dire : « je vais les ratatiner au prochain Cluedo ! » (version multijoueurs mode blitz en ligne, par l’équipe ex-sibérienne de Spectrum Holobyte, enfin, pour ceux ayant obtenu leur carte verte ; tentez d’incarner Ronald le pitre, de chez-Smith-en-face, et tirez la rouge, la Fingers licking good, si vous le pouvez).  Le Pep soit avec vous !

 

jPod, Coupland, Douglas, traduit de l’anglais (Canada) par Christophe Grosdidier avec le concours du Centre national du Livre, Le Diable Vauvert éd., La Laune, déc. 2009, impression par CPI Brodard & Taupin, et non chez Pixart.it, Venise, que je remercie au passage pour les surabondantes douceurs reçues en gratification à l’occasion du Nouvel An, mais, franchement, le Zampone Corto Caprice,  au double-saindoux affiné dans le carter d’un Iveco du stabilimento di Suzzara enrobant du fromage de tête, c’est un vrai étouffe-chrétien : rien mangé d’aussi gras depuis les rillaux repomplus d’ours à la graisse de silure des Maramures, Ro[ts]).

 

Post scriptum :

Le jury de la Fondation Monique Ranou (« la tradition du goût ») vient, chez Drouant, de décerner son Label doré Succulence, catégorie « livres étrangers », à jPod. Du fait de la bête disposition du titre en bas de la couv, la confection d’un bandeau rouge frappé de la mention « Label doré Succulence » semble exclue. N’hésitez donc pas à acheter un exemplaire non muni de ce bandeau qui manquera à votre collection.