Il faut mieux mourir pour quelque chose que de vivre pour rien.

J’avais le choix. J’aurais pu aller voir « Juno », la comédie américaine indépendante dont tout le monde ne fait que me dire du bien. J’aurais pu aller voir « Peur(s) du Noir » avec la certitude d’être au moins confronté à une expérience graphique intéressante. J’aurais pu rédiger la critique de l’immense « Redacted » de De Palma, un film qui explore avec tant de maestria les rapports entre le monde et l’image, l’image et nous, les images entre elles, la vérité et l’image qu’il va me falloir sans doute encore plusieurs semaines pour que je parvienne à le digérer.

J’aurais pu faire tout ça. Mais j’ai décidé sur un coup de tête de boire du rhum avec ma copine et d’aller voir « John Rambo ».

Pourquoi ? Parce qu’en dépit de sa prévisibilité, de sa morale de supermarché et de sa grandiloquence, il y a quelque chose d’inexplicable qui me fascine dans ce pan du cinéma américain.

Quelque chose que je poursuis d’ « Independence Day » à « John Rambo »en passant par « Bad Boys II ». Ces films vont à l’encontre de mes goûts, de mon éducation, des valeurs qu’on m’a inculqué, je ne les trouve même pas bons et pourtant ils me fascinent.

En dépit des apparences, cette critique n’est pas une tentative grossière de m’offrir une psychanalyse à peu de frais donc parlons du film.


Tout commence avec John Rambo qui après bien des massacres perpétrés dans les épisodes précédents (que je n’ai pas vu mais qui ne doivent pas être difficiles à résumer) s’est retiré en Thaïlande pour vivre une vie de forgeron misanthrope hippie qui donne des poissons gratos à des moines bouddhistes en revenant de la chasse aux serpents.

Un jour, il rencontre des braves humanitaires qui appartiennent en fait à une secte (L’Eglise de Jésus Christ, what else ?) et qui veulent aller en Birmanie pour aller apporter des soins et la bonne parole à la minorité catholique opprimée par des militaires sadiques qui organisent des jeux macabres, donnent les gens à manger aux cochons, violent des enfants et ont des incendies qui se reflètent dans leurs Ray Ban.

Ils demandent à Rambo s’ils peuvent louer son bateau et ses services pour remonter le fleuve.

Là Stallone/Rambo qui arborera pendant tout le film son aire blasé de Droopy paramilitaire en guise de jeu d’acteur lâche d’une voix encore pire que celle de Mr Sylvestre des Guignols :

Rentrez chez vous

Ils insistent et Rambo demande :

-Vous avez des armes ?

-Non.

-Alors vous ne changerez rien. Rentrez chez vous.

 

Ensuite, la conscience morale du groupe (une jeune fille blonde) vient supplier Rambo et lui balance l’argument massue : « Une vie sauvée, c’est toujours ça de pris. Vous ne croyez peut être pas en Dieu mais vous devez croire en quelque chose » et elle lui met un crucifix dans la main.

Là, on sent qu’elle a touché la corde sensible et que Rambo va les aider.

 

Après, je ne veux pas gâcher l’insoutenable suspense donc sachez juste que les humanitaires vont se faire capturer comme des gros couillons par les méchants militaires et que l’Eglise de Jésus va envoyer des mercenaires pour les récupérer. Rambo, bien décidé à ne pas décrocher un mot, se joint à eux sous le prétexte de les guider et finit par devenir le leader du groupe grâce à un soudain accès d’éloquence : « Mieux vaut mourir pour quelque chose que de vivre pour rien ».

Ensuite, c’est pif paf boum jusqu’à la fin.

 

La première chose qui m’a fasciné dans ce « John Rambo » en plus de sa mise en scène efficace et sanglante, c’est cette notion presque naïve de la justice punitive à l’Américaine. Dès qu’une injustice horrible est constatée sans équivoque, sans recours à la loi possible et que les méchants sont vraiment très méchants, on peut se défouler sans douter pendant une seule seconde de son bon droit. John Rambo deviendrait presque une sorte d’ange exterminateur chargé d’appliquer une sorte de justice divine quand celle des hommes ne s’applique pas.

Quand on compare un film américain comme « Rambo » à un film français comme « L’ennemi intime » dans lequel les personnages sont accablés de doutes et de remords jusqu’à la folie au moindre macchabée, on constate qu’il existe un véritable fossé culturel entre les deux approches d’une problématique similaire.

 

La deuxième, c’est toute la lecture géopolitique possible. Entre les nombreux « Rentrez chez vous, ça ne sert à rien » que profère Rambo à la moindre occasion, le choix d’être confronté à un ennemi identifié sans aucune possibilité de douter de son caractère diabolique, la récurrence de l’insulte « Sales Jaunes » et le massacre des susdits jaunes que je choisis de voir comme une catharsis de la menace posée par la Chine (cf. les attaques sur le libre échange par les candidats de la campagne présidentielle actuelle) et la dernière scène du film, je suis convaincu que Stallone à travers ce personnage de vétéran de toutes les guerres de l’Amérique de la deuxième moitié du XXème siècle veut faire passer le message que l’Amérique est fatiguée de toutes ces guerres où il lui est impossible d’être certaine qu’elle est le good guy et qu’elle veut rentrer à la maison pour renouer avec sa politique de non interventionnisme pré conflits mondiaux.

 

D’ailleurs le film creuse encore plus loin, cette veine du repli sur soi avec le traitement des motivations qui animent les personnages.

Dans une scène lourde de symboles et sur fond de flash back des anciens films en noir et blanc, Rambo arrive à une bouleversante conclusion qu’il déclame sans ambages de sa voix chaude et grave : « Tu n’as pas tué pour ton pays. Tu as tué pour toi, parce que tu aimes ça ».

Dans un monde sans idéologies auxquelles s’accrocher ou contre lesquelles lutter (les Cocos ne sont plus là pour se faire taper dessus), l’individualisme est la seule motivation restante.

La jeune humanitaire fera écho à ce constat en déclarant plus ou moins que : « ce n’est peut être pas ce qu’il faut faire mais c’est toute notre vie ». La justification donnée est d’ordre purement émotionnelle ou personnelle et non idéologique.

 

John Rambo livre donc son combat non pas pour la justice mais pour l’amour du carnage. Cette découverte constitue pour certains fans une véritable révélation qui ajoute de la profondeur au personnage

Chacun voit midi à sa porte mais une chose est certaine, carnage, il y a.

 

Stallone affirme qu’il a voulu montrer la violence de la guerre et la boucherie qu’elle constitue, loin des clichés héroïques et glamour. Le moins que je puisse dire c’est qu’il y est parvenu.

Le film déploie un tel luxe dans le détail gore, l’ampleur du carnage ou le sadisme des opposants que rien ne nous est épargné même pas le viol ou l’exécution de petits enfants.

A ce titre « John Rambo » est peut être un des films de guerre les plus violents jamais tournés et dont la restitution de la boucherie est bien plus crue que la scène d’exposition du soldat Ryan de Spielberg.

La mise en scène est nerveuse et retranscrit parfaitement le chaos qui doit régner sur un champ de bataille. Si c’était ce que Stallone voulait faire, c’est une réussite.

Mais de là à clamer que le film est réaliste, il y a un pas.

Si tel était le cas, tous les personnages, y compris Rambo et la jolie blonde, auraient de fortes chances de mourir au combat de manière totalement fortuite. J’ai cru comprendre que sur un champ de bataille, la mort choisit ses victimes au hasard et non pas en fonction de leur importance dans le casting. Enfin, il y a toujours cette hiérarchisation morale de la survie si chère au cinéma américain qui postule en substance que plus le personnage est immoral ou véhicule des valeurs négatives plus il a des chances d’y passer rapidement et vice versa, la petite sainte nitouche qui est bonne et généreuse s’en sort presque toujours.

 

L’autre point sur lequel peut se porter la critique est cette idée de dénoncer la guerre en montrant toute son horreur sans filtre. Je reste persuadé qu’à partir du moment où l’on fait de la violence un spectacle et qu’on le montre à un public totalement déconnecté de cette violence, le résultat obtenu est davantage une fascination malsaine et une montée d’adrénaline bon marché qu’une prise de conscience salutaire.

J’imagine que si on mettait allez au hasard, un soudanais, ayant fait l’expérience concrète d’une telle violence en voyant sa femme se faire violer et ses enfants se faire abattre ou enrôler de force, il aurait plutôt envie de pleurer ou de quitter la salle.

C’est pourquoi je préfère la violence outrancière des films gores ou celle stylisée et codifiée à la Tarantino parce que son caractère excessif montre tout de suite qu’on est dans le registre de la fiction ou de la fantaisie.

 

Alors si vous n’avez pas peur des acteurs mono expressifs à la philosophie de comptoir qui défoncent tout sur leur passage au nom d’un droit moral douteux et que vous prenez votre pied sans scrupules devant des scènes de carnage au réalisme boucher en prétextant que c’est pour le fun, pour dénoncer ou « pour explorer la particularité culturelle du cinéma américain » , « John Rambo » est fait pour vous.

 

Plus de carnage sur : www.du-cote-de-chez-stan.com