Jackpot : l’eau naturelle, sans additif !

Buvez-vous de l’eau « rendue potable par traitement » ? C’est la dénomination officielle française de l’eau embouteillée, commercialisée après avoir été ou non filtrée, le traitement pouvant se réduire au seul embouteillage si les prélèvements d’échantillons garantissent que cette eau est bien propre à la consommation. Coca-Cola, en Europe, avait tenté de profiter de cette « eaubaine » avant de renoncer. Mais au Royaume-Uni, Asda et Tesco, deux chaînes de super et hypermarchés, viennent de mettre sur leurs rayons des eaux garanties « sans additif ». De quoi réaliser une culbute de 2 500 %, dénonce le Daily Mail.

Tout d’abord, une anecdote qui m’est chère.
Vers la fin des années 1960, Monsieur Victor Merle s’était fait une solide réputation auprès des restaurateurs parisiens en leur demandant une carafe « d’eau municipale ».

L’idée lui en était venue lorsqu’un serveur de l’établissement Les Balkans, proche de la fontaine Saint-Michel, l’avait pris pour un provincial et lui assura que l’eau des robinets parisiens avait un goût détestable. Ce à quoi il répliqua : « c’est moi qui la fait ».  Victor Merle, ingénieur chimiste, était alors le directeur du service qualité de ce qui est devenu Eau de Paris

Il assurait en toute bonne foi, sûr de ses méthodes, que l’eau des robinets parisiens était bien plus potable que la plupart des eaux dites de source ou minérales qu’il testait de même à l’occasion. L’avenir devait lui donner raison puisque, par exemple, en mai 1999, la « source » Chantereine (en fait l’eau d’un affluent de la Marne) fut temporairement déclarée impropre à la consommation.

Déficit bientôt chronique

 

Ce qui ne remet pas en cause l’utilité de l’eau dite « rendue potable par traitement » puisque dans certaines régions et localités, l’agriculture et l’élevage intensifs rendent parfois (et de plus en plus fréquemment) l’eau du robinet impropre à la consommation. Cette eau, qui peut être filtrée ou non, voire enrichie en sodium, magnésium, gazéifiée artificiellement, ne présente que deux inconvénients. Tout d’abord son prix pour l’acquéreur, ensuite celui, supporté par les collectivités qui lui en répercutent plus ou moins lourdement la facture, du traitement des millions de bouteilles en PET ou autre matière plastique, de la dégradation des routes du fait du passage des camions d’acheminement, et grevé de multiples coûts induits… 

Le plus gros problème, c’est que la France, du fait de l’irrigation de plus en plus intensive, de la pollution accrue des nappes, risque d’entrer bientôt dans un déficit chronique d’eau…

Un groupe de pression, en 2010, avait tenté de modifier l’appellation au profit de celle d’eau de table, estimée moins dissuasive. La contre-offensive des producteurs d’eaux dites de source ou minérales (naturelles ou enrichies après captage) fit échouer cette habile manœuvre l’année suivante… En fait de traitement, le simple fait de décanter l’eau à l’air libre peut contribuer à l’évaporation du dichlore qui, parfois, peut rester décelable au goût si l’eau est consommée directement à la sortie du robinet (utiliser une carafe suffit la plupart du temps à éliminer ce léger inconvénient).

Chère eau de là-haut

C’est peut-être effectivement le seul traitement apporté aux contenus des eaux Everyday Value Still Water, du distributeur britannique Tesco, ou Smartprice Still Water d’Asda. Tesco vend « son » eau issue de diverses canalisations au même prix que celle d’Asda, laquelle lui est fournie par Yorkshire Water, l’un des fournisseurs d’eau du robinet du nord de l’Angleterre. Soit près de 11 centimes (d’euro) du litre (17 pence pour deux litres). Soit un peu moins de trois fois le coût des eaux minérales ou de source les moins chères du marché britannique. Cela n’en représente pas moins de formidables profits.

 

Interrogée par le Daily Mail, la direction de Tesco a dans un premier temps effrontément assuré que son Everyday Value Water (still, soit non gazéifiée, ou en version gazeuse), provenait d’une source française. Laquelle ?  Il fallut ensuite faire marche arrière et assener que cette eau, de diverses provenances autochtones, revenait en fait moins cher au consommateur que s’il s’équipait d’un purificateur d’eau.

Les slogans employés sont farce. Uniquement de l’eau, sans rien d’autre (“Just water, nothing added”) pour Tesco, et recommandée pour s’hydrater (“Good for hydration”) pour Asda qui assure que son eau est « 100 % » de l’eau plate (“Still Water 100 %”). Les deux distributeurs clament que leurs eaux sont filtrées, ce que leurs fournisseurs respectifs estiment totalement superflu.

Cela évoque l’argument de l’ex « excellente eau de table gazéifiée » de l’Établissement de Juvisy (qui se targuait aussi d’avoir obtenu une médaille d’or) : « cette eau (…) ne décompose pas le vin ». Elle était aussi qualifiée de « rafraîchissante ». Tiens donc.

Embouteillez, et hop, c’est facturé !

L’eau municipale tarbaise, issue des réservoirs de la rue du Château-d’eau, et traitée par La Lyonnaise des eaux, est embouteillée telle pour les restaurateurs de la ville, qui peuvent placer sur leurs tables une carafe habillée par l’artiste bigourdan Jean-François Larrieu. L’opposition au maire UMP de Tarbes a détourné le slogan de l’opération en labellisant cette eau « Factures durables ». La mairie soutient que mettre l’eau du robinet en carafes (environ 70 000 ont été distribuées aux restaurateurs et à la population) permet d’économiser annuellement le traitement de 90 tonnes de bouteilles en plastiques divers et de réduire de 238 euros le coût annuel de consommation d’eau commerciale pour une famille de quatre personnes. La consommation moyenne d’un Français est estimée à 145 litres d’eaux commerciales diverses.

 

 

La France est le second consommateur mondial d’eaux commerciales derrière l’Italie, avec plus de 5,8 milliards de litres (d’eaux minérales ou de sources) consommés annuellement, soit 200 litres par habitant (chiffres 2009). 68 eaux minérales françaises, contre 64 en 2007, se partagent le label (sous 70 marques différentes). Ce qui leur rapporte un peu plus de deux milliards d’euros (exportations incluses). La France, troisième producteur mondial (après l’Italie et l’Allemagne), réussit à être le premier exportateur. Le marché est dominé par Danone et Nestlé dont le chiffre d’affaires pour les eaux diverses croit d’environ 2 % par an (du fait d’un accroissement des prix à la consommation d’environ 16 % depuis 2005).

Mais les effets de la crise, depuis 2008, tendent à réduire le pactole (de près de 7 % par rapport à 2007). D’où peut-être bientôt l’idée de suivre plus largement l’exemple britannique en France, en proposant des eaux moins chères à la grande distribution qui les vendra sous des marques génériques. Sans renoncer, au contraire, à soigner l’apparence et la promotion des eaux les plus chères, histoire de leur conférer toujours plus de « cachet » (quitte à inventer une légende, comme pour les bières, genre George Killian, une « irlandaise » brassée en France par Pelforth-Heineken, et aux États-Unis par Coors).

 

Cent fois moins chère 

Selon les associations de consommateurs, l’eau du robinet est en France jusqu’à cent fois moins chère en moyenne que la moins chère de toutes les eaux commercialisées en bouteilles (et au moins jusqu’à 300 fois pour les autres). Mais pour certaines marques, le différentiel peut atteindre mille, et bien davantage encore si l’eau est légèrement aromatisée.
En fait, mondialement, environ 59 % de l’eau commercialisée en bouteilles n’est déjà autre que de l’eau du robinet labellisée.

Mais en restauration, un nouveau concept siglé commence à prendre de l’importance. La société Aquachiara commercialise tout simplement des filtres à eau du robinet et des bouteilles (bleues ou transparentes, de 50 ou 75 cl) au bouchon réutilisable qui peuvent contenir de l’eau plate ou gazéifiée à 3° C (ou température ambiante, au choix) que le restaurateur offrira à sa clientèle ou pourra facturer de deux à cinq euros (et même dix pour certains). Cette eau est tout simplement microfiltrée (à 0,5 micron). Les flacons sont siglés « maîtres restaurateurs » et peuvent être personnalisés.
Cette société a deux concurrentes sur le marché européen : Nordaq Fresh et Eau de Castalie.

Monsieur Merle s’en est peut-être retourné dans sa tombe… Heureusement, même dans les établissements proposant de tels cols, les clients peuvent toujours réclamer une simple carafe d’eau municipale, qui ne leur sera pas facturée.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

2 réflexions sur « Jackpot : l’eau naturelle, sans additif ! »

  1. Bel article bien documenté.

    Castalie travaille d’ailleurs avec les successeurs de Robert Merle…
    Voir photo de nos machines sur Paris plage 🙂
    [url]http://www.facebook.com/photo.php?fbid=403822596332810&set=a.199378623443876.47556.195611940487211&type=1&theater[/url][/url][/url][/url]

  2. [b]du temps où j’habitais Saint Maur des Fossés, il y avait l’usine des eaux(près de Joinville) qui était équipée d’ozoniseurs de puissance: après décantation et filtrations, résultat eau impeccable, sans aucun goût, pas de traces de bactéries! pas une goutte de Javel n’était utilisée, O3 se retransforme en O² et O+ qui s’évapore ou se fixe sur les bactéries (en les brûlant) …[/b]

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