Notre amie Sophy avait écrit le 16 janvier dernier un article titré Quand L'Extrême Gauche, participe à la "Haine du Juif " !, qui a suscité à ce jour quelque 326 commentaires. J'y avais alors réagi en dénonçant un amalgame entre soutien aux Palestiniens et antisémitisme. C'est très exactement la tactique utilisée par le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) pour disqualifier ceux qui s'opposent à la politique de l'Etat d'Israël. Démonstration.

 

La relaxe de Siné peut bien résonner comme un signal fort à leur adresse, il en faudrait plus pour calmer ceux qui ont coutume d’utiliser l’accusation d’antisémitisme comme une arme de terrorisme intellectuel – ce qui dessert in fine les juifs, en renforçant le vrai antisémitisme, comme l’explique Philippe Cohen dans son retentissant coup de colère contre Bernard Kouchner. Quelques jours après l’énoncé du verdict déboutant la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme se tenait en effet le dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Son président, Richard Prasquier, y a déclaré durant son discours : "Les manifestations prétendaient soutenir la population de Gaza contre les attaques d’Israël, contre qui aucun qualificatif n’a été épargné : génocidaire, nazi, honte de l’humanité. Mais il y a eu aussi ces cris de "mort aux juifs  !", cette insulte monstrueuse de l’étoile de David impunément identifiée sur les banderoles à la croix gammée, il y a eu ces maquettes de fusées Qasam glorieusement transportées dans les rues de Paris par des militants cagoulés. Pour bien des organisateurs, nous l’avons compris, l’objectif réel était de glorifier le Hamas. Nous sommes dans un pays libre : manifestations de soutien à la population palestinienne, manifestations d’hostilité à la politique israélienne, tout cela est normal. Mais comment admettre qu’on défile sous les drapeaux de ce mouvement architerroriste qu’est le Hamas avec des banderoles de haine et des slogans de mort ? Je comprends celui qui vient aider des populations en détresse et qui se laisse manipuler ; mais comment croire ces militants politiques aguerris de l’extrême gauche qui prétendent n’avoir rien vu et rien entendu de ces débordements ? Sur les photos on ne les voit pourtant pas fermer les yeux ou se boucher les oreilles !" Quant à François Fillon qui lui succédait à la tribune, il en a remis une louche : "Nous n’acceptons pas que des manifestations prétendument pacifistes dégénèrent en débordements de violence, cautionnés par la complaisance de certains responsables politiques", s’est-il ainsi vertueusement indigné.

dvLisons ce qu’en dit Dominique Vidal, journaliste du Monde diplomatique, fils d’un survivant d’Auschwitz et d’une jeune fille juive cachée pendant la guerre par des paysans chrétiens du Chambon-sur-Lignon : "Là où la légitimité s’arrête, c’est quand M. Prasquier — malheureusement suivi par le premier ministre — dénonce comme antisémites les participants aux défilés de solidarité avec Gaza, allant jusqu’à exclure de son dîner les Verts et le Parti communiste français — PCF —, accusés de « ne pas s’être élevés contre le kidnapping (sic) des manifestations par des mouvements islamistes, avec des slogans antijuifs ». Quiconque y a pris part sait pourtant que ces débordements furent à la fois marginaux et unanimement condamnés. Quand, à l’issue d’un cortège du CRIF, le 7 avril 2002, les nervis du Betar et de la Ligue de défense juive (LDJ) s’en prirent aux passants d’origine arabe, accusa-t-on M. Roger Cukierman, alors président du CRIF, d’avoir conduit une « ratonnade » ? Question toujours d’actualité : qui protège la LDJ, interdite aux Etats-Unis et en Israël, mais autorisée en France malgré ses violences récurrentes ?" Excellente question ! Plus de détails sur le Bétar et la LDJ sont exposés dans notre billet consacré à l’affaire Rudy H.

Comme le précise Dominique Vidal, les communistes et les Verts n’ont donc pas été conviés cette année au dîner du CRIF. Sans doute sont-ce eux qui sont visés par Fillon dénonçant "certains responsables politiques", avec ceux du NPA, mais la LCR dont le nouveau parti émane n’a de toute façon jamais été invitée – "on n’y serait jamais allé », s’esclaffe Alain Krivine, cité par Libération. Juif lui-même, mais farouche adversaire de la politique menée par l’Etat d’Israël. Comment le PCF réagit-il au boycott dont il est la cible ? Sa responsable, Marie-George Buffet, juge que le CRIF "fait une confusion" : "Les familles de Justes sont très nombreuses au sein du PCF qui s’est toujours battu contre le racisme et l’antisémitisme. Il y a une situation au Moyen-Orient, avec le comportement inadmissible du gouvernement israélien, mais aussi la lutte formidable des pacifistes israéliens et la résistance courageuse du peuple palestinien pour obtenir un Etat. Et puis, il y a la communauté juive en France et l’histoire du Parti mbcommuniste qui a toujours été aux côtés des juifs de France dans la résistance contre l’occupant nazi." Pour les Verts, la réaction est plus offensive, par la voix de Martine Billard, députée de Paris d’ordinaire habituée du dîner, qui accuse les responsables du CRIF de "faire un trait d’égalité entre Israël et les juifs" et de "prêter ainsi le flanc à cette dérive, hélas, d’antisémitisme inadmissible". Et de fait : que lit-on sur le site de l’organisation communautariste, à la rubrique Présentation générale ? "Les grands axes prioritaires du CRIF sont : La lutte contre toutes les formes d’antisémitisme, de racisme, d’intolérance et d’exclusion ; l’affirmation de sa solidarité envers Israël et son soutien à une solution pacifique au conflit du Proche-Orient ; la préservation de la mémoire de la Shoah, afin que les futures générations n’oublient pas les victimes juives de la barbarie nazie." Glissons sur les points 1 et 3 pour déplorer que le deuxième "grand axe prioritaire" soit "l’affirmation de sa solidarité envers Israël". Pour faire bonne figure, le texte précise "son soutien à une solution pacifique au conflit du Proche-Orient", mais il faut alors objecter que les deux termes sont incompatibles : depuis soixante ans, les dirigeants israéliens ont tout fait sauf favoriser la "solution pacifique" que le CRIF appelle de ses voeux – ils la torpillent même consciencieusement et avec une belle constance.

manifLa "solidarité avec Israël" revendiquée par l’organisation juive française est-elle distincte du soutien aux dirigeants de l’Etat hébreu ? Evidemment pas, comme l’a prouvé une nouvelle fois la récente attaque sur Gaza, qui a donné lieu à une manifestation en sa faveur organisée par le CRIF. "Le 4 janvier 2009, nous avons manifesté dans la dignité et le calme notre solidarité à l’égard de l’Etat d’Israël comme c’est notre droit de citoyens français, a rappelé Prasquier lors de son discours. Nous n’avons pas manifesté contre les Palestiniens", a ajouté l’hypocrite. Le 4 janvier, les Gazaouis mouraient sous les bombes. Et le CRIF d’aller manifester sa solidarité avec l’Etat d’Israël au moment où son armée attaque Gaza : n’est-ce pas manifester contre les Palestiniens que de soutenir le massacre dont ils sont victimes (pas loin de 1500 morts), alors même qu’il est en train d’être perpétré ? En clair, l’organisation de Prasquier ne manifeste pas contre les Palestiniens mais en faveur de ceux qui les tuent : la nuance est subtile ! Les propos du président du CRIF sont exemplaires d’un fanatisme chevillé au corps dès lors qu’il est question d’Israël : "Certains osent suggérer ou même écrire que par leur attachement à Israël, les juifs de France, et le CRIF en particulier, se rendent eux-mêmes responsables des débordements antisémites, disait-il toujours dans la même allocution. Cette phraséologie fielleuse, nous l’avons connue dans notre histoire. "Ne soyez plus ceci ou cela, en gros ne soyez plus juif, et il n’y aura plus d’hostilité contre vous", nous disait-on alors. Aujourd’hui on nous enjoint hypocritement : "Soyez contre Israël, sinon il sera normal que nous soyons, ou que les autres soient, antisémites." C’est ainsi qu’Arthur, sous prétexte d’être juif et de soutenir Israël est interdit de spectacle par des manifestants extrémistes*." Imposture intellectuelle que ce discours ! Il ne s’agit pas d’être "contre Israël" mais contre, en l’occurrence, les exactions perpétrées vis-à-vis d’une population civile, et de façon plus générale l’oppression subie depuis soixante ans par le peuple palestinien. Et aussi contre la violation par l’Etat d’Israël des antisémiterésolutions de l’ONU, l’édification illégale du mur de séparation d’avec les territoires palestiniens, la construction de nouvelles colonies, illégales elles aussi… Mais non, sous prétexte d’ "attachement à Israël", le CRIF cautionne et encourage tout cela. Si on le lui reproche, on est bien sûr aussitôt taxé d’antisémitisme. Et là où ça devient problématique, c’est que cette organisation est censée exprimer la voix des juifs français. Ce sont donc bien ses responsables, en manifestant constamment ce soutien aveugle aux dirigeants de Tel Aviv, qui entretiennent le sentiment que "tous les juifs soutiennent les persécutions infligées aux Palestiniens", ce qui est bien sûr faux. Oui, le CRIF est coupable de désigner l’ensemble des juifs de France comme ennemis déclarés du peuple palestinien, en traçant, suivant la formule de Martine Billard, "un trait d’égalité entre Israël et les juifs". Et que penser de la sortie du grand rabbin de France, Gilles Bernheim, déclarant durant la manifestation organisée par le CRIF que "la seule préoccupation de l’armée israélienne est de préserver, avec amour et courage, l’idée d’humanité pour tous les hommes", en pleine offensive sur Gaza (propos recueillis par Libération) ? Irresponsable provocation ! Tout ceci ne justifie nullement l’antisémitisme, qui représente évidemment une abjection. Tentons un instant de pénétrer un cerveau antisémite. Que lui donne à penser l’attitude réitérée du Conseil représentatif des institutions juives de France ? Que les juifs soutiennent toujours les juifs, quels que soient leurs crimes, par solidarité juive. Et que si l’on combat l’Etat d’Israël, il faut s’attaquer aux juifs.

Pour l’amour de l’Humanité en général et celui d’Alix et Juliette Bonnet en particulier, j’accuse le CRIF de mettre en danger mes enfants, comme tous les autres enfants juifs de France, en ouvrant une voie royale à l’antisémitisme.

ujfpL’Union juive française pour la paix rejoint cette position, qui a adressé aux dirigeants du CRIF une lettre ouverte : "Les masques sont tombés et maintenant, ça suffit ! Vous n’avez absolument aucun droit de parler, ni en notre nom ni au nom de tous les nôtres qui ont été parqués dans les ghettos, assassinés dans les pogroms, anéantis dans les camps de la mort, mais qui aussi ont été de toutes les luttes, de celles de l’Internationale pour un monde meilleur à celles de la Résistance à l’envahisseur nazi, contre le colonialisme et pour la liberté, la justice, la dignité et l’égalité des droits.
Vous avez applaudi, encouragé les crimes de l’armée israélienne écrasant sous les bombes la population dans ce que vous appelez « entité hostile », réduisant en tas de gravats ses maisons, dévastant ses cultures, prenant pour cible les écoles, les mosquées, les hôpitaux les ambulances et même un cimetière….Dès lors vous vous êtes placés dans le camp des tenants de l’apartheid, des oppresseurs et des nouveaux barbares , et le sang de leurs victimes rejaillit sur vous.Ce faisant, vous avez perdu tout sentiment humain, toute compassion devant cette détresse, vous nous avez outragés et salis en assimilant tous les Juifs à des supporters d’une bande de criminels de guerre comme vous avez déshonoré la mémoire de Rachi, d’Edmond Fleg, d’Emmanuel Lévinas et de tant d’autres, enfin de tout ce que le judaïsme français comportait de richesse humaine, d’intelligence et de lumières.Vous avez voulu faire d’un conflit colonial et géopolitique un conflit communautaire et en prétendant que « 95 % des Juifs français approuvent l’intervention israélienne », vous attisez l’antisémitisme dont vous prétendez vous inquiéter de la résurgence, en pompiers pyromanes."

 

arthur* : Au sujet d’Arthur, les manifestants de Vals-les-Bains (Ardèche) n’ont pas interdit le "comique" de spectacle, ils sont venus protester contre son soutien à l’agression perpétrée sur les Gazaouis en réclamant l’arrêt des bombardements. Après plus d’une heure de manifestation et le départ des militants, c’est Arthur lui-même qui a annulé son spectacle, expliquant aux spectateurs qu’il n’avait "plus le cœur à rire". Il a ensuite déclaré : "jamais je n’aurais imaginé, que dans mon propre pays, (…) on puisse manifester contre moi uniquement parce que je suis juif", accusant la manifestation incriminée d’antisémitisme. Faux et archifaux ! Il ne fut pas la cible de manifestants uniquement parce qu’il est juif, comme il le prétend sans honte, mais en tant que soutien de la politique – criminelle ! – du gouvernement israélien. Claude Raymond, membre de l’Union juive française pour la paix, parmi les manifestants ce soir-là, recadre le débat dans Le Dauphiné libéré : "Arthur est un sioniste convaincu qui apporte son soutien financier et tient des propos sionistes insupportables". Voilà bien ce que lui reprochaient les manifestants. Peut-on taxer d’antisémitisme des membres de l’Union juive française pour la paix ? Pour les Torquemada pro-israéliens, sans aucun doute : même les juifs sont anti-juifs dès lors qu’ils n’applaudissent pas la politique d’Israël.

 

PS  : nous consacrerons un second billet à ce dîner du CRIF, disséquant celui-là le discours indigne qui y fut tenu par le Premier ministre François Fillon, dont une seule phrase est citée dans le présent article. Or le reste mérite amplement le détour.