Devons-nous admettre que les deux camps, Israéliens et Palestiniens, se sont installés durablement dans l'utopie, en nourrissant les mythes fondateurs et les lendemains qui chantent de discours et d'actes terroristes ou de guerre ?
La victoire du Hamas sur le Fatah à Gaza peut nous inciter à le croire ; d’autant que beaucoup pensent que la Cisjordanie tombera un jour aussi dans leurs mains. La seule incertitude serait de savoir dans combien de temps cet évènement inéluctable se produira !
Tout effort visant à faire baisser les tensions ou initier un processus vers la paix étant condamné (c'est un constat), on peut se demander si le Proche-Orient tel qu'il est aujourd'hui n'est pas tel que le veulent les deux parties en conflit. Trois problèmes se prêtent particulièrement bien à cette déviance : le droit au retour des réfugiés, le statut de Jérusalem, le devenir des colonies et le tracé de la frontière.
Nourrir l'utopie permet de repousser les compromis nécessaires pour trouver et mettre en place les réponses appropriées. Chaque camp justifie ses droits en puisant dans la longue et tourmentée histoire du Moyen-Orient ce qui répond aux besoins de la dialectique du jour ; d'autant que de multiples grilles de lecture sont possibles :
– ethnique, principalement entre Juifs et Arabes avec toutes les multiples composantes de ces deux groupes, leurs points de mixité et de rupture ;
– religieuse : avec les trois principales religions – juive, catholique et islamique -, leurs histoires, croyances communes et divergentes, leurs livres sacrés et leurs mythes ;
– politique : avec l'écheveau des relations entre Israël, l’Egypte, la Jordanie, la Syrie, le Liban, l'Arabie, l'Irak et le futur Etat Palestinien – sans oublier l’Iran et l’Irak et tous les autres Etats islamiques du monde qui sont concernés par les Lieux-Saints et le statut de Jérusalem
– militaire : on n'échappe pas non plus à la mythologie, en remontant aux Dynasties Egyptiennes, aux Empires Assyriens, aux Royaumes de Salomon et de Juda, en passant par l’Empire Romain, les Croisades et le Royaume Franc de Jérusalem reconquit par Saladin figure mythique de l'Islam, les Mamelouks, la Campagne d'Egypte de Napoléon, l’Empire Ottoman et la naissance du Royaume d'Arabie, de la Turquie, de l'Irak et de la Jordanie sur ses décombres, la guerre de 1914-18 suivie de la présence franco-anglaise dans la Région et de la création d'un Foyer Juif en Palestine, puis celle de 1939-45 qui débouche sur la création de l'Etat d'Israël, celle de 1957 pour le contrôle du Canal de Suez qui permet à Nasser de s'imposer comme le leader Arabe et du Tiers Monde et la montée en puissance des Etats Arabes, celle des 6 jours en 1967 et la conquête de la Cisjordanie, de Jérusalem, du SinaÏ et de Gaza par Israël, puis la guerre surprise de 1973 qui provoque une baisse de tension régionale avec la reconnaissance d'une puissance militaire Arabe et s'accompagne de l’évacuation du Sinaï, suivie de la visite historique de Sadate à Jérusalem et de la paix « de la raison » entre Israël et l’Egypte…
pour en arriver à l’Intifada 1 qui a précédé les accords de Madrid et d’Oslo qui ont donné naissance à l'Autorité Palestinienne, suivie des rounds de négociations de Camp David et de Taba qui dévoile la faiblesse d'Arafat et conduit à l’Intifada 2…
qui permet l'occupation par l'armée Israélienne des territoires passés sous contrôle palestinien au cours du trop lent processus de paix engagé à Oslo, et se caractérise par des actes terroristes palestiniens aveugles et dirigés contre les civils en Israël – attentats suicides souvent – et très meurtriers ; et enfin la prise de la Bande de Gaza par le Hamas qui a chassé par les armes le Fatah.
Ces approches convergent sur un corps de problèmes qui peuvent se résumer par un « gap culturel » entre les Juifs et les Arabes, qui semble insurmontable tant le mythe se mêle à l'histoire, l'utopie déborde la réalité des problèmes. Ainsi Amin Maalouf dans « Les Croisades vues par les Arabes » a montré (Epilogue) que des similitudes troublantes existaient entre les événements actuels et les faits du temps des Croisades ; ainsi il écrit : « …comment distinguer le passé du présent, quand il s’agit de la lutte entre Damas et Jérusalem pour le contrôle du Golan et de la Bekaa. ».
Amin Maalouf dit aussi (en substance) : les Arabes considèrent que la perte de Jérusalem devant Israël doit être rapprochée de la perte de Jérusalem devant les Croisés ; Jérusalem a été reprise aux Croisés, pourquoi ne devrait-elle pas, aujourd’hui, être reprise à Israël ? Les Arabes ne peuvent abandonner Jérusalem ; c’est écrit dans leur histoire. On ne peut ignorer cette référence à l'histoire. Les principales conséquences sont, pour les Palestiniens, d’être soit des réfugiés soit des hommes « sans état, sans pays » – pour ne plus faire partie depuis 1967 du peuple Egyptien (pour ceux de Gaza), ou du peuple Jordanien (pour ceux de Cisjordanie) -, nourrissant inévitablement des groupes militaires et terroristes, dont le Hamas. Ces mêmes raisons poussent les Israéliens à confirmer la spécificité ethnique et religieuse de l’état d’Israël, et pour résister à la pression des Palestiniens à mener une politique d’occupation par la poursuite de l’implantations de colonies en Cisjordanie après avoir évacué Gaza, et à déployer des forces militaires pour suppléer des forces de police dépassées par la violence des conflits et les actes de terrorisme.
La spirale d’incompréhension et de violence se nourrit ainsi aux deux sources culturelles et a abouti à la l’affaiblissement de l'Autorité palestinienne et de toute forme d'Etat palestinien, à l'occupation par l'armée Israélienne des zones et villes qui étaient passées sous administration palestinienne dans le cadre des accords d'Oslo, et à une situation de domination – une situation de ghetto et d'apartheid. Or la création de l'Etat palestinien est bien la première réponse à apporter à une situation de conflit entre deux peuples qui ne peuvent vivre ensemble.La méthode des "petits pas" élaborée par Kissinger il y a une vingtaine d'années n'est donc plus adaptée au conflit : les accords d'Oslo qui en sont l'une des applications débouchent sur un échec, voire une catastrophe.
On a cru qu'il fallait avancer dans un processus de paix et reporter à plus tard – au terme des négociations -, la résolution des causes profondes du conflit. On s'est trompé, aujourd'hui comme hier les protagonistes sont incapables d'apporter des réponses aux trois problèmes critiques sur lesquels ils ont butés à Camp David et à Taba : le sort de réfugiés Palestiniens, la situation de Jérusalem, le devenir des implantations Israéliennes en Cisjordanie protégées par « le mur » qui hypothèquent le tracé de la future frontière.Un constat s'impose : les leaders israéliens et palestiniens se sont installés dans le conflit, et ne cherchent plus une issue globale et définitive, que d'aucuns appellent encore la paix. Ils gèrent le conflit en grappillant chaque fois que c'est possible des avantages pour justifier leurs actions et conforter leurs positions.
Pendant ce temps les populations souffrent, les morts se comptent par centaines, et au lieu du développement économique et social attendu pour conduire à la paix, il n'y a que des destructions militaires ou terroristes, et une forme larvée de guerre civile palestinienne – qui ne profitera pas à Israël car elle nourrit le terrorisme en formant des combattants de plus en plus fanatisés (islamisés).Des évidences fortes apparaissent : premièrement le fait religieux est central et dépasse de beaucoup les peuples du Moyen-Orient dans la mesure où il concerne directement tous les Juifs et tous les Musulmans du monde ; l’attachement réciproque aux mêmes Lieux Saints de Jérusalem interdit toute négociation de souveraineté sur ces espaces aussi restreints soient-ils; les deux religions doivent en être maîtres ; deuxièmement ni l’Egypte, ni la Jordanie ne prétendent récupérer les territoires perdus en 1967 – notamment Jérusalem -, et n’offrent donc aux palestiniens restés à Gaza et en Cisjordanie pas d’alternative autre que celle de constituer dans ces territoires un Etat Palestinien ;
troisièmement « le retour » des réfugiés doit se faire, pour les Israéliens, dans le futur Etat Palestinien alors que pour certains Palestiniens, qui espèrent peut-être encore en finir un jour avec l’existence d’Israël, il faut un « vrai retour » dans les villes et villages d’où ils ont été chassé en 1948 et 1967 ; mais la logique, compte tenu de la création de deux Etats que tout le monde s’accorde à reconnaître, est bien évidemment de rapatrier ces Palestiniens de l’exil dans les futurs territoires Palestiniens de Cisjordanie et Gaza ; sinon ce serait admettre que la création d’un seul état « israélo-palestinien » est possible.
Ce n’est pas aujourd’hui une hypothèse de travail, du fait de l’attachement réciproque des deux peuples à leurs religions qui rend impossible la création d’un unique état qui ne pourrait être que laïque, condition nécessaire – mais non suffisante – pour que cette solution soit inscrite dans le champ des possibles ; quatrièmement il faut admettre qu’il n’y a pas aujourd’hui de leader politique Arabe ou musulman qui ait le charisme pour représenter l’ensemble des peuples concernés dans le monde, et le pouvoir de décider sans être désavoué, notamment sur la question de Jérusalem qui concerne aussi bien le Pakistan et l’Indonésie par exemple, que la Jordanie ancienne puissance occupante ; un leader Palestinien ne peut décider sur ce point sans en référer non seulement à l’ensemble de la communauté Arabe mais aussi encore à la communauté musulmane, ce qui interdit toute position de compromis du fait de la radicalisation de certains de ses membres qui ne sont pas directement partie au conflit mais en tirent un profit politique, souvent intérieur.
A cela il faut ajouter le temps qui est un facteur aggravant car il a introduit la dimension démographique : les peuples en présence sont aujourd’hui environ deux fois plus nombreux qu’il y a 25 ans, et les réfugiés cinq fois plus nombreux qu’en 1948. Il est inutile de se demander laquelle des parties en tire le plus profit ; il faut plus simplement considérer que si une solution n’est pas mise en place dans les trois à cinq ans, le conflit ne peut que s’étendre du fait de cette pression démographique et déboucher sur un bouleversement complet de la région, des révolutions dans les états de la péninsule arabique pour changer des modes de gouvernement compte tenu de leur faillite politique et économique, et cela aux prix de destructions massives et de pertes humaines que l’on n’ose estimer…Les forces opposées à toute paix ne doivent pas être sous-estimées.
Et elles sont à l’œuvre dans chaque camp, pour maintenir un statut quo, et accroître les tensions et les risques de guerre à l’occasion pour conforter leur pouvoir. Les champs de bataille sont aujourd’hui comme hier nécessaires à certains régimes pour leur survie, comme le sont la présence de ces 4 millions de réfugiés conservés dans un état infamant d'apartheid pour nourrir une idéologie de vengeance et soumettre des populations aux pouvoirs de dirigeants totalitaires. Les revenus du pétrole n’étaient-ils pas suffisants pour donner à ces réfugiés des logements et une vie normale ? Comment comprendre que les riches potentats Saoudiens et des Emirats, et quelques autres, construisent des palais à Beyrouth à quelques kilomètres des camps de Sabra et Chatilla ? Ce ne sont pas ceux-là qui seront des interlocuteurs pour la paix !
Aucune compassion pour leur propre peuple ; ce sont des leaders déchus.Et comment comprendre l’implantation de nouvelles colonies israéliennes – avec la suite de vexations et d’inévitables conflits locaux qui les accompagnent et accroissent les tensions -, dans des territoires dont l’évacuation est l’une des conditions de paix ? La négociation est face à un mur infranchissable. Prolonger des discussions qui n’aboutissent à rien, n’est-ce pas là l’objectif de certains ? D’où peut venir la paix ? Le statut quo, c’est la guerre pour demain dans toute la région. Les deux régimes politiques, Israélien et Palestinien, sont en situation de danger, et devant leur incapacité à trouver eux-mêmes les moyens d'en sortir, la Communauté Internationale (qui a su se mobiliser en ex-Yougoslavie et en Afghanistan notamment) a un devoir d'ingérence pour répondre aux trois problèmes que le processus d'Oslo a malheureusement occultés, et pour imposer ses solutions. Il est évident que ni les Israéliens ni les Palestiniens n'en tireront tous les avantages que les discours utopiques des uns et des autres leur ont malheureusement laissé entrevoir.
Mais y a-t-il d'autres voies pour Israël et le futur Etat palestinien ? Replaçons-nous avant la guerre de juin 67, du temps où les camps de réfugiés étaient encore en toile car le retour était proche comme le disait Choukhiéri, le tumultueux leader palestinien qui déclarait que les Arabes allaient jeter tous les Juifs à la mer ; c'était avant que Hussein ne chasse les Palestiniens de Jordanie, du temps de Nasser, du panarabisme et des grands projets financés par l'URSS ; c'était avant que de Gaule ne réoriente sa politique en faveur des Pays arabes. Jérusalem était une ville jordanienne et du sommet de ses remparts on dominait Israël, l'ennemi déclaré de tous les Arabes ; la Cisjordanie portait bien son nom, et Gaza – qui n'était pas encore la "Bande de Gaza" -, somnolait sous l'administration Egyptienne ; le Liban était toujours le doux pays du cèdre, et à Beyrouth, place des Canons, on trouvait toutes les monnaies du monde et le souk quasi millénaire semblait le centre mondial du négoce ; la frontière syrienne passait sur le Golan ; Akaba avait les charmes d'un petit port et Amman ceux d'une capitale de province ; Jéricho ne recevait pas de touristes et la Mer Morte n'était pas polluée par les crèmes solaires… C'était dans les années 1960… Il n'y a pas si longtemps !…
Et l'on attendait que tout rentre dans l'ordre, que les frontières soient reconnues, que les réfugiés des camps – qui recevaient sous leurs tentes provisoires une assistance de l'UNWRA (organisme onusien) -, soient relogés avec l'aide des Américains et des pays Arabes, comme si cela allait de soi ! En 2002, 40 ans plus tard, à la question : "et demain, de quoi sera-t-il fait ?", il n'y a pas de réponse. Le présent est effrayant par sa brutalité, par les actes de guerre et le terrorisme aveugle, par les discours désespérés, par la haine qui submerge tout et rend dérisoire toutes les tentatives de dialogues : qui peut parler avec qui ? et de quoi ?
Les réfugiés sont une pièce du jeu, mais on ne peut plus les manipuler car ils sont aussi une force qui peut se retourner contre ceux-là même qui en ont besoin dans des négociations de plus en plus complexes et sans but réaliste… et sans fin ; qu'ils se multiplient donc, cela fera toujours une force d'appoint ! Les colonies sont également une pièce importante du jeu ; elles aussi sont devenues une force qu'on ne peut plus manipuler, et il est bien d'en construire de nouvelles pour avoir, le jour venu, des cartes maîtresses en main ; que les colons prennent donc leur mal en patience, en se multipliant pour faire échec aux palestiniens des camps ! Et les deux parties prennent gardent de ne pas les désespérer…
L’ONU, l’Europe, les USA et tous les pays Arabes de la région doivent maintenant – parce qu'il n'y a pas d'autre issue interne -, avec Israël et l'Etat Palestinien (auquel il faut donner sans plus attendre une réalité juridique) agir de façon pragmatique, – malgré les protestations de ceux qui croient que les choses doivent rester en l'état et qui acceptent cette situation d'apartheid et de ghetto. On peut rêver à une action qui permettrait par exemple :- de définir une zone géographique qui constituerait une entité continue entre la Cisjordanie et Gaza : l'Etat Palestinien qu’Israël reconnaîtrait y serait chez lui.
Cette partition ne répondrait pas à l’attente de tous les Arabes et Musulmans du monde, bien évidemment, mais ce serait un pas important dans la mesure où un point politique de non-retour serait atteint… Puisque les Palestiniens ne peuvent ni se dissoudre dans un Etat israélien, ni devenir avec une partie de la Cisjordanie des Jordaniens, ou avec Gaza des Egyptiens, il faut donc leur donner un territoire. Israël n'échappera pas à cette obligation.- d'assurer, simultanément à ce transfert de souveraineté, le repli des colons Juifs dans des régions restant sous contrôle israélien, et de créer avec l’aide internationale et les riches pays pétroliers du Golfe un fonds monétaire pour permettre l’installation des réfugiés dans des "Villes Nouvelles". (Ils sont 4 millions) ; il s’agirait d’un « Plan Marshall » pour la Palestine, doté de plusieurs centaines de milliards de dollars, qui pourraitt être cogéré par les gouvernements régionaux sous le contrôle de l’ONU.- de constituer une Entité Administrative de la vieille ville historique de Jérusalem pour la placer sous l’autorité conjointe des deux Etats, Israélien et Palestinien, – l'ONU apportant la caution internationale. Ils en assureraient l’administration, (conjointement avec l’ONU pendant une première période) ; chaque Etat aurait une souveraineté pleine et entière sur ce « territoire religieux exceptionnel », sans pouvoir y fixer sa capitale…
Cette démarche permettrait de « faire la part du feu », en demandant aux Israéliens et aux Palestiniens d'abandonner ce qu’ils ne peuvent en toute hypothèse espérer durablement conserver, pour être à même de mieux défendre ensuite leurs positions territoriales face aux menaces et agressions résiduelles. Il en résultera une diminution des tensions régionales. Cette inévitable frontière pourra être défendue par Israël si elle s'inscrit dans un cadre juridique accepté par la communauté internationale. La reprise de la méthode Kissinger sera alors possible pour normaliser des relations entre les Etats de la Région, et développer un « Plan Marshall » indispensable pour que le décollage économique puisse se faire, élément essentiel de ce cercle vertueux qui seul peut conduire à cette paix réelle et durable, à cette intégration économique des peuples et à l’ouverture d’un espace culturellement fort qui sera alors un élément stabilisateur pour cette Région.
Les problèmes restant en suspends – le tracé définitif de la frontière, le statut de Jérusalem, le développement économique – pourront alors avoir des solutions, le temps devenant un facteur favorable à l’élaboration de compromis sans préalables impossibles à satisfaire. Le principe de réalité aura enfin remplacé l’utopie. D’autres bouleversements politiques dans ces riches monarchies, émirats et régimes militaires ou "à parti unique" archaïques, dont les pétrodollars devront bien être recyclés un jour ou l'autre autrement qu'aux tables de jeux des Casinos de Beyrouth ou de Monaco pour améliorer enfin le niveau de vie de toute la population, verront le jour… et la nouvelle Palestine servira alors de modèle pour reconstruire un Moyen-Orient moderne.