Israël, miroir de la France, et inversement…

Polémique en Israël et marginalement en France à propos d’une récente loi de la Knesset permettant à des villages de choisir qui peut devenir concitoyen. Assassinats de deux pacifistes pro-palestiniens par des Palestiniens. On n’en est encore pas déjà tout à fait là en France, mais… encore un effort !

Dans une tribune libre publiée par Haaretz, l’historien et chercheur en sciences politiques Zeev Sternhell, spécialiste du fascisme français, s’insurge contre la passivité de l’opinion israélienne face à l’influence, y compris dans les cercles gouvernementaux, de « la droite extrême et cléricale ». Sa contribution, fort controversée, a suscité de nombreuses répliques dont celle du Franco-Israélien Victor Perez, observateur de la vie politique française. Le débat pourrait rester une affaire intérieure purement israélienne si les valeurs laïques européennes n’étaient mises à contribution par Zeev Sternhell, qui fut un fin connaisseur de la France. Qui fut… Car visiblement il a dû cesser de se mettre au fait de l’actualité française. Ce qu’il dénonce en Israël pourrait, à quelques importantes nuances près cependant, valoir tout autant pour la France.

Zeev Sternhell est l’un de ces Israéliens opposé aux implantations de lotissements et villages de colons israéliens dans les territoires à dominante palestinienne. Cela lui a valu d’être la cible d’un attentat perpétré par un Américano-Israélien résidant dans la « colonie » de Shvut Rachel, Jack Teitel. Il s’agit d’un israélite fondamentaliste messianique, proche des kahanistes partisans du Grand Israël, dont la santé mentale a été invoquée : ce serait davantage un illuminé qu’un terroriste déterminé. Il a donc été désavoué par les composantes les plus ouvertement disertes des « colons ». Mais ce n’est pas à ces extrémistes que Zeev Sternhell s’en prend, mais au « centre », accusé de complicité passive avec les extrême droites mercantile ou religieuse (parfois synonymes).

Le prétexte ou déclencheur de cette tribune de Sternhell est la récente loi accordée aux édiles des agglomérations de moins de 400 foyers des seules régions de Galilée (de fait, du plateau du Golan limitrophe du Liban annexé fin 1981) et du Néguev (sud du pays à population bédouine sédentarisée ou non) : toute nouvelle famille, tout nouvel habitant, se verra soumis à un examen d’entrée, laquelle pourra être refusée sans s’assortir de motivations. Le refus d’admettre de nouveaux arrivants sera donc sans appel.

En France, les maires peuvent certes jouer sur les subtilités des plans d’occupation des sols, des permis de construire, mais ils ne peuvent s’opposer à l’achat d’un bien existant, sauf à préempter, et leurs décisions, devant être motivées, sont susceptibles d’appel. Bref, les Françaises et les Français peuvent bien, comme les Auvergnats de Paris, jurer qu’ils ne céderont jamais leurs cafés-tabacs à des Kabyles, et ces Kabyles proclamer qu’ils ne vendront jamais à des « Chinois », mais aucun ostracisme indiscriminé ne peut être invoqué pour préserver la « pureté » ethnico-sociale d’une communauté villageoise ou urbaine. Victor Perez considère que cette loi n’est pas discriminatoire puisque les communautés israélo-palestiniennes des mêmes régions pourront de même l’invoquer. On ne sait trop si cela pourrait conduire à ce que des prête-noms des Saoudiens ou des Émiratis puissent créer des enclaves peuplées uniquement de salafistes ou de wahhabites de telle ou telle stricte obédience, opérant ainsi un singulier – et inverse – retour sur le passé. Mais au nom de ses principes, Victor Perez ne pourrait s’y opposer. Si, comme il le soutient, « le désir de quête et de défense d’identité d’une très large majorité du peuple juif » est légitime, tout autre désir identitaire l’est tout autant, et tant qu’à faire, pourquoi pas, aussi, en France : nouveaux ghettos autour des synagogues, enclaves murées autour des mosquées, des églises, des temples, âshrams fortifiés, ermitages scientologues sécurisés, &c. Chacun chez soi et les âmes seront bien gardées.

Mais l’essentiel, pour Zeev Sternhell, n’est pas là. « Ce ne sont pas les ennemis du sionisme ou les antisémites qui provoquent la délégitimation d’Israël. C’est, de ses propres mains, Israël lui-même ». Notez bien : « les ennemis du sionisme ». De quel sionisme s’agit-il ? Celui des origines, approuvé par une large partie des opinions dites « occidentales » de naguère et certainement européennes, ou, si ce n’est l’actuel, sa représentation la plus caricaturale ? Les évolutions ont certes relativisé l’engouement pour les kibboutz laïques, désormais très minoritaires (combien en subsiste-t-il, un seul ?), mitigé l’appréciation de la société israélienne à la pointe du civisme, de l’inventivité intellectuelle, artistique, technologique. Mais le terme même de sionisme n’est pas tabou dans les sociétés européennes, si ce n’est dans certains – pas tous – cercles proches des revendications palestiniennes. Les illusions sont tombées : Israël peut générer un Sarkozy, un Berlusconi, un Kadhafi… Tout comme la France : les Israéliens sont, tout comme les Français, d’autres Européens, Nord-Américains, &c., des gens ordinaires, parfois extraordinaires, multiples. « L’identité du peuple juif » est aussi mythique que celle du peuple français, composé tout autant de Kabyles, d’Arabes, Asiatiques, Africains, et bien sûr de Britanniques et de Bataves, &c., que de Bretons, Alsaciens, Basques, Occitans, &c.

Zeev Sternhell poursuit : « qu’aurions-nous dit si, dans l’un des pays catholiques de l’Europe occidentale, les chefs de l’Église dirigeaient les partis politiques et contrôlaient des pans entiers de la politique nationale ? ». Originaire de Pologne, Zeev Sternhell semble être fort oublieux des réalités polonaises. Formé par l’université française, il paraît ne plus être au fait des réalités françaises. De fait, même s’il n’est plus de chanoine Kir à l’Assemblée, le clientélisme, plaie autant française qu’israélienne, aboutit à peu près aux mêmes conséquences. Le président français nie la morale laïque, foule aux pieds l’esprit de sacrifice républicain et laïque pour n’admettre que la présumée supériorité du prêtre, du rabbin, de l’imam, notamment en matière d’éducation. Tout est fait, conçu, pour que les écoles confessionnelles l’emportent sur l’école laïque. Cela avec l’assentiment, la complaisance, du « centre » qui s’étend de l’extrême-droite de l’UMP au ventre mou du Parti communiste.

« Comment aurions-nous réagi si le dirigeant d’un parti politique (…) embrassait la main d’un cardinal (…) ? ». Nous avons vu le dirigeant réel de l’UMP, président de la République de surcroît, faire de même, en tant que représentant de la Nation française. Certes, il n’est pas inféodé qu’à son directeur de conscience catholique romain, puisque l’aumônier général israélite des Armées a, selon les circonstances, autant d’influence sur ses décisions clientélistes. Il ne semble pas qu’il ait choisi son imam de prédilection, sans doute pour ne pas fâcher les alaouites ou d’autres. « Il est triste de voir comment l’une des plus grands espérances du XXe siècle se fait, sous nos yeux, anachronique, » conclut Zeev Sternell.

On peut en dire tout autant de l’universalisme républicain français – qui doit tant à l’intelligentsia « juive » – devenu lui aussi anachronique, passéiste aux yeux des classes dirigeantes françaises, celles du « centre ». Nos multiples renoncements ne nous permettent en tout cas plus de critiquer la société israélienne avec hauteur : on ne sait plus si elle reflète la nôtre ou si c’est l’inverse. Au moins un quart de la société française approuverait sans grande restriction mentale la loi de la Knesset appliquée tant aux lotissements des banlieues qu’aux enclaves urbaines privilégiées, ces « beaux quartiers » citadins, où, de fait, la ségrégation par le pouvoir d’achat en assure l’implémentation. Un quart déjà des sondés optent pour une « préférence française » qui n’est en fait qu’une préférence pour les « gens comme il faut », quelques soient leurs origines.

Ne calquons pas bien sûr « chou pour chou » les réalités israéliennes sur les françaises, ou inversement. Des nuances subsistent, tout comme il en perdure à Tel Aviv, ville cosmopolite, qui ne reflète pas déjà les ségrégations d’un Beyrouth. Mais nous nous sommes engagés dans des processus similaires : le FN a peu d’élus, certes, mais en quoi se distingue-t-il vraiment de l’UMP, d’un PS « à la Georges Frèche » ? L’UMFPSN prédomine déjà largement. Il ne lui reste qu’à créer ses Palestiniens de l’intérieur : pauvres, précaires, chômeurs de longue durée mal indemnisés, marginaux, qui ne se reconnaissent que peu dans les valeurs « chrétiennes, israélites, musulmanes ». Zeev Sternell est devenu, qu’il le conçoive ou non, un anachronisme, une insolite singularité.

Récemment, c’est un groupe salafiste palestinien, opposé au Hamas, qui a pris en otage, et exécuté, un pacifiste italien plutôt pro-palestinien. Le Hamas est débordé sur sa droite religieuse intransigeante. Tout aussi récemment, un Palestino-israélien, Juliano Mer Khamis, haï par les Israéliens israélites fondamentalistes (tous les Israéliens ne le sont pas déjà) autant que par les Palestiniens voulant la disparition d’Israël, a été abattu à Jenine (par des Palestiniens qui auront été plus prompts à le faire qu’un autre Jack Teitel israélien).

Ils, Vittorio Arrigoni et Juliano Mer Khamis, n’étaient pas assez « pro-juifs » pour un Vincent Perez, pas assez « pro-palestiniens » pour un Victor Perez d’un « en face » quelconque. L’ennui, c’est qu’un Victor Perez est représentatif du « centre » français. Il incarne ce que « l’historien des droites françaises et de leur idéologie » (aka. Zeev Sternell) a campé. Il n’est certes pas, ni en Israël, ni en France, anachronique. Plutôt très actuel, trop actuel… Et bien sûr, le Vatican, l’Autorité palestinienne, le Hamas, voire on ne sait quelle composante du rabbinat, ont considéré que ces crimes n’avaient rien à voir avec leurs diverses religions. Un peu facile et rapidement énoncé, non ?

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

2 réflexions sur « Israël, miroir de la France, et inversement… »

  1. entre le Victor Perez et le Vincent Perez…

    Je cafouille.

    J’y retourne à ma lecture.
    ou alors, peut être que…
    [/b]

    [b]Réponse[/b] [J.T.] : Victor, et il suffisait de suivre le lien pour s’en assurer.
    En tout cas, merci, c’est corrigé.

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