Islamophobie : tout est bon pour l’alimenter ?

Religiophobe comme tant d’autres, aux deux sens du vocable (craignant les religieux et s’opposant à leur néfaste emprise), je n’en estime pas moins que toute fin ne justifie pas tous moyens… De même, stigmatiser une croyance tirée à hue et à dia ne doit pas conduire à ostraciser quiconque en observe plus ou moins les préceptes. Après tout, dans la plupart des constructions humaines, il y a du meilleur parfois, souvent du pire… Que qui ne s’est jamais fourvoyé lance la première pierre… Mais en matière d’islamophobie, à force de repousser les bornes, les limites deviennent vraiment trop floues. Illustration avec un site nord-américain vraiment peu regardant sur ses méthodes.

Quant des émetteurs d’opinions, auto-proclamés « experts », mais surtout prêcheurs et évangélistes (commerciaux, aussi, pro domo) se prononcent sur l’islam, la méfiance doit être systématique et la vérification des faits et sources s’impose d’urgence… Impérativement, sans concession aucune. Ainsi du site Atlas Shrugs d’une certaine Pamela Geller.
Au-dessus de l’accroche « Jihad en Suède », ce titre tout aussi accrocheur : « Le califat en Europe : La Suède concède le contrôle de zones musulmanes » (sous-entendu, à des djihadistes).

La suite est alimentée par une carte de la capitale suédoise montrant des zones cerclées de gris, dont il est tenté de faire croire qu’elle proviendrait du site News.Investors (.com) ayant pu l’obtenir de la police suédoise. Nulle trace de cette carte sur le site en question, mais Atlas Shrugs, après un chapeau (ou châpo) de son cru, visant à laisser croire que la Suède serait un pays judéophobe (car ayant reconnu l’État palestinien), pompe totalement la contribution de News.Investors. Répercuter en amplifiant si loisible, telle est la méthode de la plupart des sites islamophobes (parmi d’autres).

En ce domaine, tout semble loisible. Pamela Geller est une sexagénaire qui, fervente sioniste depuis sans doute sa petite enfance, vit et s’enrichit depuis une décennie en s’étant emparée de l’affaire des caricatures de Mahomet pour prospérer tant et mieux que les actionnaires de Charlie Hebdo (lequel voit ses finances battre de l’aile, tout comme Siné Mensuel, après que la famille Sinet se soit, elle, vraiment saignée pour le maintenir publié). Elle a fondé un machin dans le style dont Riposte Laïque s’inspire, surfe sur la vague du Tea Party, mais s’arrange pour s’éviter des procès en proclamant qu’elle n’est nullement religiophobe (même si elle soutient que l’islam est la condition suffisante et nécessaire du jihadisme qui en découlerait inéluctablement).

Or donc, en Suède, la police tolérerait, s’accommoderait de 55 zones islamistes régies par la seule charia, les contournant lors de ses patrouilles qui n’oseraient plus franchir les présumés barrages de contrôle qui seraient dressés à leurs abords par des jihadistes malfaisants, de barbus voyous armés. En cas d’accrochage, la police négocierait avec les imams.

Propagandiste sioniste désirant ardemment l’emprise complète sur la « Judée et Samarie », Geller taquine aussi la fibre complotiste en laissant entendre qu’Obama serait resté sous l’influence de sa mère, décrite adepte des Black Panthers, de Malcom X, et qu’en privé, il urine sur le drapeau américain. Bref, de quoi obtenir plus de piges de publications amies et davantage de droits d’auteure.

Pour elle, quand des temples hindouistes sont attaqués par des musulmans au Bangladesh, c’est bien sûr un scandale majeur (ce qui est indéniable), mais lorsque des hindouistes s’en prennent à des mosquées, elle n’émet pas la moindre critique. Elle voudrait expurger le coran de toute propagande guerrière, mais pour la bible, c’est bien sûr superflu à ses yeux. Quand Obama double la présence militaire en Irak (avec 1 500 renforts), elle laisse présumer que, faute de reconnaître la nature de l’islam, le président américain les envoie se faire massacrer (peut-être que l’armée américaine serait, selon elle, mieux déployée aux États-Unis mêmes, aux abords des mosquées salafistes ?).

À la différence des islamophobes de la Manif pour tous, partant du principe que les ennemis de ses ennemis sont ses amis, elle se prononce pour les libertés homosexuel·le·s. En cela, paradoxalement, elle est proche de la Manif pour tous qui a tenté d’embrigader des musulmans bien pensants car homophobes. Quand le patriarche orthodoxe moscovite bénit les mercenaires et voyous occupant la région du Dontetz-Donbass ukrainienne, elle n’a pas à commenter. Mais le voilà glorifié pour avoir, à très juste titre d’ailleurs, appelé le président pakistanais à gracier une supposée blasphématrice (Asia Bibi). Cela manque de vigueur : le patriarche n’aurait-il pas dû plutôt vouer le président pakistanais aux enfers ? Lancer des neuvaines de prière pour obtenir du bienfaisant Christ son trépas ? Mais non, le patriarcat de Moscou serait une humaniste œuvre de bienfaisance qui n’incite absolument pas à condamner, massacrer au besoin, les homosexuel·le·s chèr·e·s à Pamela Geller.

Dans l’espace commercial de son site, une affiche (75 USD quand même), vante la croisade de Sion, soit la coalition des nations occidentales avec Israël pour la liberté (et les dividendes du canal de Suez aussi, un peu, quand même…). Moins cher (5 $ cependant pour un coût d’impression unitaire proche de quelques cents), un autocollant proclame « ce n’est pas de l’islamophobie, c’est de l’islamoréalisme ».

On pourrait sans doute souscrire à ce slogan, mais imaginez qu’un site christianophobe martèle par exemple que le Vatican est une organisation prônant la pédophilie ? Pour Geller, ce serait sans doute véniel, puisqu’elle tend parfois à faire croire, ou au moins supputer, que l’islam propage la zoophilie…

Le Star Spangled Banner, l’hymne étasunien, se conclut par cette exhortation : « In God is our trust. ». Geller ne songe même pas à faire campagne pour l’expurger. C’est pourtant bien le point commun entre les religions dites du « livre ». Les religiophiles islamophobes n’en sont pas à une contradiction près… La manipulation constante des faits, jusqu’à ce qu’ils apparaissent trop bien établis pour le plus grand nombre (ainsi, en matières scientifiques), est d’ailleurs la marque de fabrique de la plupart des croyances religieuses.

On peut bien sûr considérer ce phénomène peu offensif (si ce n’est pour l’esprit de rationalité), mais d’aucuns et d’aucunes, comme Geller, poussent un peu trop loin l’escroquerie intellectuelle.

Le mythe du Stockholmistan (néologisme dérivé du Londonistan) se décline sur toutes les gammes et pour des sites américains, le Parisistan est une réalité intangible. On verra très certainement bientôt des sites francophones le propager, en purgeant peut-être la partie Parisistan dont le fondement semble moins d’actualité que lors des grandes prières musulmanes sur les voies publiques des grandes agglomérations françaises.

Il n’empêche. Oui, lorsque cette photo de la rue Myrha à Paris fut prise, la bijouterie Batex avait partiellement tiré son rideau, tout comme la boucherie Halal El Walid. Mais non pas la pharmacie, comme les sites islamophobes s’emploient à le faire croire en laissant propager que tous les commerces des zones sous contrôle présumé de la charia sont forcés de fermer le vendredi. Plus ces zones sont éloignées, mieux c’est crédible. Plausible, donc prémonitoire…

Même le FN, devenu plus avide de postes électifs et autres lucratifs que d’idéologie, prend peu à peu ses distances avec la théorie du « grand remplacement ». Tout simplement parce que ce n’est plus crédible auprès des personnes un tant soit peu documentées. Le dogme, l’article de foi s’émoussant, on l’édulcore. Même si papy Le Pen s’y accroche mordicus. Après la rumeur d’Orléans, qui n’est plus de mise depuis que des israélites comme Geller se montrent d’utiles propagandistes islamophobes, place à la « rumeur du 9-3 » (des municipalité complaisantes de province accueillent, logent et rétribuent des familles d’immigrés du nord parisien). 

En tout cas, Geller est fort réactive. Sans le moindre commentaire polémique, ironique ou portant sur le fond, j’avais commenté l’article en question, indiquant tout simplement que le lieu de la photo (conservée sur le site) se situait à Paris, rue Myrha. Cette information que chacun peut vérifier (via pagesjaunes.fr par ex.) a été prestement censurée. La même, mais émanant d’un certain Alain Dousset, a dû échapper à la vigilance de Geller. Mais elle avait attiré sept réponses allant dans le sens des dires de l’auteure. Difficile de censurer les dires d’autres adeptes. D’autant que le nombre des opinions convergentes est l’un des meilleurs moyens d’alimenter et amplifier l’« autopersuasion ».

Geller (et tant d’autres) est une très bonne joueuse. La déjouer semble une gageure. Mais ne pas tenter serait abdiquer. Néanmoins, tout n’est pas à rejeter sur ce site. Par exemple, le commentaire d’un certain Amyel citant un proverbe berbère : un arbre s’adresse à la hache qui va l’abattre en protestant de sa douleur et la hache répond que son manche provient de lui. Ainsi n’en est-il pas ainsi de la hache du salafisme jihadiste et de l’arbre islamique ? Formidable paradoxe qui peut s’interpréter sans fin  car les religions et les civilisations s’arrogent tour à tour les rôles de l’arbre et de la hache (les religieux soutenant avoir contribué à l’essor des civilisations, lesquelles le réfutent ou non, mollement ou vigoureusement, ainsi, récemment, alternativement, en est-il en Tunisie).

Tiens, la Tunisie. La dernière intervention de Geller sur ce sujet remonte au 22 août dernier. Un drapeau islamiste avait flotté (on ne sait plus trop quand) au-dessus d’une tribune de stade de foot. Rien sur les dernières élections tunisiennes depuis… Ce n’est certes pas un hasard.

Parmi les derniers en date des articles de Riposte laïque sur la Tunisie, on trouve, publié le 2 nov. dernier, celui titré « avec les fous d’Allah, les Tunisiens ne sont pas au bout de leur cauchemar ». Ce n’est certes pas tout à fait faux. Mais faire des salafistes des orfèvres dans la manipulation de l’opinion, ce qui est avéré, ne doit pas faire négliger ni la paille, ni la poutre en d’autres yeux ou sites. Jihadistes et islamophobes compulsionnels ou autres religieux sont bien trop souvent frères en méthodes de réclame et propagande.