Je suis devenu islamophobe assumé, car aussi christianophobe et judéophobe, après avoir été vaguement islamophile, christianophile, judéophile (et le restant d’ailleurs : il y a des aspects sympathiques, notamment chez beaucoup de personnes de diverses communautés). Mais je m’inquiète des propos d’Abdallah Zekri, président du « fantomatique » Observatoire national de l’islamophobie, qui fait état d’un essor (ou d’une recrudescence ?) d’actes de vandalismes, d’injures publiques, visant soit les musulmans en tant que tels, soit des personnes de culture musulmane…

Qu’on ne voie surtout nulle provocation dans l’expression « fantomatique » accolée à l’Oni qui relèverait du CFCM (Conseil français du culte musulman). Abdallah Zekri n’est pas président d’une commission du CFCM, c’est un simple « chargé de mission » et sur le site du Conseil, sa page était encore ce jour « en construction ». Je « m’en » félicite et le déplore à la fois : je souhaiterai ardemment que cet observatoire n’ait pas lieu d’être, tant les faits dénoncés seraient marginaux ; je trouve néfaste qu’on ne puisse se faire une idée plus précise de ce qu’Abdallah Zekri dénonce à très juste titre.

Mais je veux bien le croire sur paroles, soit sur ce qu’il a déclaré à Sébastien Fontenelle, de Bakchich.info (« Islamophobie : le grand silence ») : « certains se sentent en quelque sorte encouragés à passer à l’acte – peut-être même se disent-ils que s’ils se font prendre, la justice, par les temps qui courent, se montrera de toute façon clémente… ». Ce n’est pas tout à fait le cas général, car certaines décisions de magistrats valent contre-exemple (je songe notamment à cette propriétaire d’un gîte rural proche d’Épinal, Yvette Truchelut, condamnée à de lourdes amendes et à de la prison avec sursis). Mais, soit, il y aurait un essor d’actes, notamment scandaleux, islamophobes.

Comme Michel Onfray, je considère que « c’est l’islam qui est un problème », ressortant de celui, plus général, que certains font de leurs interprétations de livres « sacrés ». Est-ce là encourager des actes d’ostracisme, voire haineux ? Sincèrement, je ne le pense pas. Mais tout acte, ne serait-ce qu’en « paroles, en pensées, ou par omission », est quelque peu « péché » car vecteur d’effets pervers. Je ne peux garantir en être toujours exempt.

N’omettons rien

Mon islamophobie assumée ne m’empêche pas de fréquenter amicalement des musulmans ou des personnes de culture musulmane que je m’honore de connaître et apprécier. Je prête volontiers une main à une mère de famille voilée encombrée par une poussette dans les escaliers du métropolitain. Je remercie sincèrement tous les musulmans qui m’ont fort bien accueilli lors de multiples périples, j’apprécie la « langue des anges », l’arabe littéral, chantée ou traduite, &c. Les conversions tardives (ou reconversions) de personnes trouvant un réconfort dans une foi religieuse ou une autre restent pour moi un mystère, mais je ne fais nullement injure à leur intelligence (de très grands scientifiques ont fini par abjurer leur athéisme ou leur agnosticisme).

Je ne comprends d’ailleurs pas trop l’attitude de René LeBouvier qui, à 71 ans, avait traîné l’église catholique romaine devant le tribunal de la Manche pour obtenir l’annulation, sans cesse différée, de son baptême. Je n’hésiterai d’ailleurs pas à solliciter un prêtre pour obtenir un certificat de baptême en vue d’obtenir un visa, comme j’avais dû le faire par le passé afin de m’éviter un long détour de contournement d’un pays musulman. Je prône une certaine indifférence à l’endroit des religions afin d’éviter toute polémique inutile. Mais, s’il y a bien une nette croissance d’actes haineux visant des croyants, le silence n’est plus de mise. Or, selon toute apparence, Abdallah Zekri est fort en droit de s’alarmer.

Tout d’abord, soyons nets : qu’il y ait cinq ou dix millions de musulmans en France ne pose pas, en soi, problème. Il doit bien subsister autant de catholiques qui, hormis quelques minorités, ne posent pas de problème d’ordre public particulier. La progression des rayons hallal (ou kocher) dans les magasins d’alimentation m’offusque quelque peu (car je crains que le coût soit répercuté sur l’ensemble des autres produits) mais j’ai encore largement le choix. Je cohabite fort bien avec des chrétiens, des israélites, pourquoi pas avec des mahométans ? Je subis assez bien la christianisation autoritaire de la Bretagne, dont les effets sont à présent bénins, alors, pourquoi pas des mosquées (en granit, de préférence) ?

L’islam pose cependant problème car une certaine interprétation veut qu’une terre devenue musulmane le reste à jamais. On l’a pourtant bien vu en Autriche et dans les Balkans, au Banat, c’est réversible de fait. Je déplore certes que les stèles funéraires des divers croyants (ou rendus tels par leurs familles) ne puissent pas (ou plus) être disséminées parmi celles des libres penseurs dans les cimetières, mais est-ce bien là un problème majeur ?

Il convient cependant de dénoncer, après le vice-procureur de Castres, ces « incendiaires qui poussent avec les mots, et ceux qui les appliquent. ».

Refusons les amalgames

Ma plus farouchement islamophobe copine est une ex-professeure des universités de Paris et d’Oran qui a dû fuir l’Algérie nuitamment de peur de se retrouver égorgée en allant donner, non voilée, un cours. Je ne veux pas qu’une étudiante musulmane se rendant voilée dans une université française puisse un jour soupçonner qu’elle risquerait de subir le même sort. Mais que faire ?

Personne n’en sait vraiment rien, admettons-le. Je ne sais comment me prononcer sur la proposition de loi sénatoriale « visant à étendre l’obligation de neutralité à des personnes privées en charge de la petite enfance » que dénonce le CFCM. Idéalement, je suis pour. Pragmatiquement, je ne sais si cela conduira ou non à favoriser la création de madrasas pour contourner ce qui peut s’apparenter à une certaine dose d’ostracisme. La politique consiste aussi à opter en faisant le pari que les avantages l’emporteront sur les inconvénients.

Je ne sais pas davantage s’il convient d’approuver ou non la création à Strasbourg d’un mastère Droit, société et pluralité des religions. Après tout, on enseigne bien les droits romain et coutumiers dans les facultés de droit. Par ailleurs, le fait religieux a tellement marqué l’histoire que je trouverai anormal de faire l’impasse sur le passé. Comment l’enseigner ? En faisant la part du religieux, du fanatisme, de l’économique et du politique, largement présents de part et d’autre, par exemple, lors des guerres de religions en France ? Faire de tous les huguenots des martyrs est tout autant une imposture que de présenter les clans catholiques tels des défenseurs de la vraie foi : chacun avait des intérêts séculiers, il y eut de chaque côté des exactions, des crimes qui n’avaient pas que des visées religieuses. Et que dire des motivations des vieux-croyants russes ou de celles des partisans du « raskol » de Nikon ? Il en est de même d’ailleurs, à présent, chez une partie des islamophobes qui ne cherchent qu’à se faire élire ou trouver des prébendes pour prétendument défendre la civilisation judéo-chrétienne telle qu’ils veulent la concevoir. Idem côté islamophiles. Idem d’ailleurs chez les francs-maçons dont certains ne sont pas épris que d’humanisme syncrétique ou laïc.

Mais tâchons au moins de refuser les amalgames et généralisations faciles. Tous les « arabes » (il n’en reste que fort peu, et même ceux-là sont-ils en partie au moins mésopotamiens) ne sont pas musulmans, et inversement ; tous les islamophobes ne sont pas insensibles aux cultures du monde dit « arabe », soit à leur grandeur créatrice, leur haute tenue intellectuelle, leurs apports scientifiques, &c. Il est même des imams, des prêtres, pasteurs ou rabbins qui ne sont pas, loin de là, motivés par le pouvoir que confère le ministère de la parole ou divers (maigres) avantages. Ni même essentiellement mus par la propagation de leur foi.

Militantisme et outrance

Je savoure une bonne polémique, une disputation tumultueuse, l’ironie, la caricature, l’impertinence. Et j’admets me laisser parfois emporter par mon militantisme séculier. J’abhorrerai me retrouver prisonnier volontaire du carcan du « culturellement correct ». Mais la fin ne justifie pas les moyens, et il doit bien y en avoir de dire franchement les choses sans offenser les contradicteurs de bonne volonté. Au nombre desquels je place, sans le connaître, Abdallah Zekri.

On connaît l’argument de la réciprocité. Laissez construire des églises en terres musulmanes, nous laisserons ériger des mosquées. Ou, pire, en certains pays, des « temples » de la « Raison » (laquelle est, à mes yeux en tout cas, au moins évolutive, et toujours incertaine). Taratata. C’est toujours à l’autre de commencer à bien faire.

L’une des dernières polémiques du genre a divisé les agnostiques et les autres. Un libre-penseur britannique a souhaité ériger à Londres un monument, une sorte de tour, proclamant ses convictions. D’autres, tout autant libres-penseurs, ont condamné l’initiative. De même, dans l’armée américaine, l’idée de réclamer la nomination « d’aumôniers » (chaplains) athées est-elle controversée. Alain de Botton voit dans son projet un témoignage (culminant à 46 mètres, dans le Square Mile, la City) de l’élévation spirituelle humaniste, incitant à la réflexion et l’introspection. Mais son architecte, Tom Greenall, dénonce l’obstruction d’autorités qui ne voudraient « être associés d’aucune façon avec l’athéisme ». Au pays de G.B. Shaw, qui d’ailleurs, se serait peut-être opposé à ce projet en considérant qu’il constituerait un symbole « religieux » comme trop d’autres ! Nous en sommes là ! Je veux bien admettre qu’il serait plus utile de consacrer le budget de cette tour à des œuvres philanthropiques, mais sa réception est fort inquiétante.

Cela étant, en Europe occidentale du moins, notre droit à une relative indifférence est respecté, et nous ne recevons pas des lettres insultantes, « nos » tombes ne sont pas profanées (quant aux cendres dispersées, nul ne s’offusque des les voir foulées par des croyants).

Je ne vois, Cher Monsieur Zekri, qu’un possible compromis entre nous. Tentez au mieux de tenir les « vôtres », nous tenterons au mieux de tenir les « nôtres ». Tâches difficiles. Pour ma part, je considère que ceux qui insultent ou agressent vos coreligionnaires ne sont absolument pas des « miens ». La plupart ne sont que des égarés ou dérangés, temporaires ou durables, ou des marchands de leurs propres « temples » (ce n’est pas celui d’Alain de Botton, que je veux croire animé de nulle vaine tentation de passer ainsi à la postérité, auquel je fais ainsi allusion).

Tentons aussi de débattre plus politiquement et moins religieusement. Ne mêlons pas la question du vote des « étrangers » (auquel je suis favorable pour, au moins, des résidents européens d’une certaine ancienneté, soit des extra-européens quelque peu durablement implantés) et les questions religieuses.

J’admets, avec Alain Gresh, que « dénoncer l’islam dans notre société ne comporte pas de danger, si ce n’est de s’acquérir une notoriété facile. ». Je vous en suis d’ailleurs gré. Je risque d’ailleurs plus la dénonciation véhémente de ma « dhimmitude » qu’autre chose. De la part, notamment, de ceux qui gagneraient à s’en prendre au PSG : qu’ils aillent donc s’y frotter, qu’ils soient logiques, et affrontent les supporters d’un club qatari (là, c’est ma veine caustique qui reprend le dessus…).

Sachons aussi nommer « racistes » les racistes. J’ose vous suggérer de renommer votre organisme « Observatoire national de l’islamophobie raciste ou xénophobe ». Onirax « sonne » bien. « Attiser et conceptualiser politiquement la soif de haine et de xénophobie contre tout ce qui s’apparente à l’islam » n’est certes pas mon propos (cette citation pertinente est de vous, j’en partage l’esprit).

Mesure et circonspection

Je ne saurai nier qu’un courant « irax » (islamophobe raciste-xénophobe) puisse croître et défigurer cette société territoriale que nous avons en partage (je ne suis pas trop chauvin, et préfère même le sanglier ardennais au cochon d’élevage breton, mais cette société n’est pas que française). Il est tout à fait normal que vous le dénonciez et en appeliez à l’autorité publique. De même serait-il tout à fait bénéfique que votre organisme soit représenté dans des affaires judiciaires. Pourriez-vous donner l’exemple, vous abstenir d’embaucher des avocats pour assurer la défense de votre constitution de partie civile, et vous contenter de l’euro symbolique (sauf, peut-être, contre des organisations dotées de moyens) ? Cela me semblerait propice à vous concilier certaines opinions et conforme à vos convictions religieuses relatives au profit.

Tenez-nous, je vous prie, informé de « la mise en œuvre d’un suivi statistique et opérationnel des actes hostiles aux musulmans, » que j’aurais espéré intitulé « en France » et non « de France » (les touristes musulmans ne sont pas inférieurs à d’autres résidents musulmans, de nationalité française ou non). Soyez sûr que nombre d’islamophobes seront attentifs à sa réalisation. Et joindront leurs voix à la vôtre, quels que soient par ailleurs leurs convictions ou votes du moment.

Actualisation factuelle…

Cette, mettons, tribune, à peine rédigée, je lis à l’instant dans Le Monde que les actes anti-musulmans auraient progressé de 34 % en 2011.  Soit 116 en 2010 et 155 en 2011 pour les « actions et menaces ». En nombre, les voies de fait, incendies et dégradations passent de 22 à 38. Cela découlerait des chiffres officiels, ceux de la Sous-direction de l’information générale.
Je ne sais trop qu’en penser. Il y a eu des actes graves (profanations de cimetières, incendies de lieux de culte). Il faudrait voir le détail. Savoir si c’est concerté, &c. Supputer sans se tromper, qui, au juste, commet ces actes (bomber une croix gammée sur une stèle tombale musulmane donne une indication… quelque peu incertaine… cela peut être n’importe quel excité qui se livre à l’utilisation de ce type de symbole). Mais je ne cherche en rien à minimiser les faits. Le phénomène d’essor semble relativement récent (dernier trimestre 2011). J’espère tout simplement qu’on n’en déduira pas un peu rapidement qu’il y a une montée générale importante de la xénophobie et du racisme dans la population. Les chiffres absolus (même si un seul acte reste intolérable) restent faibles – heureusement – et ce recensement est récent (aucune statistique avant 2010). Souhaitons en tout cas un net fléchissement à l’issue de la prochaine période électorale.

Cela étant, quand je vois plus de 70 morts, et des centaines de blessés, à l’issue d’une rencontre de football en Égypte, sans particulière opposition entre coptes et musulmans, que dois-je en déduire ? Rien sur l’influence civilisatrice des religions, en tout cas.

Je ne soutiens pas non plus qu’il s’agisse particulièrement d’un échec des libres penseurs égyptiens (il en est certainement). Cet échec collectif devrait nous inciter à plus d’humilité, et aussi de courage. Meurtrier enfarinage… dont nous ne sortons pas indemnes.
Politiquement incorrect ?

On peut se demander aussi ce qui ressort de la provocation (la couverture de décembre de Charlie-Charia-Hebdo de décembre dernier, par exemple ?), du débat sur l’islam et l’islamophobie, ou d’autre chose. Dernier exemple en date, la campagne du Vlaams Belang flamand.

On y voit la fille de Filip Dewinter, An-Sofie Dewinter en maillot de bain deux-pièces, la poitrine barrée d’un bandeau « la liberté ou l’islam ? » et celui du bas du bikini invitant à choisir. Ce serait cette jeune fille qui aurait suggéré cette campagne. Cela fait suite à l’ouverture symbolique d’un tribunal selon la charia par le groupe belge Shariah4Belgium. Ce groupe, très minoritaire, a été frappé d’une amende, le mois dernier, de 550 euros. On verra si le Vlaams Belang écopera ou non d’une autre amende, et au nom de quoi au juste. Mais à force de réduire l’islam à certaines de ses manifestations les plus voyantes, que la majorité des musulmans trouvent réductrices, que cherche-t-on vraiment ? Seulement des voix dans les urnes ou des affrontements ?
C’est toute la question…