Les faits sont hélas connus de tous, de nombreux articles sont venus les rappeler à ceux qui auraient dormi ces trois dernières semaines. Maintenant que la polémique est un peu retombée, il semble intéressant de s’intérroger sur la méthode qu’ont employé les opposants à ce projet pour le combattre. Elle en dit long sur la forme qu’a pris l’extrême droite en France depuis maintenant un an. Au lieu de reprendre le texte point par point, ils ont choisi de rester dans le vague, de ressortir le mythe de la "théorie du genre".

Le plus drôle, c’est que cette théorie du genre n’existe pas, si ce n’est dans l’immagination des catholiques intégristes, et maintenant dans celle de la plupart des religieux extrêmistes.
http://www.franceinfo.fr/politique/qu-est-ce-que-la-theorie-du-genre-1298677-2014-01-29
Il n’existe pas de scientifiques sérieux ni de charlatants qui défendent une théorie du genre qui serait en quelque sorte la négation de la différence homme-femme. Ont existé aux Etats-Unis des études du genre, c’est-à-dire qu’un certain nombre de sociologues se sont posés des questions sur le rapport homme-femme et l’identité sexuelle dans la société. Ils ont fait des recherches dans ces domaines, avec des conclusions diverses et variées, sans qu’il n’y ait de consensus pour quoi que ce soit, raison pour laquelle parler de théorie du genre n’a aucun sens.
Les religieux ont donc choisi de se battre contre quelque chose qui n’existe pas, ce qui est quelque chose d’assez extraordianaire. Vous me direz que les religieux sont champions dans le domaine : ils n’ont pas leur pareil quand il s’agit d’inventer des personnages et des organisations, mais tout de même, un tel choix soulève quelques questions.
Un chose est intéressante : ils ont choisi de créer la confusion entre l’ABCD de l’égalité en expérimentation dans certaines écoles et cette fameuse théorie du genre, on peut donc raisonnablement supposer que la véritable cible de leur petit show était cet ABCD machinchose. Il y a donc dans ce projet quelque chose qui ne plaît pas aux religieux de civitas et la clique de Farida Belghoul. Ce quelque chose a nécessairement un rapport avec la famille, puisqu’il ne saurait être question de religion à l’école et ce type de groupuscule ne s’intéresse pas aux méthodes d’enseignement.
Le contenu de cet enseignement va totalement à l’encontre de la famille traditionelle si chère à ces gens là, mais cela fait un moment déjà que la femme n’est plus au foyer à élever sa marmaille. Ce qui pose problème, c’est que l’on cherche à apprendre aux enfants que les garçons peuvent être infirmiers et les filles pompiers ou agents de police. Il n’y a plus de métiers réservés à l’un ou l’autre des deux sexes. C’est vrai au regard de la loi, à l’exception peut-être de certains métiers de l’armée : je ne suis pas persuadé qu’une femme puisse être commando des forces spéciales (à vérifer, mais si tel était le cas, il peut y avoir une justification légitime). Il serait de bon aloi que cette égalité soit aussi dans les esprits, d’où cette idée d’ABCD. Evidement, si un tel objectif était atteint, la dernière barrière qui empêche encore certaines femmes de devenir pompier va tomber, au grand désespoir des religieux qui, après avoir perdu la bataille de la femme au foyer se consolaient en constatant que chacun avait sa place dans la vie professionelle.
Evidement, un tel discours ne pouvait pas être tenu (ou alors il aurait eu peu d’echo), il fallait donc utiliser un écran de fumée, raison pour laquelle ils ont ressorti cette théorie du genre.

Ce n’est pas la première fois que des éléments de ce que l’on pourrait appeler la nébuleuse d’extrême droite propage des rumeurs pour effrayer la population. Ce n’est d’ailleurs pas sans rappeler la cinquième colonne qui utilisait la même tactique. Ce qui est nouveau, en tout cas dans ce siècle, c’est le fait que l’extrême droite ne soit plus représentée uniquement par un parti unique qui traite aussi bien de l’immigration que du négationisme, que des valeurs chrétiennes et j’en passe. Désormais, la nébuleuse de petits mouvements prend de l’importance, chacun d’eux y mettant son grain de sel.
L’intérêt de cette nouvelle organisation est bien sûr d’ordre légal : ce que dit et fait Farida Belghoul(http://fr.wikipedia.org/wiki/Farida_Belghoul) n’engage qu’elle et éventuellement son mouvement, les autres groupuscules étant tout à fait à l’abri.
Un autre intérêt est de brouiller les pistes : les Français ne sont pas tous au courant que Farida Belghoul connaît Alain Soral(http://fr.wikipedia.org/wiki/Alain_Soral) (vous savez ? celui qui se revendique ouvertement "nationnal socialiste", dénomination supposée sans rapport avec un parti politique bien connu). Cet Alain Soral est un ami de longue date de ce vieux Dieudonné, Civitas soutient Farida Belghoul et défile aux côtés d’autres mouvements comme les JNR. Bref, tout ce petit monde ce connaît fort bien, et pour cause, la plupart d’entre eux a fréquenté le même parti qui bien sûr n’a plus rien à voir avec tout ça. Quiquonque se renseigne un peu se rend très vite compte que ces mouvements sont liés, il suffit d’aller sur Wikipedia voir les biographies des types qui les dirigent et qui les soutiennent : tous copains, tous le même CV.

Petite note : Certains contradicteurs (sans doute un brin de mauvaise foi) me diront que le fait que des gens se connaissent n’implique pas forcément qu’ils soient d’accord entre eux et encore moins qu’ils établissent des stratégies communes à leurs mouvements respectifs. Cet argument serait valable pour un ou deux cas. Alain Soral est bien passé par le parti communiste, et il y a peut-être gardé des relations. Personne n’accuse pour autant le parti communiste d’être mêlé de près ou de loin à ses activités, pas même les plus virulents opposants des communistes.
Dans le cas de l’extrême droite, le fait que tous se connaissent entre eux et que tous soient passés par le même parti, exclut le hasard. D’ailleurs, souvent, ils ne nient pas leur proximité. Je ne crois pas qu’Alain Soral nie être ami de Dieudonné. Seulement, ils veulent éviter que trop de liens soient connus du grand public, seul les liens entre la branche politique qui doit être clean et le reste de la nébuleuse restent plus ou moins secrets. Autrement, les gens auraient tôt fait de découvrir le pot aux roses et d’avoir une image assez réelle de la nébuleuse d’extrême droite, ce qui nuirait gravement à sa popularité.

Hier, le fait qu’un immigré noir ou arabe intègre l’extrême droite était impensable, les catholiques n’était pas forcément d’accord sur toute la ligne, bref, un parti unique ne peut convenir à tout le monde, surtout si il adopte un discours fortement engagé. Hier, la problématique était autre : l’extrême droite était faible, et il fallait fédérer les anciens collabos, l’amicale des anciens tortionnaires d’Algérie et autres gens sympatiques.
Aujourd’hui, l’extrême droite a regagné du terrain, et pour aller plus loin, elle a dû changer de tactique. Il eût été en effet fort dommage de ne pas exploiter l’antisémitisme de toute cette catégorie de gens (souvent musulmans mais pas toujours) farouchement anti-Israël (ils confondent Israël et juifs). Il était impossible de faire entrer ces gens là dans un grand parti d’extrême droite, puisqu’ils sont, pour beaucoup d’origine maghrébine, et n’auraient donc pas fait bon ménage avec l’amicale des ancien tortionnaires d’Algérie. Qui de mieux qu’un humoriste populaire pour servir de porte-drapeau à tout ce petit monde ?
Les bienfaits de cette nouvelle organisaton sont visibles dans cette affaire de l’ABCD de l’égalité qui a tout de même vu se rapprocher ce qui était à l’origine une militante anti-raciste d’origine Algérienne et des intégristes catholiques, c’est-à-dire des gens qui, à l’état naturel se battent comme des chiffoniers dès qu’ils se rencontrent. Les rôles sont complémentaires : l’une entraîne les parents des quartiers défavorisés, le plus souvent grâce à l’intox, parfois en exploitant leur côté "tradition" tandis que les autres fédèrent les mouvements chrétiens.

Nous avons donc une multitude de mouvements qui rassemblent des adeptes autour d’idéologies extrêmistes. Pris un par un, aucun de ces mouvements n’a assez d’envergure pour espérer prendre le pouvoir avant longtemps, ni même se présenter aux élections. Par contre, mis bout à bout, ils peuvent représenter un capital électoral intéressant. Ce qui amène une nouvelle question :
Qui va choper les voix de tous ces gens lors des élections ?
Ce qui est génial, maintenant, c’est que la branche politique n’a même plus besoin de tenir un discours polémique. Le discours de fond, il est tenu par les autres composantes de la nébuleuse : vous êtes catholique ? Vous prenez votre carte chez Civitas, et vous votez pour la branche politique commune, puisque civitas ne sera pas représentée aux élections.
Donc, la branche politique ne dit plus rien, ce qui permet de convenir à tout ce petit monde et même d’attirer des gens compétents (donc non d’extrême droite). Et oui ! Laissez-moi vous poser une question : supposons que vous soyiez un jeune de 30 ans dont les dents rayent le parquet, désireux de vous lancer dans la politique, l’objectif étant une place de maire, conseiller général ou député. Dans quel parti vous engagez-vous ?
Modem ? Impossible de gagner des élections, parti trop petit.
UMP ? Impossible d’avoir l’investiture, les sièges étant tous pris.
PS ? Même problème.

Non, ce qu’il faut, c’est un parti qui monte, et où les places ne peuvent pas être toutes prises, parce que les fauteuils de maires correspondants étaient jusqu’alors tenus par d’autres partis. Vous avez compris où je veux en venir, je le sens. Ce phénomène va donc attirer tout un tas de jeunes loups de la politique, sans idélogie, mais assez compétents pour gérer une ville de manière relativement correcte.

Jusque récemment, j’étais comme beaucoup relativement optimiste quand à la percée de l’extrême droite en vertu du principe relativement partagé "certes, ils vont faire des voix, peut-être même gagner des villes, mais ils les gèreront tellement mal qu’ils révèleront leur incompétence". J’ai fait l’erreur de le penser, et j’engage ceux qui le pensent encore à  reconsidérer leur position à la lumière de ce que je viens de dire.

Voilà donc à peu près comment fonctionne l’extrême droite aujourd’hui en France : propagation de rumeurs par différents organes de communication, officiellement indépendants les uns des autres. Il est désormais inapproprié de la désigner par le nom de sa branche politique. L’extrême droite en France, c’est toute une nébuleuse de partis, de mouvements et d’organisations terroristes qui ont chacune leur rôle. Il n’est pas évident de dire qui prend ses ordres de qui, qui est le grand patron (ou la grande patronne), même si un peu d’intuition peut nous donner une petite idée (qui est peut-être fausse).