C’est quand même insolite : toutes ces ministres, tous ces secrétaires d’État français, qui ont planché sur les conditions de vie en France vers 2025 et qui n’ont pas du tout vu ce prévoit l’association caritative Oxfam. Soit que, vers 2025, un européen sur trois vivra sous le seuil de pauvreté. Ce n’est pas juste une prédiction, c’est une planification, un objectif des classes politiques européennes dicté par la finance et le patronat.
Évidemment, pour vendre des produits, il faut des acheteurs. En Espagne, à présent, on constate une légère régression globale des prix alors même que celui des médicaments et de l’énergie augmente… Qu’à cela ne tienne, ceux qui produisent ailleurs qu’en Espagne fourgueront leur daube aux riches ou classes aisées des Brics… Sauf que la bulle des Brics semble sur le point d’éclater : l’Inde, le Brésil, par exemple, ne sont pas aussi acheteurs qu’on l’imaginait. Donc, la finance va beaucoup moins leur prêter et les correctifs risquent d’être drastiques.
En fait, le seul marché en croissance vers 2025, au rythme où vont les choses, sera celui des CSP+++. Soit les cadres très supérieurs et les possédants qui le seront resté.
C’est très bien : c’est ce qu’espèrent Medef et autres organisations patronales mondiales dominées par des actionnaires ayant diversifié leurs investissements, produisant hors d’Europe et vendant hors d’Europe. Bien sûr, ces organisations vont mincir : tout le monde ne peut produire et vendre mondialement, et à force d’obtenir des avantages fiscaux, des allégements de charges, des conditions plus souples pour faire travailler davantage et réduire les payes, les clientes et les clients, il faudra vraiment aller les trouver ailleurs.
Les patrons un tant soit peu intelligents savent fort bien que faire suer le burnous et n’accorder que des nèfles n’est pas toujours la meilleure solution. Le fordisme (Ford vendait à prix réduit mais rétribuait bien ses salariés), certains connaissent encore.
Sauf que ces patrons, ils n’ont pas trop droit à la parole et leur influence est faible. Donc, puisque les profits des banques restent copieux et que les patrons les plus prospères engrangent encore davantage qu’avant 2008, il ne faut rien changer. Et les gouvernements font ce que le patronat décide, quels que soient les élues ou les édiles.
En 2011, il n’y avait même pas le quart des Européens à vivre sous le seuil de pauvreté. Seulement 121 millions de personnes étaient, voici deux ans, confrontées au dénuement matériel, avec un revenu inférieur à 60 % du revenu disponible médian national. C’est la définition de la Commission européenne de la privation matérielle. On peut penser qu’en 2013, c’est bien 25 % des Européennes et Européens qui se trouvent, comme peut-être vous-même, dans ce cas.
Eh bien, il va falloir que vos enfants ou ceux de vos proches augmentent ce nombre. C’est bien parti, selon Oxfam. Cette ONG caritative d’origine britannique a révélé ce jour ses études portant sur divers pays européens, dont la France. Les analyses détaillées sont en anglais, la conclusion globale est disponible en français.
Il est prévu, en fait programmé, « 25 millions de “nouveaux pauvres” en Europe d’ici à 2025 ». C’est le titre. Il faut modérer, il s’agirait plutôt de 15 à 25 millions. Mais en tout cas, du quart, on progressera assurément vers le tiers. Un tiers de moindres consommateurs, rétribuant moins les vendeurs, qui réduiront les salaires pour ne pas réduire leurs marges. On devrait assez rapidement atteindre les 146 millions de pauvres, de gueux, de miséreux, ou de personnes vivant très, très chichement. Hourrah ! Car, parallèlement, il s’agit de faire en sorte que la part du dixième le plus riche de la population croisse et que s’effondre encore davantage celle du dixième le plus pauvre et de fait, celle d’un peu tout le monde. Comme le résume très bien Oxfam : « les plus riches s’en mettent plus dans la poche, et les pauvres moins ».
Déjà, par exemple au Royaume Uni ou au Portugal, globalement, les salaires réels ont baissé de plus de 3 % en deux ans. C’est aussi le cas en Irlande, Espagne et Italie, et bien sûr pire en Grèce (baisse d’un dixième). Ne vous en faites pas, pour les Grecs les plus riches, c’est l’inverse, prévu, programmé, applaudi.
Natalia Alonso, d’Oxfam, résume : « Les coupes radicales dans les budgets de la sécurité sociale, de la santé et de l’éducation, la réduction des droits des travailleurs et une fiscalité inéquitable enferment des millions d’Européens dans un cercle vicieux de la pauvreté qui pourrait durer des générations. C’est une absurdité morale et économique. ». Bien sûr, tout le monde comprendra que ce n’est pas du tout une absurdité économique pour tout le monde.
Les pays doivent devenir encore plus inégalitaires pour que les plus riches, qui sont « naturellement » (c’est souvent inné) les plus capables, s’enrichissent encore. Le modèle de la City, des îles britanniques transformées en paradis fiscaux, c’est le Soudan du Sud et le Paraguay : des riches richissimes, des pauvres pauvrissimes.
En Espagne, chaque jour ouvrable, on expulse 115 personnes. Qui vont à la rue. Ou s’entassent dans des demeures familiales qui ne les protègeront pas longtemps. Cela n’empêche absolument pas, et même au contraire, le retour à la croissance. Oxfam préconise ce que personne, dans les allées des pouvoirs ou des partis politiques ayant une petite chance d’y accéder, ne veut entendre : taxer la frange la plus riche et empêcher l’évasion fiscale.
L’analyse pour la France de 2010 à 2013 se distingue légèrement de celle portant sur l’Espagne, le Portugal et la Grèce. Le chômage à cru, le pouvoir d’achat a diminué, le gouvernement actuel fait ce que font les autres : diminuer les dépenses publiques, augmenter les taxes et ressources fiscales.
Il faut donc que les pauvres payent encore davantage pour les plus riches, qui, eux, légalement ou illégalement, sont largement exempts d’impositions (voire même de TVA, il suffit d’acquérir là où c’est le moins imposé). On va faire passer la TVA de 19,6 à 20 points, et ce ne sont pas ceux qui ne peuvent qu’acheter localement qui vont y échapper.
En France, depuis 2007, le chômage devient massif, relève Oxfam, et c’est tout à fait normal. Ce qu’on appelle le progrès technique ne profite plus vraiment aux travailleurs de base. La concurrence des meilleurs fléchit : 16 000 faillites pour le premier trimestre 2013. Bien sûr, les meilleurs ne récoltent pas toute la clientèle des faillis puisque celles et ceux qu’ils employaient sont progressivement insolvables. Mais il y a de quoi se goinfrer quand même.
Globalement, les Françaises et Français dépensent moins. Cela se tasse de plus d’un point. Ce alors même que le dixième le plus riche dépense libéralement. Sous Sarkozy, les salaires réels du cinquième des salariés (les moins payés) ont décru de 1,3 %. Pour le cinquième le mieux rétribué, la hausse a été de 0,9 %. Entendez qu’elle a été très, très copieuse pour les cadres les plus hauts placés, et maigre pour les simples cadres supérieurs, mais restant subalternes.
En 2012, les pauvres ne bénéficiant pas de la couverture médicale universelle ont diminué leurs dépenses de santé (même ceux ayant voté Sarkozy, semblerait-il). Cela touche déjà plus de 27 % de cette catégorie de pauvres procrastinant des soins. On réduit d’abord sur les soins dentaires, les lunettes.
Les inégalités se sont creusées sous les gouvernements de droite de la dernière décennie, mais ce n’est pas prêt de changer. Entre 2000 et 2010, les revenus des dix pour cent des foyers les plus riches ont cru de presque un cinquième (8 950 euros de mieux en moyenne). Mais c’est de 2004 à 2010, surtout sur les dernières années, que les super riches se sont vraiment gavés. Pour les 0,01 % des plus riches, ce fut 32,3 % de mieux. Ils ont forcément travaillé (fait travailler) plus, ils ont vraiment gagné plus, et vous-mêmes ? Logiquement, une personne sur deux lisant cet article a voté pour Chirac ou Sarkozy (ou un, une Le Pen). Vos revenus ont-ils augmenté de pratiquement un tiers ? Bon, c’est sûr, vous vous rattraperez à partir de 2017 (si vous n’êtes pas devenus chômistes comme beaucoup de monde, même ayant fort « bien » voté).
Néanmoins, il est admis par Oxfam que les plus pauvres d’entre les Françaises et Français ont moins morflé qu’ailleurs. Oxfam cite Fabrice Lenglart, de l’Insee, qui a estimé que s’il n’y avait pas eu de transferts sociaux, les 20 % les plus pauvres auraient morflé quatre fois pire. C’est ce que prône résolument, hardiment l’UMP ou le FN, c’est ce qu’applique doucettement mais assurément le PS.
Qu’on ne s’inquiète cependant pas trop pour le taux de croissance du PIB. Il remontera forcément : peu, mais suffisamment pour que les 0,01 % les plus riches en captent l’essentiel.
Ce qui manque dans le rapport d’Oxfam, c’est l’application des critères retenus pour les pays européens aux évolutions des revenus des cadres dirigeants d’Oxfam et des salarié·e·s de base de cette association (qui emploie aussi des bénévoles). Car, il faut le savoir, dans les ONG britanniques, les cadres très supérieurs sont généralement assez superbement rétribués.
Bien sûr, l’austérité peut entraîner des baisses de revenus, y compris des plus riches. Voyez le cours de l’action Apple. Selon les analystes, l’action Apple a chuté de 5,4 % mercredi en raison du niveau des prix des tout derniers téléphones portables de la marque. Car 549 USD ou 849 USD, c’est encore trop cher. Évidemment, ce n’est pas assez cher pour les vraiment riches. Mais fixer le prix au double, afin que la marque Apple entre vraiment dans le domaine du luxe (encore « accessible »), ce n’était pas envisageable. Les actionnaires voudraient plutôt un peu de fordisme : or, l’ouvrière chinoise qui monte ces objets ne va pas consacrer le salaire d’un mois à leur achat. Le marché chinois absorbe le tiers des téléphones portables produits dans le monde, mais Samsung, Lenovo, Yulong, ZTE Huawei, Xiaomi et d’autres dominent le marché, avec des produits abordables (enfin, pas pour tout le monde, mais quand même).
Un iPhone, c’est trois mois de salaire pour un chauffeur de bus chinois. Alors même qu’il est vendu un peu moins cher qu’en Amérique du Nord ou Europe. Il est vendu plus de 4 000 yuan alors que des produits concurrents, vraiment concurrents, se vendent dans les 1 500.
Mais, bon, après tout, les patrons d’Apple ne sont que de « nouveaux riches ». Pour les plus anciens, encore davantage de nouveaux pauvres n’est absolument pas un inconvénient (et encore moins inconvenant).
Mais pour les dirigeants d’Oxfam, c’est gênant. L’organisation met sur pieds, par exemple en Belgique, des « petits déjeuners » avec des produits bio ou issus du commerce équitable. Ou rassemble des équipes de marcheurs pour un « trailwalker » d’une centaine de kilomètres. L’association (en fait une fédération d’ONG) crée aussi des « bouquineries » (revendant à bas prix des livres, Cd, Dvd qui lui sont donnés). Plus de pauvres, c’est moins de participants, moins de donateurs. Oxfam avait été créée pour réduire la famine découlant de l’occupation nazie en Grèce… Avec 59 % de chômage des jeunes en Grèce, l’organisation va pouvoir retourner aux origines.
Bah, il y a des solutions. NKM va sans doute, une fois élue maire de Paris, recréer des bains-douches publics (on y fait déjà la queue).
Le communiqué d’Oxfam a été largement repris. Notamment par Le Point où j’ai trouvé le commentaire le plus significatif, celui d’un « Réaliste français » (pseudo un peu irréel), pour qui l’épuration par le bas est une bonne chose : « les plus faibles doivent laisser la place aux plus forts ! C’est logique ! La race humaine en sera améliorée ».
Oui, mais il ne faudrait pas que cela se fasse d’un seul coup. Car, dans ce cas, pour trouver à manger, le Réaliste français devrait peut-être se mettre à la chasse, la pêche, et au jardinage… Car, la véritable logique réaliste, c’est que, pour faire des riches, il faut des pauvres…
Ce qui s’observe en France reflète la situation des pays voisins.
En Belgique, entre 1990 et 2009, le tiers des Belges les plus pauvres se sont encore appauvris tandis que les 10 % les plus riches se sont enrichis d’un tiers.
En Italie, troisième économie de l’Eurozone, où la TVA est déjà à 21 %, où les[i] esodati [/i](retraités sans pension du fait qu’ils n’ont pu cotiser assez longtemps et sont passés du statut de mis à la retraite à chômeurs) sont nombreux (140 000), le cinquième plus riche capte 40 % de tous les revenus générés, n’en laissant que 8 % au cinquième le plus pauvre.
56 % des actifs vivent à présent avec moins de 20 000 euros annuellement. Il y a huit pour cent de véritables miséreux (en [i]absolute poverty[/i]). Soit avec un revenu inférieur à 800 euros pour un couple ou deux personnes (mère et enfant par exemple).
La consommation globale a reculé de 4,3 % depuis 2010. Idem pour la masse des dépôts bancaires (sachant que les plus riches épargnent quand même beaucoup mieux qu’auparavant). 2,7 millions d’Italiennes ou italiens se sont mis au maraîchage (font pousser des légumes pour leur propre consommation).
Le tourisme intérieur se porte très mal : 42 % de la population a renoncé aux vacances hors de son logis. Pour l’hôtellerie de grand luxe, c’est toujours plus florissant.
En fait, un cinquième des Italiennes ou Italiens sont pauvres selon les critères de l’UE. Ouvrières ou artisans ou petits commerçants vivent dans la grande pauvreté : ils représentent 6,5 % des actifs.
5 % des imposables italiens captent 23 % de la richesse nationale, la même que 55 % des plus pauvres acquittant l’impôt.
9 millions d’Italiennes ou d’Italiens ne peuvent plus se soigner. Du coup, les médecins ont moins de clients et augmentent leurs tarifs.
Le Royaume-Uni est le sixième plus riche pays au monde. Il a commencé à subir une politique de droite sous Thatcher qui avait déjà réussi à créer ou maintenir 7,3 millions de pauvres en 1979. Avec Blair puis le retour des conservateurs, en 2008, c’est passé à 13,5 millions (sachant que de nombreux pauvres retraités ont émigré).
En terme d’inégalités, c’est aussi le sixième pays mondial (juste derrière le Chili).
Mais, bizarrement, la TVA a été réduite en 2008.
Un demi-million de personnes ne subsistent que grâce aux banques alimentaires (restaus du cœur et autres).
Il est prévu que le nombre des enfants très très pauvres aura augmenté de 800 000 vers 2020 (et il n’y a pas qu’Oxfam pour le prédire). Ce qui fera que le quart des enfants britanniques seront vraiment pauvres.
En fait, il devrait y avoir, vers 2020, 17,5 % des actifs à être pauvres. Il y en a eu près d’un million de plus pour la seule année 2012.
Depuis 2010, les salaires ont décru de 5,5 %. On licencie pour réembaucher à temps partiel (voire très partiel, au point que certains se retrouvent au chômage faute de pouvoir payer pour se rendre au travail).
Les super-riches ramassent à présent 10 % du revenu national (plus trois points par rapport à 1995). Mais pour les mille plus grosses fortunes britanniques, les gains ont été beaucoup plus forts.
Les 5 % les plus riches détiennent 40 % de l’épargne totale.
Le retour de la croissance confortera encore cette tendance, soit creusera encore l’écart entre pauvres (encore plus pauvres) et riches (encore plus riches).
et alors pourquoi tant d’émigrés en Europe alors qu’on court à la catastrophe?