Saupoudrage et gaspillage ? Oui, pourquoi pas ? Que l’assistance d’urgence soit éparse et légèrement différée, pour les particuliers, pour les bonnes volontés, ce n’est pas inefficace. Que l’aide, et non l’assistance, soit concertée, réfléchie, soigneusement ciblée, c’est indispensable. Et cela se structure, notamment au sein du Collectif Haïti France.


Notre réflexion, à l’issue de notre visite rapide à l’une des réunions du Collectif Haïti France qui ont suivi le séisme, c’est que de continuer à faire parvenir des aides en pouvoir d’achat immédiat à celles et ceux que nous connaissons sur place reste d’actualité.  Bien évidemment, cela tient compte du fait que, d’une part, les prix de l’eau et des denrées grimpent et grimperont encore, et que d’autre part l’aide internationale d’urgence n’atteindra pas, à J+10, à J+11 ou 12, tous les objectifs, connus ou encore inconnus.
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La tribune que Rony Brauman (MSF) a fait publier par Le Monde ne date pas d’hier, ni d’avant-hier, mais du 19 janvier dernier. Que lit-on ? « D’une part, en ce qui concerne le délai entre la catastrophe et l’arrivée des secours internationaux : face à un événement imprévisible et massif comme celui-ci, il est impossible de rassembler immédiatement les moyens matériels et les équipes spécialisées. Deux à trois jours sont nécessaires pour commencer à déployer les premiers secours sur le terrain et plusieurs jours encore avant que le dispositif commence à faire sentir son efficacité, c’est-à-dire parvenir à un nombre significatif de victimes. Même alors, de nombreuses autres victimes restent hors d’atteinte de l’aide internationale, tant celle-ci se déploie progressivement. Plusieurs jours seront encore nécessaires pour assurer une couverture décente des besoins primordiaux. » C’est ce qu’on pouvait s’attendre à lire à J+3. Alors, oui, ne laissons pas celles et ceux que nous connaissons dans l’attente.

Voici deux jours, l’armée américaine expérimentait des largages en parachute de rations et de bouteilles d’eau. Sans plus trop se soucier des risques d’émeutes – on l’a vu, fort exagérés dans un premier temps, limités voire inexistants dans un second en maints endroits – ou des échauffourées sans grande portée observées lorsqu’un hélicoptère avait largué quelques rares et maigres colis au-dessus d’une foule, ce sont des gros porteurs qui peuvent à présent atteindre des rassemblements épars. C’est peu conforme aux dispositifs initialement prévus, oui, et alors ?

 

L’assistance organisée va sans doute faire en sorte de faire rouvrir les cliniques privées de Jacmel et d’ailleurs, qu’un envoyé spécial du Figaro avait trouvées fermées, gardées par des vigiles, propriétés de médecins de la haute-société haïtienne singulièrement absents de la rue et des centres de secours improvisés. Ces cliniques n’ont pas été construites sans assistance. En revanche, les médecins des quartiers ou des zones rurales haïtiennes l’attendent toujours, ceux des hôpitaux français ou européens qui, parlant créole, mieux à même d’intervenir sur place, au plus près des besoins, n’ont pas encore obtenu, que l’on sache, l’assistance leur permettant d’envisager un engagement de quelques semaines, ou mois. Qu’on ne se méprenne pas : les hôpitaux français fonctionnent à peu près grâce à eux, ils manqueraient aux urgences et dans divers services, et nous nous en rendrions compte.

 

L’aide, en revanche, va sans doute aussi aller aux mêmes. Pas toute l’aide, et moins qu’autrefois, en tout cas celle qui fut captée par ceux en ayant le moins besoin leur sera plus difficile à obtenir. Dire que les grandes ONG n’ont plus droit à l’erreur est une chose. Penser qu’elles ne commettront plus des erreurs est illusoire. Elles ne se sont pas montré toutes inefficaces  et Natacha Giafferi-Dombre avait pu constater, lorsqu’elle résidait en Ayiti, le travail de terrain de MSF. De même, l’Onu apportait une assistance non négligeable aux prisonniers, en particulier à ceux qui ne savaient pas du tout pourquoi ils étaient maintenus en détention (et tant la police que la justice l’ignoraient aussi).

 

L’un des premiers points efficaces et rapides de l’assistance française a consisté à suspendre les expulsions de sans-papiers vers Haïti. De toute façon, il était hors de question de trouver des places, sauf, peut-être, sur les gigantesques paquebots de croisière qui mouillent de nouveau dans des ports de l’île… Tant mieux, d’ailleurs, les croisiéristes apportent de l’eau potable, quelques vivres. Mais comme le souligne le Collectif Haïti France, l’accord gouvernemental dit « cadre de partenariat France-Haïti » pour la « réadmission » des sans papiers haïtiens en Haïti (comme ces choses sont joliment rédigées) peut sans doute attendre, et s’il devait être mieux concerté, il conviendrait qu’il ne soit pas destiné qu’à « faire du chiffre ».

 

Il y en France, deux instances fédératrices qui ne s’ignorent pas et collaborent. L’une est la Plateforme des associations franco-haïtiennes, créée en 2002 plus ou moins – oui, c’est réducteur – à la suite d’impulsions des pouvoirs publics voulant fédérer leurs interlocuteurs, et rassemblant surtout – oui, c’est simplificateur – des associations franciliennes ou représentées en Île-de-France. La PAFHA a sa raison d’être et son site explicite ses objectifs : « Aujourd’hui, la Plate-forme se structure et les associations proposent plusieurs projets à réaliser dans un cadre collectif. Il appartient à chaque acteur associatif de s’approprier cet outil, de le faire vivre en tant qu’espace démocratique ouvert à tous ceux et celles qui croient aux valeurs de solidarité et qui veulent exercer une citoyenneté active à l’égard d’Haïti… ». Le Collectif Haïti France, n’est pas moins ouvert et démocratique, mais son action visible et palpable remonte à 1998. Il avait réuni de nouveau, le 19 janvier au soir, certains acteurs n’ayant pu participer aux réunions précédentes tenues depuis le séisme (et qui avaient plus urgent à faire que de se réunir, pour d’aucunes et d’aucuns).

 

Sa création, à la fin des années 1990, à la suite d’une gestation débutée en 1986, a d’abord visé à rassembler les coopérants de retour d’Haïti qui voulaient contribuer à la démocratisation du pays et tirer les leçons de leurs engagements.  C’est en 1992 qu’il a pu se structurer et envisager d’embaucher une salariée qui ne comptait pas plus ses heures que l’actuelle. Il dispose d’un petit bureau exigu dans la maison des associations du 21 ter, rue Voltaire à Paris. Parmi les multiples actions, l’une consiste à favoriser l’achat de vaches laitières. Le Collectif ne réunit pas que des associations (300, ayant donné aussi naissance à des collectifs régionaux), il compte aussi des individus, Haïtiens et Français, vigilants, s’impliquant personnellement. Son action ne se borne pas à organiser des rencontres nationales (en 2006 et 2008), à s’adresser aussi aux grandes ONG (une cinquantaine représentées lors des dernières assises), ou à siéger aux rencontres trimestrielles européennes de Bruxelles. Il favorise aussi des jumelages entre collectivités territoriales haïtiennes et françaises, se penche sur les problèmes rencontrés par les Haïtiennes et Haïtiens travaillant en République dominicaine, apporte un soutien aux sans papiers en France. Reynold Henrys, membre du bureau, qui présidait cette séance, rappelait aussi l’appui à des associations se livrant à des interventions ciblées, peu spectaculaires, comme celles d’Agronomes et Vétérinaires sans Frontières.

Le Collectif réalise aussi deux supports d’information qui n’ont rien de dispendieux (Une Semaine en Haïti, simple feuille recto-verso mais vraiment consultée car elle rend compte des actions en Haïti semaine après semaine), et Nouvelles Images d’Haïti, qui sert de bulletin de liaison entre les associations françaises et haïtiennes (et autres) de part et d’autre de l’Atlantique. Et oui, le site n’est pas formidablement (litote) tenu à jour, et effectivement, les parutions ont été retardées du fait du séisme : comme tout le monde, on s’est enquis du sort des Haïtiennes et Haïtiennes, comme presque tous, les membres du Collectif ont été accaparés au téléphone pour « répondre encore et encore les mêmes choses ».

 

le_monde_c4n.pngDeux choses, donc. D’une part, la poursuite de l’assistance. Si vous ne savez à qui vous adresser sur place et voulez agir vite, Paypal a décidé de soutenir la Croix Rouge française. Pour sa part, l’opérateur SFR soutient diverses ONG dont le Secours populaire français (envoyer par SMS le mot « HAITI » ou « haiti » au 80333 débite votre compte d’un euro). ADT-Quart Monde (Aide à toute détresse) a mis en place un système de dons en ligne et localisé en page d’accueil des nouvelles des quartiers des localités haïtiennes avec lesquels ADT « a tissé des liens depuis plus de vingt ans. ».
ADT ne compte sur place que deux volontaires permanents qui ne soient pas des Haïtiennes ou des Haïtiens. C’est un critère comme un autre : les plus efficaces au plus proche de la population ne sont pas les mieux représentés par des volontaires extérieurs au pays.

Si vous êtes inscrits ou sur C4N, vous remarquerez, en haut à droite, le lien « Donnez pour Haïti » (et vous pouvez vous rendre directement sur la page du formulaire).  Jusqu’à nouvel ordre, les dons iront à des associations intervenant en Haïti, aucun montant n’est suggéré.
D’autre part, il s’agit de passer de l’assistance à l’aide. Le séisme a changé partiellement les données. Tant pour le court terme (le trimestre qui vient) que pour les moyen et long termes, la détermination se renforce : libre à chacun de privilégier tel ou tel aspect, mais l’aide directe et traçable destinée à la population haïtienne doit être encore plus maîtrisée. Ne soyons ni naïfs, ni indifférents, ni désemparés, encore moins désinformés…
 
Au fait, voici quelques réactions parvenues après la réplique qui a, ce 20 janvier, obligé à faire évacuer le plus grand hôpital en service à Port-au-Prince :
« Hier, j’ai failli mourir de soif. Il faut maintenant 0,50 dollar [américain] pour acheter [600ml] d’eau traitée. Cela me [rend encore] plus en colère contre les autorités », a dit Johane. » (source : Irin-Onu, et pour info, 0,50 USD, c’est trois gourdes, monnaie locale).
Lyonel Trouillot, écrivain haïtien, sur le site LePoint.fr, raconte ce qu’il a fait après la réplique : « J’ai marché dans les rues. La violence ? Soyons sérieux. Par rapport à ce qu’on a pu voir ailleurs (…) Aujourd’hui, je vais à la recherche de l’eau. Le quartier a besoin d’eau potable. Avant le séisme, on en achetait, chacun selon sa bourse. Mais la plupart des gens vivent au jour le jour, et depuis une semaine ils ne gagnent rien. Ils n’ont pas les gourdes qu’il faudrait pour un sachet, une bouteille ou un seau. Et même quand ils les auraient, l’eau est rare. Les camions ne passent plus. Un ami m’a promis de nous faire livrer un camion pour les besoins du quartier. Le comité constitué essentiellement de jeunes s’occupera de la distribution. ».
On a critiqué les largages de bouteilles d’eau en affirmant, sans donner des informations sur la façon de les acheminer (un sac à dos en contient combien de boîtes de cachets ? combien de temps à pied pour arriver au centre de Port-au-Prince depuis l’aéroport ?), qu’il vaudrait mieux distribuer des cachets de purification d’eau. Attendrait-on les tampons « don de la France », « USAID » et autres pour commencer la répartition dans les 4×4 des ONG, quitte à devoir stopper aux abords des rues impraticables ? En fait, heureusement, des sauveteurs ont bravé les consignes… Et Lyonel Trouillot salue leur action en relevant que les émeutes et échauffourées ont été exagérées, et il commente : « Pour quelques petits bourgeois de Port-au-Prince, experts dans l’art du mimétisme et trop paresseux pour sillonner les rues, si les Français le disent, [qu’il y a des émeutes] cela doit être vrai. » À J+9 locales, certains se demandent encore comme acheminer de l’aide de manière organisée, ordonnée…
 
Publiée ce 20 janvier au soir par Rabble.ca (« News for the rest of us », qu’on peut traduire par « nouvelles pour nous z’ôtres », voici le témoignage d’un médecin qui se trouvait à Haïti avant le séisme. Il s’agit du dr Evan Lyon, de Partners in Health…
«"Le problème de la sécurité et les rumeurs à ce sujet ainsi que le racisme lié à cette question ont été notre point d’achoppement majeur de l’obtention de l’aide. Les militaires étasuniens nous ont promis pendant des jours qu’ils nous faisaient parvenir du matériel médical, mais ils étaient influencés par cette idée risques d’insécurité, alors nous n’avons pas d’approvisionnement.
Je vis dans ce quartier avec un ami. Je me suis installé avec quelques-uns de mes collègues médecins haïtiens. Nous avons parcouru les rues à une et deux heures du matin, transportant des blessés, amenant des ressources, essayant de faire notre boulot. De sécurité, il n’y en a pas : l’Onu n’est pas dehors, les Américains ne sont pas dehors. Les policiers haïtiens ne sont pas en mesure d’être sur le terrain. Je ne sais pas si vous, vous étiez dehors la nuit dernière, mais vous pourriez entendre une aiguille tomber dans ce pays. C’est paisible. On n’est pas en guerre. Il n’y a pas d’autre crise que celle des souffrances qui se prolongent. Les inquiétudes portant sur une militarisation, la crainte d’une occupation sont réelles. Il y a des choses dont nous manquons et que les militaires vont nous fournir, et qui sont urgemment indispensables, parce que nous perdons des patients chaque minute. Mais la toute première chose que ceux qui nous écoutent doivent comprendre, c’est qu’il n’y a pas d’insécurité ici. Il n’y en a pas eu, et je pense que cela ne se produira pas. »
 
En fait, selon les observateurs réllement au fait de la situation, les gangs, qui se livraient surtout à des enlèvements, et faisaient profiter des quartiers entiers de leur manne, n’ont plus de base arrière : tout est détruit ; là où elle le peut, la population se charge elle-même d’écarter (ou punir, et, oui, violemment) les pillards ou ceux qui tenteraient de l’intimider. Si les sauveteurs internationaux ont réussi à dégager 121 survivants, à l’aide de leurs équipements spécialisés, un nombre bien plus important – non recensé – de gens doivent leur survie d’entre les décombres à des Haïtiennes et Haïtiens qui n’avaient aucun matériel, a estimé le dr Jon Kim Andrus, sous-directeur de la Pan American Health Organization. À présent, la branche nord-américaine de MSF (Doctors of the World), se préoccupe de l’aide psychologique à apporter aux sauveteurs, et bien sûr à la population : MSF avait sur place des cellules de psychologues. 
 
Verbatim
Vu, daté d’il y a deux heures (01:45, heure de Paris), sur le fil Twitter de Guy Adams :
RT @douglaspaul: 56 BABIES DEAD,74 DYING Notre Dame de la Nativité 8 bis rue Delvas fontamara 27 5092344754 Port. 50.94045154 can you help!?
La crèche N.-D. de la Nativité est en liaison avec des adoptants français de l’association Enfants-Soleil…
Et il y a huit heures :
Hungry people in Citie de Soleil eating "mud cakes" – biscuits made from clay and water #haiti
Des gens affamés de Cité-Soleil mangent des « gâteaux de boue », des biscuits faits d’argile et d’eau ; l’eau est souvent impropre à la consommation, selon nos critères européens.
 
Post-Scriptum :
Le Canard enchaîné relate qu’aucun des sept Falcon de l’Etec n’était disponible pour qu’Alain Joyandet (Coopération et Francophonie) ou Bernard Kouchner puissent se rendre en Haïti, accompagnés de journalistes, à leur bord. C’est donc un Falcon 900 et un Gulfstream 65 privés qui ont été loués. En revanche, pas un mot sur l’avion qui, comme le relatait The Sun, avait bloqué son emplacement sur le tarmac de l’aéroport de Port-au-Prince tout une journée et dont le pilote, sommé de décoller, faisait état d’instructions « du président français ». Les réfugiés qu’il attendait pour décoller, c’était Joyandet, ses conseillers et ses journalistes, ou Kouchner et sa suite ? Bah, comme l’écrit Le Canard, « le gouvernement se fera un plaisir de le [le coût des escapades ministérielles] révéler (…) à la représentation nationale. ». Et puis, avec l’Internet, tout finit – ou presque – par se savoir…