Il est fort dommage que Wismond Exantus, dégagé des décombres de l’épicerie surmontée par l’hôtel Napoli, à Port-au-Prince, n’ait dû sa survie à l’absorption de haggis, la fameuse préparation écossaise de panse de mouton farcie aux flocons d’avoine. Pour célébrer la levée de son interdiction d’importation aux États-Unis, après 21 ans d’essais américains infructueux pour la préparer avec des abats de bœuf, son sauvetage grâce au haggis aurait été idéal… Mais parlons plutôt, en rubrique « Cuisine & Art de vivre », du pica, ce « mud cake » ou galette d’argile que l’on trouve sur eBay aussi, et que les Haïtiennes et Haïtiens pourront bientôt mouler dans des chaussures de seconds pieds…
On le sait désormais. Des équipes de sauveteurs professionnels venus de 62 pays ont réussi, en onze jours, à s’approprier la survie de 133 ensevelis, dont Wismond Exantus, dernier en date des rescapés. Last but not least ! Ce ne sera ni sans doute le tout dernier (d’autres survivants, coincés mais quasi indemnes, peuvent être encore anonymemement dégagés des décombres), mais ce n’est surtout plus le moindre. Sur ce nombre de 133, on ne sait trop qui, comme d’autres survivants restés anonymes, a été mis à jour par des équipes internationales ou par des Haïtiennes et Haïtiens creusant à mains nues ou avec des outils disparates. Wismond Exantus, tout comme le rescapé qu’une équipe israélienne n’a pas voulu voir évacuer vers l’hôpital de campagne – il était tout aussi valide – d’une autre équipe étrangère, aurait sans doute pu marcher jusqu’au plus proche centre de soins. C’est sur un brancard porté par des gendarmes et pompiers français (en treillis ou en bleu), muni d’une perf’ dont la poche était brandie par un sauveteur grec (en ciré rouge), qu’il restera « immortalisé » par la presse du monde entier. En fait, le déroulement des opérations de secours a donné lieu à des improvisations aussi diverses que contradictoires de la part des agences et des envoyés spéciaux de la presse internationale.
Au début des années 1970, je m’étais retrouvé dans un amphithéâtre avec environ 80 autres candidats, face à un tas de dépêches. Il s’agissait de trier ce fatras d’urgents (à l’en-tête assortis du fameux symbole de l’AFP, des sonnettes), de correctifs (annule et remplace : « veuillez ne pas tenir compte de… bien ligne x, yème paragraphe…), de récapitulatifs (round up), une chronologie et un bilan d’un gigantesque carambolage sur une autoroute néerlandaise verglacée. J’ai donc été reçu, assez bien classé, au Centre universitaire d’enseignement du journalisme de Strasbourg, mais cela ne me qualifie pas pour vous certifier que ce qui suit correspond à la réalité…
La famille de Wismond Exantus avait déterminé que le jeune Wismond était encore vivant. Mais impossible de le dégager avec les moyens du bord. Par chance, un Haïtien, Karl Jean-Jeune, embauché en tant que fixeur et traducteur par une équipe de la télévision grecque, a pu être alerté. Coup de chance pour lui et une équipe de sauveteurs grecs ; l’équipe, arrivée vendredi dernier, avait quand même voulu se livrer à un peu de tourisme : il lui avait été signifiée que le type de secours qu’elle pouvait prodiguer n’était plus d’actualité. Place, en effet, aux équipes munies de matériels lourds, pouvant dégager les ruines et peut-être retrouver, dans celles de l’hôtel Montana, le fameux disque dur renfermant l’identité des résidents, activement recherché depuis quelques jours…
Selon des sources autorisées, l’équipe de pompiers français allait quitter Haïti mais, escortée de gendarmes, elle a rebroussé chemin depuis l’aéroport pour prêter mains fortes à l’équipe grecque. Des pompiers de Los Angeles sont aussi venus sur place. Aucun compte-rendu ne rapporte que l’équipe grecque avait d’abord tenté d’alerter des renforts mobilisés encore à l’emplacement de l’hôtel Montana, là où un policier haïtien, quelques jours plus tôt, avait réussi à convaincre deux pompiers d’enfreindre les consignes et de déserter leur poste pour réussir, deux-trois heures plus tard, à sauver la vie d’une victime haïtienne. Ce fut donc destination l’aéroport. Peut-être est-il plus proche ? Detik Yogyakarta (Indonésie) m’apprend que
Selon le frère de Wismond, si ce dernier n’a pas été dégagé plus tôt, c’est parce que, du fait des maraudages dans les ruines, un cordon de sécurité bouclait la zone et un couvre-feu avait été instauré sur tout le secteur. Pas question d’exposer les équipes étrangères à l’éventuelle vindicte de pillards en manque de nourriture et d’eau.
Or donc, selon l’origine des médias, c’est Marie-Laurence, caporel-chef des pompiers français, qui se serait glissée sous les décombres, ou Carmen Michalska, une Écossaise native de Kirkcaldy and Fife, travaillant avec l’équipe grecque, qui se serait approchée au plus près du rescapé. Pour d’autres, les deux femmes auraient agi de conserve, Marie-Laurence finissant à la scie le travail de dégagement. Pour The Guardian, c’est grâce à du White Label que Wismond aurait survécu. Il faut dire qu’une unité de production de
On peut donc comprendre que Guido Bertolaso, chef de la Défense civile italienne, arrivé vendredi à Haïti, ait dénoncé la « parade des vanités » de l’aide institutionnelle internationale. Il connaît les opérations de secours, ayant dirigé celles des Abbruzes (Aquila). « Des tas de gens y vont, déterminés à montrer que leur pays est un grand pays, faisant preuve de solidarité, » a-t-il déclaré. Selon Radio Canada il aurait même qualifié la situation d’échec « pathétique ». Bien sûr, ses critiques de l’organisation étasunienne lui ont valu un cinglant démenti de son ministre des Affaires étrangères. En fait, la version du Corriere de la Serra est plus nuancée : Guido Bertolaso aurait déclaré que « Ci sono enormi organizzazioni coinvolte e moltissimo da fare, ma la situazione è patetica. » Hillary Clinton a aussitôt dénoncé des propros « de café du Commerce » (« Monday morning quarterback » ou « polemiche da bar sport », ou « da dopopartita » soit les commentaires, au comptoir d’un speakeasy d’amateurs de football américain, refaisant la rencontre de la veille, ou à la buvette, à la mi-temps). Il padre di tutte le emergenze, comme des médias italiens l’ont surnommé, s’est depuis diplomatiquement rétracté. Mais il n’en a pas moins dénoncé un état de fait qui « è sotto gli occhi di tutti », soit patent, évident. Pour le gouvernement haïtien, c’est désormais une estimation de 300 000 morts qui est envisagée.
En tout cas, il vaut mieux se reporter au verbatim des vidéos de Guido Bertolaso s’exprimant en italien pour se faire une idée exacte de ce qu’il a pu exprimer.
Et en fait, oui, c’est accessoire, cet agiotage et ces arguties de ratiocineur. Les bonnes nouvelles continuent d’affluer. Savez-vous que vous pourrez obtenir un rabais de 5 USD sur toute paire de chaussures neuves si vous vous présentez dans les magasins de sport Finish Line muni d’une paire usagée à donner pour Haïti ? Bien sûr, vous pouvez déposer vos vieilles chaussures et ne rien acheter et tout ira à Soles4Shoes (jeux de mots sur la semelle et l’âme ou les âmes généreuses), qui, depuis 2005, a déjà récolté sept millions de paires et distribue, dans 125 pays, une paire toutes les neuf secondes… Soles4Souls is a 501(c)(3) recognized by the IRS and donating parties are eligible for tax advantages… À défaut de boire du champagne dans une bottine, on peut mouler un « mud cake » ou pica dans une basket : on prélève de l’argile, puis après l’avoir débarrassée des graviers, l’ajout de quelques carrés ou feuilles de légumes et légumineuses rehausse le goût. Laisser sécher au soleil selon « convenance ». C’est un apport appréciable de calcium et cette préparation était goûtée bien avant le séisme. Le prix : deux malheureuses gourdes (moins de deux centimes d’euro) avant le séisme, près de six désormais. Mais le mud cake se trouve à présent sur eBay (dernière enchère à £ 2,2). Un envoyé spécial de la BBC, en 2008, avait goûté et distribué les morceaux restants aux enfants se pressant autour de lui. Le syndrome de Pica correspond, dans nos sociétés, à une envie irrépressible d’ingérer des matières non comestibles, argile ou craie. Il s’agit là de géophagie, pouvant provoquer des occlusions intestinales, du saturnisme, des infections bactériennes. Après douze jours, l’aide alimentaire commence à être répartie, et elle remplacera avantageusement le pica.
Un petit extrait du site Argent et de l’agence QMI pour conclure :
« C’est le bon moment pour le Canada afin de se positionner pour que les compagnies de génie civil et de télécommunications jouent un rôle dans la reconstruction d’Haïti, affirme l’ancien ministre fédéral Michael Fortier. En entrevue sur les ondes d’Argent, ce dernier a affirmé qu’il ne « faut pas laisser aux Français et aux Américains les premières places pour ensuite se retrouver avec des miettes”. » Penser à en laisser quelques-unes pour agrémenter le pica… Et faire de belles images pittoresques…
Toute similitude entre les propos de Michael Fortier et ceux de Guido Bertolaso au sujet de la course à la reconnaissance de l’aide apportée par les divers pays serait pure coïncidence et indépendante de la volonté de la rédaction…
J’évoquais auparavant, dans d’autres articles, l’« inconscience », voire la naïveté de certains journalistes ou humanitaires. Au sujet de l’association Équilibre, un commentateur me remémore qu’une jeune volontaire qui avait dénoncé les exactions d’actuels poursuivis devant le tribunal international de La Haye avait fait l’objet d’un contrat. L’Humanité, le 5 mars 1993, avait rapporté : « le véhicule à bord duquel se trouvait la jeune Française a d’abord eu les pneus crevés par des balles. Le sniper a ouvert le feu sur la jeune femme, lorsqu’elle est descendue du bus immobilisé. ». Elle avait eu, auparavant, des mots très durs et largement reproduits sur les ondes, sur la responsabilité des paramilitaires serbes : la France soutenait alors, peu ou prou, la Serbie lors de la guerre en Croatie puis en Bosnie. Cela n’explique pas pourquoi très peu de volontaires, bénévoles ou salariés d’ONG en Haïti n’ont pas véhémentement dénoncé les menées de certaines « charities » peu recommandables, restées pratiquement intouchables pendant des décennies. Les mêmes sont à l’œuvre à présent.
Impossible de corriger l’article ci-dessus, cela fait plus d’une heure que quelqu’un d’autre est supposé le faire (en fait, c’est un bogue récurrent).
Donc, voici en commentaire des extraits d’un article de Canoë Info :
[url]http://www2.canoe.com/infos/international/archives/2010/01/20100125-194333.html[/url]
Même des femmes enceintes ont été battues par les autorités armées. Un pauvre homme s’est écroulé dans un trou étroit servant d’égout. Sa fracture ouverte à la jambe était évidente.
«La nourriture est arrivée sans problème. Il n’y avait pas de désordre. Les Brésiliens sont venus et ils ont fouetté les gens. Ce n’est pas possible!»
Un peu avant que la situation ne tourne au vinaigre et que l’émeute n’éclate, un policier haïtien était en furie devant les actes de brutalité commis par des soldats pourtant munis d’un casque de l’ONU.
L’aide alimentaire qui commence à arriver est distribuée dans la violence et l’anarchie la plus totale.
«Ils ne sont pas des bêtes. Nous faisions les choses sans problèmes. Ils veulent montrer au monde entier que les Haïtiens sont des bêtes. Ce n’est pas vrai du tout», criait un membre de la police locale.
«Nous avons le contrôle. Nous connaissons ce peuple», a immédiatement répondu dans un anglais boiteux un officier supérieur brésilien qui avait compris les accusations.
Relevons aussi que, quinze jours après le séisme, c’est deux autres rescapés qui se sont ajoutés à la liste (on en comptabilise donc 135, sauf erreur, à ce jour…). Sur désormais 170 000 dépouilles comptabilisées. Mais on n’a toujours pas retrouvé le disque dur de l’hôtel Montana. La dépouille d’un Casque bleu canadien avait pu être dégagée des décombres du siège de l’Onu après une dizaine de jours de fouilles…