Graphisme : des raffinements typographiques

Nous avons visualisé, furtivement, un projet de nouveau logotype pour Come4News. Pas fameux, il a été vite retiré du site. Tant mieux. Nous avons aussi perdu au change avec le passage des titres en bas cas de casse (sauf l’initiale) au « profit » de titres à l’anglaise (et l’américaine) capitalisant le première caractère de chaque mot. Expliquer rapidement pourquoi cela ne convient guère aux publications françaises serait trop long et ardu. Mais pour qui ne comprend rien à la typographie, à ses subtilités, petite initiation « pour les nuls » avec l’exemple de la police de caractères Aida, de la fonderie Emigre.

Juste une incidente : capitaliser l’initiale de chaque mot d’un titre ne convient guère au français employé dans la presse notamment (et notoirement) parce que le titrage français est beaucoup moins synthétique que l’anglo-américain.
Lequel d’ailleurs capitalise jamais des mots très courts du genre conjonctions, courts adverbes, &c. Mais parlons typo.
Vous voyez l’image ci-contre. C’est un exemple de superposition de caractères de forces de corps différents ramenés à des proportions identiques. Voyez comme le dessin est différent pour l’« a » romaine et l’italique.
L’Aida, de Berton Hasebe pour la fonderie Emigre, commercialisée par FontShop (à laquelle on doit ce visuel), est ce qu’on appelle une police de labeur ou de texte courant très aboutie.
Les graveurs de caractères, qui utilisaient des poinçons, ne procédaient guère autrement. Pour les très petits corps (de force 4 à 6 points d’œil, pour résumer), ils gravaient des contours forts différents que ceux utilisés pour les corps supérieurs.
Les contre-formes (les vides si vous voulez) étaient plus ou moins plus vastes ou plus restreintes (ouvertes ou fermées) selon la force de corps. Pourquoi ?
Imaginez que vous agrandissiez homothétiquement (en respectant les proportions, comme lors d’un zoom) un tout petit caractère. Visuellement, cela risque fort d’être franchement « dégueu ». En général, les créateurs d’alphabets actuels partent d’un corps 12 ou 14 dans une graisse particulière (généralement la graisse de base, la normale, romaine, qui se décline en graisses super-fine, fine grasse, demi-grasse, ultra-grasse, &c.). Les logiciels permettent des agrandissements et des réductions. Il faut munir les contours d’instructions ou indications pour obtenir les déformations convenant aux diverses forces de corps.

Très souvent, selon l’usage le plus courant envisagé pour la police, on veillera à conserver les très petits corps lisibles et on se contentera de s’assurer de l’élégance du dessin pour des corps 72 à, mettons, près de 200. Eh, il est bien difficile de prévoir ce qu’un mot ou groupe de mots (d’une raison sociale, par exemple) pourra paraître à d’énormes corps, convenant pour les flancs d’un Zeppelin ou de l’un de ces modernes paquebots de croisière toisant les grues portuaires de leur masse imposante.
Mais un créateur expérimenté peut prévoir le résultat. Inversement, les finesses des ligatures (voyez les polices employées par l’éditeur La Pléiade, par exemple, et les ligatures ffi, ct, st…) ne seront visuellement acceptables, voire perceptibles, que dans la mesure où leur dessin aura été affiné.

La manière de procéder logiciellement peut convenir à un grand nombre de polices, mais non à d’autres. Un créateur avait choisi, pour rester au plus près des Baskerville en les numérisant, de créer autant de jeux que les originaux en comptaient. Soit un police pour le corps 6, une autre pour le 8, &c. À présent, la fonderie Adobie prévoit non seulement, pour ses plus prestigieuses polices, une variété de graisses, mais des déclinaisons à n’employer qu’entre telle et telle forces de corps.

Revenons à la création de logotypes. Le réglage des approches entre les caractères (par exemple O et I, OI) exige une forte patience de la part des créateurs.

Un caractère traditionnel, c’est une forme et des « talus », soit des espaces de part et d’autres de la forme, inégaux en fonction de la juxtaposition harmonieuse des caractères.
Si ce n’était le cas, la facilité de lecture serait contrecarrée. Vous liriez quelque chose comme, eh bien, c o m m e. Imaginez i n c o n s t i t u t i o n n e l l e m e n t revenant dans une même longue phrase.

Fastidieux pour décrypter un long texte.

Ces approches dites de paires sont prédéfinies. Si vous employez, pour un logotype, une police courante bien conçue, ces approches peuvent suffire. Mais pas dans tous les cas de figure. Surtout si vous employez une police d’origine étrangère. En effet, même si les créateurs sont désormais plus sensibilisés à l’emploi de leurs polices à l’international, les mots courants ne sont pas du tout les mêmes d’une langue à l’autre, et certaines juxtapositions de caractères absentes (pensez au polonais, aux paires cz, peu courantes en français). Voyez, ci-dessus, le choix de Sarah Lazarevic (créatrice récemment du très beau caractère Rameau, dont les imperfections sont voulues : il s’agit d’un caractère de récréation, devant évoquer l’original de l’époque). Son caractère « bi » cyrillique (c’est une sorte de ligature, et non un b+un i) est trop éloigné de son C capitale (prononcé « s ») car elle avait la contrainte de respecter les approches de paires des caractères français. Il en est en fait de même pour les autres capitales cyrilliques (le A devrait être plus proche du T, mais voyez comme la paire KA pose problème car on ne peut trop rapprocher les bases de ces deux lettres, soit les jambages descendants, et les sommets paraissent toujours trop éloignés, quoi qu’on fasse).

Il conviendra donc de visualiser le logotype (à diverses dimensions, voir supra), et de procéder à des réglages en fonction. Parfois, si vous pouviez superposer les logotypes d’une marque employés pour la papeterie d’entreprise et des banderoles, en les ramenant aux mêmes proportions, vous auriez des surprises.

Une police étendue (soit avec de multiples graisses) peut exiger entre six mois et des années de travail selon sa complexité. De même, un créateur de logotype peut exiger un délai d’un bon trimestre pour réaliser un logo finalisé (il aura auparavant proposé des variantes). Il doit envisager toutes sortes de contrastes (selon les supports colorés ou non utilisés, selon que le logotype est monochrome ou polychrome).

Un créateur d’alphabets apprend tout au long de son existence, il se perfectionne sans cesse. Sa tâche est rendue plus complexe à présent puisqu’il doit songer à livrer des créations différentes pour convenir non seulement à l’impression mais à une large variété de supports numériques (types d’écrans de définition ou résolution, de tailles fort diverses, de conceptions variées).

S’initier un tant soit peu aux principales subtilités de la création de caractères incite à mieux soigner ses compositions. Tous les graphistes et metteurs en page, et bien sûr ceux qui créent les logos, suivent une initiation plus ou moins poussée lors de leur formation initiale. Certains oublient – et, oh ! que cela se voit si l’œil est exercé – d’autres poursuivent, se documentent, approfondissent.

Mais bon, je connais un éditeur, Charles Duchêne (BTF Concept éds) dont tous les ouvrages qu’il rédige lui-même (et compose) emploient la police Comic Sans, police conçue pour l’affichage sur écrans. Pour d’autres auteurs que lui-même, il n’ose plus… Enfin, plus vraiment aussi souvent. Pourtant, pourtant, ses lecteurs s’en accommodent et trouvent même cette typographie « plaisante » (beurk !), ce qu’elle est, pour des textes vraiment courts (de phylactères ou bulles de BD notamment), des titres et intertitres. Arrière, Charly, vade retro, renonce à tes œuvres en Comic sans empattements.

Tout fout le camp (air connu, « c’était mieux avant ») et les habitudes de lecture à l’écran font « passer » des horreurs à l’impression. Ainsi des espaces inter-mots (entre deux mots) trop importantes. Si l’envie m’en prend, je vous ferai un laïus là-dessus avec des exemples (des illustrations). En attendant, tentez de vous initier à la typographie, c’est passionnant, captivant. 

 

 

 

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

16 réflexions sur « Graphisme : des raffinements typographiques »

  1. [b]Ah non Jeff, ne mettez pas encore des idées nouvelles dans la tête de nos « Chefs ».
    Pour l’instant, même si je suis la seule à crier « COCORICO », nos textes, nos commentaires en Time-New-Roman, me conviennent très bien.

    Maintenant si vous parlez du Logo, c’est une autre affaire.
    Je vais dire comme Saint Saint-Exupéry, « s’il te plait Monsieur, fait moi un dessin »

    Vous voulez que C4N se mette au bleu et au blanc, pour être dans la continuité de l’ensemble de la page ?

    Une révolution qui peut se faire en douceur, et pourquoi pas dans un mois « creux » comme le mois d’Août ? (première quinzaine de préférence.) [/b]

  2.  » [i]SOPHY a dit: Maintenant si vous parlez du Logo, c’est une autre affaire.
    Je vais dire comme Saint Saint-Exupéry, « s’il te plait Monsieur, fait moi un dessin[/i]  »

    Pourquoi, SOPHY, changer le logo…

    Ses couleurs me satisfont… elles sont un peu à mon image et à l’image d’un certain nombre de rédactrices et de rédacteurs de C4N…

    le rouge pour la passion
    le noir pour notre esprit citoyen contestataire « [i]sans que le drapeau noir flotte sur la marmite[/i] »

    le blanc, pour la vérité de nos propos dans le corps de nos articles, toutes idées politiques et toutes confessions confondues…

  3. Hello Sophy,
    Non, je n’exige rien des fondateurs de C4N, je voudrais simplement inciter à ne plus avoir une application automatique de la capitalisation des titres.
    Bon, Écrivez Un Commentaire, en anglais, ce serait quelque chose comme Comment. Point.
    Et si cela s’exprimait à l’identique, on aurait Écrivez un Commentaire (u bas de casse).
    Mon avant-dernier titre « Woerthgate : La Justice Instrumentalisée » (tel que rendu par cet algorithme de capitalisation).
    Quatre mots, comme le titre de la présente contribution.
    Maintenant Essayez De Rédiger Un Titre Un Peu Plus Long.
    C’est les montagnes russes.

    Pour le Times, oui, [i]why not?[/i]
    Pas d’inconvénient, d’autant que je privilégie parfois les chapeaux assez longs.

    C’est bête, mais tous les auteurs, écrivains, journalistes, rédacteurs, &c., vous le diront.
    La forme influe insidieusement sur le fond. Je l’avais remarqué en passant de la machine à écrire au clavier d’ordinateur (et j’écrivais encore, [i]circa[/i] 1980, assez fréquemment manuellement). Mon ami Tom Corraghessan Boyle (prix Faulkner, entre autres), a freiné des quatre fers pour continuer à saisir sur sa vieille machine.
    De même, à [i]Création numérique[/i], un espèce de graphiste inspiré nous avait imposé des titres bicolores (sur une page, le début du titre en noir, la suite en gris, sur double page, tout sur la fausse page – de droite – en noir, tout le reste sur la belle page – de gauche – en gris). Casse-tête pour rédiger des titres cohérents, en bon français, d’autant qu’une force de corps unique était imposée.
    Cela faisait joli-joli sur la maquette, cela imposait des contraintes excessives, et on se résignait à rédiger des titres « collant » à la charte graphique.

    Pour un logo, ben, il me faudrait du temps. Je dispose d’Illustrator, d’InDesign, et de centaines de polices de caractères.
    Je verrais bien un 4 de chiffre (cherchez « 4 de chiffre ») contrastant avec un C et un N (ou c et n, faut voir) très gothiques (non, pas en fraktur, un truc très sobre au contraire, sans empattements).

  4. Pour Catalan : quand vous commencez à voir une sorte de O entre le C et le N (du fait du pourtour en blanc du motif central du logo), ben, c’est stupide, mais c’est assez prégnant.
    Pour les couleurs, bah, oui, bon assemblage.

  5. [b]J’ai une « amie » qui, quand elle me parle de C4N, dit C4, je lui ai posé la question et elle me dit que le N n’est pas suffisamment visible pour elle.
    Maintenant pour les couleurs, ce n’est pas moi qui voudrait en changer, même mon avatar est dans ces tons là Rouge blanc, et le noir de C4N en dessous[/b]

  6. [i]Jef Tombeur a dit: Pour Catalan : quand vous commencez à voir une sorte de O entre le C et le N (du fait du pourtour en blanc du motif central du logo), ben, c’est stupide, mais c’est assez prégnant. [/i]

    Mais je n’ai regardé que les couleurs Jef

    quant au graphisme tombeur en o, je n’ai point un esprit extrapolateur… pour m’être aperçu que cela pourrait être un message subliminal… qui rendrait C4N taré…

  7. Jamais je n’aurais soupçonné la complexité de la typographie.
    J’aime beaucoup l’affiche avec ses entrelacs de lettres.

  8. [b]Pour illustrer ce qui précède, regardez bien ce montage : vous verrez que le N de C4N n’est pas très nNET
    (pas sous la jupe n’est ce pas, pas de coquinerie)

    Le N de C4N est quasiment illisible

    [img]http://nl3.cetrine.net/tk5/photofunia/1312416000/7/56/pctioonqmin_cgp.jpg[/img][/b]

  9. [b]Bon je vois que Gisèle Brun… sais plus) ne vous inspire pas, c’était juste pour le N de C4N que je l’ai mise, et pour un sourire.
    [/b]

  10.  » SOPHY a dit: Bon je vois que Gisèle Brun… sais plus  »

    Je suis déçu SOPHY…

    moi qui pensait que c’était vous…

    mais ce doit être normal

    « [i]Jef Tombeur n’a-t-il pas dit: Pour Catalan : quand vous commencez à voir une sorte de O entre le C et le N (du fait du pourtour en blanc du motif central du logo), ben, c’est stupide, mais c’est assez prégnant.[/i] »

    Gros sourire

  11. [b]Plus j’y pense , plus je regarde ce Logo, et plus je me dis qu’il faut sortir le N de son « corset Noir », en fait c’est çà qui ne va pas,
    Du Rouge et blanc suffirait[/b]

  12. Peut être Sophy…

    Lors remplacer le blanc et le rouge autour du 4 blanc par du blanc, le blanc du 4 le passer en noir et le N rouge le passer en blanc….

    les 3 couleur de base du logo restant

  13. [b]bonne idée Catalan

    Si notre président nous lit…..
    Qu’il en tienne compte s’il le peut.
    Merci à lui.

    SOPHY[/b]

  14. – et quelques exemples des polices citées, ce serait sympa ?
    – pour le « N » un léger liseré blanc autour ?

  15. Sophy, à mon humble avis, c’est une question de mise au point de l’objectif.
    Envoie moi le modèle et sa robe, et je refais la photo ! 😉
    Ou envoie juste la robe et le numéro perso de cette Gisèle Brun, je m’en débrouille…

    Pour Zelectron : question polices, très facile de trouver des visuels en ligne…

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