La fin du mythe de la "Maison des esclaves" de Gorée. Une fin qui est aussi un nouveau départ pour le travail de mémoire pour la Shoah Noire. Une fin qui provoque une polémique dans le monde entier suite à mon article de juillet 2007 sur mon blog. Pour tout comprendre il faut remonter aux origines du mythe et du commerce qui l'accompagne.{mosimage}

Comme vous devez le savoir maintenant, ce mythe de la « maison des esclaves » a été inventé par un médecin chef de la marine française dans les années 1940-1950. Dans les années 1980-1990, les médias se sont penchés sur l'équivalent noir de la Shoah juive ; ne trouvant pas de site "mémoire" en Afrique, ils ont découvert cette histoire pour touristes européens de passage au Sénégal, "La maison des esclaves de Gorée". Saisissant la balle au bond, le guide touristique de cette maison peu visitée a su en faire peu à peu un mythe cette fois destiné aux afro-américains. Les afro-américains inspirés par le travail de mémoire remarquable des victimes de la Shoah ont eu besoin, à leur tour, d'avoir l'équivalent des lieux de mémoire consacrés pour les victimes juives de la Shoah.

Les médias ne trouvèrent pas d'interlocuteurs formés et de supports de communication culturelle claire sur cette période sombre de l'histoire du continent. Seul le Sénégal, sous l’impulsion du président "Senghor", a toujours eu la notion de "Culture" et "Patrimoine".Par conséquent leur attention se tourna vers ce pays qui fut le seul en mesure de leur répondre en s'appuyant sur cette histoire de "Maison des esclaves" inventée par Pierre André Cariou, médecin chef de la marine française. Joseph N’Diaye s'était trouvé au bon endroit au bon moment.


Peu à peu, les touristes affluèrent des Amériques. L'erreur a été de laisser un guide touristique sans formation gérer cette affaire sans tutelle administrative car n’étant pas fonctionnaire. Cela s'explique, car le Sénégal des années 1980 ne connaissait que le tourisme balnéaire. Senghor étant parti, le nouveau président, avec des objectifs de développement ambitieux concernant le pays, n'avait pas comme priorité la "Culture" et encore moins comme préoccupation la gestion d'un guide touristique "privé". Monsieur Joseph N'Diaye devint, sans caution d’une autorité de contrôle, le "griot" de la ""Shoah Nègre". Ce dernier, persuadé d'être le seul à détenir la vérité que son ancien patron, le médecin-chef de la marine, Pierre André Cariou lui avait donnée, s’imposa aux médias européens comme l’unique interlocuteur.

Une protestation existait pourtant dès le départ de la médiatisation de cette histoire fantaisiste dans les années 1980 ; elle provenait des chercheurs de l'université C. Anta DIOP et du Département d’Histoire – L’Ifan de Dakar, qui souhaitaient faire connaître les vrais lieux de mémoire, mais ils furent obligés de se taire sous la pression du gouvernement d'alors dirigé par Abdou Diouf, actuel Président de l'Organisation Internationale de la Francophonie. La raison était simple ; le guide de la fausse "maison des esclaves de Gorée" arrivait par la puissance de son discours larmoyant à faire venir les grands de ce monde qui, au passage, étaient encouragés à faire repentance des crimes passés en se délestant de quelques aides financières officiellement destinées à sauvegarder le faux "centre universel de la souffrance du peuple noir" : c'est-à-dire Gorée.
Cependant, les sommes récoltées n’atteignaient pratiquement jamais les objectifs pour lesquels elles avaient été versées. Le guide, Joseph N'Diaye, n'appartenant pas au sérail, ne touchait pas de dividendes de cette "grande escroquerie", il a fait fonction "d’hameçon". Toutefois à son humble niveau, il a su tirer un profit personnel de cette histoire farfelue ; il put voyager partout dans le monde et se présenter en "expert" de l'histoire de la traite négrière, qu'il réécrivait en fonction de la direction du vent et de la température de l'air en prenant soin bien sûr de tout concentrer sur son gagne-pain. Il n’hésita pas à continuer ses pressions sur les chercheurs sénégalais de l’IFAN et les écarta systématiquement de toute décision importante.

Monsieur N’Diaye, convaincu que sa parole et surtout que son imagination "était" la vérité et que les archives et études ne comptaient pas, continua. Il faillit être stoppé par la démarche d’un grand philosophe et chercheur africain Ki ZERBO qui ne bénéficia pas malheureusement de la même couverture médiatique.
Dans les années 1980-2000, des intellectuels africains comme Ki Zerbo se rendirent compte en effet de la tournure catastrophique de cette histoire farfelue, enrichie d'année en année par un guide devenu "mégalomane", qui pouvait à terme constituer un point de rupture dans la diaspora noire entre l’Afrique et le monde afro des Caraïbes et des Amériques. On ne construit pas une amitié « diasporique » noire, nègre, black, sur une escroquerie. On ne constitut pas un dossier de dédommagement moral pour le tribunal de l’histoire sur un château sable inventé par médecin-chef de la marine française. Tout bon juriste sait qu’un bon dossier doit s’appuyer sur des faits et des preuves concrètes ; l’Afrique ne manque pas de véritable « preuves » de la « Shoah Nègre ».

C’est dans cet esprit, que Ki ZERBO écrivit alors dans son livre "Histoire d’Afrique Noire" une rectification qui passa inaperçue aux yeux des médias :
Si l'Angola est pour lui le paradis des Négriers, le Sénégal ne fournit que peu d'esclaves. « Les Compagnies n'arrivent pas a ramasser assez d'esclaves dans un pays à faible densité ».Référence Ki ZERBO « Histoire d’Afrique Noire » Page 214, 232.


Dans les années 1990, ce fut au tour d'un chercheur de l'université C. Anta Diop de Dakar de faire savoir à travers un article du Journal le Monde, écrit par le journaliste Emmanuel de Roux, que cette histoire n'était pas très sérieuse. Ce chercheur et enseignant sénégalais de niveau universitaire dut se faire oublier après avoir été réprimandé par sa hiérarchie pour les mêmes raisons citées plus haut, la loi économique.
Enfin en 2006, parut mon livre "Céleste ou le temps des signares" dans lequel je dénonce en tant que chercheur en histoire sénégalais les dérives de certains de mes compatriotes, non représentatifs de la majorité qui profitent de la souffrance des pèlerins. Mais c’est surtout parce que je compte de nombreux amis antillais à qui l'on fait prendre une vessie pour une lanterne.
Que mes amis des Caraïbes se rassurent, bientôt leurs morts seront respectés officiellement au Sénégal, car de nombreux universitaires sénégalais souhaitent en finir et faire connaître les vrais lieux de mémoire au Sénégal.

Vive le Sénégal, Vive l'amitié entre les africains et les afros des Caraïbes et des Amériques et place aux chercheurs.