Le cas des multinationales qui réalisent de réels profits dans un pays et s’arrangent pour déclarer des pertes afin de pas régler taxes et impôts est sans doute particulièrement choquant. Mais il est surtout significatif du discours « entrepreneurial » des grandes entreprises dans leur ensemble, celui du Medef en France, comme celui des grandes organisations patronales dans leur ensemble. « On » leur devrait « tout » alors qu’« on » leur fournit tout.
L’analyse marxiste traditionnelle souffre peut-être de quelques failles mais elle est surtout savamment occultée dès qu’il s’agit d’aborder la question des multinationales échappant à l’impôt et se targuant de créer néanmoins des richesses, des emplois, dans les pays où elles opèrent.
Prenons tout d’abord le cas de Google. En Allemagne, France et Europe du Sud, les grands groupes de presse nationaux obligent les gouvernements à monter au créneau pour exiger de Google qu’elle les rémunère mieux pour les contenus que son moteur indexe.
Ce ne serait que justice puisque Google pille d’un côté le travail de leurs salariés et de l’autre les prive de ressources publicitaires directes…
En effet, les annonceurs préfèrent rétribuer Google pour passer sur les sites des médias des publicités « ciblées » (vous faites une recherche sur un produit, dès le lendemain, en consultant un site, apparaissent des publicités de distributeurs ou de marques relatives à votre requête) au lieu d’acheter directement de l’espace publicitaire à ces groupes.
Les États auraient certes à gagner à ce que Google rétribue mieux les grands groupes de presse parce qu’ils les subventionnent plus ou moins et que ces rétributions seraient mieux soumises à l’impôt (ou aux taxes diverses) puisque les multinationales échappent beaucoup plus à la fiscalité que les groupes de presse nationaux.
Voyez donc le résultat : dans la presse, tout le monde semble se féliciter de la perspective d’une négociation entre l’État et Google au lieu de soumettre cette société à un lourd redressement fiscal. Google, selon diverses sources, aurait fortement minoré ses contributions directes et indirectes (la TVA) en France depuis 2008. En 2011, dégageant en France un CA d’environ 1,3 milliards d’euros, la contribution globale au fisc n’aurait été que de cinq millions d’euros au seul titre de l’impôt sur les sociétés.
Le Canard enchaîné a évoqué un manque à gagner pour le fisc d’un milliard d’euros sur quatre ans (et 1,7 selon sa dernière édition, au total).
Mais « tout le monde » semble trouver normal que Google échappe à ce redressement et puisse négocier avec les patrons de la grande presse.
Ce milliard est très loin de représenter l’ensemble des bénéfices réalisés en France. Mais qui a donc permis à Google de les engranger ? Essentiellement le contribuable (Google n’a pas créé ex nihilo les conditions de son implantation française) et le consommateur qui se voit répercuter sur ses achats le prix des publicités.
Fausses perspectives
Une société comme Google (ou Starbucks, ou tout autre) ne s’implante pas en France en l’absence d’un marché ni au milieu de terrains vagues qu’elle viabiliserait à ses frais, embauchant des personnes dont elle assurerait tant la formation initiale que spécialisée. De même, la ou les collectivités assurent, par des subventions, les transports des collaborateurs et s’ils devaient tomber malades, les soins pour qu’ils puissent reprendre le travail. Un collaborateur formé, malade sur une longue durée, faute de soins, devrait être remplacé par un autre, auquel il faudrait apprendre à lire, compter, &c., puis les fondamentaux du métier.
Mais le discours de Google est tout autre, et les médias le relayent complaisamment, car les groupes de presse bénéficient des mêmes facilités…
Prenez, au Royaume-Uni, le cas de Starbucks, dont la situation est non identique, mais similaire en France (l’assiette, les modalités de l’imposition diffèrent, mais les fondamentaux sont les mêmes).
En 14 ans, Starbucks a réalisé trois milliards de livres de ventes et réglé 8,6 millions d’impôt (dont pas une seule livre ces trois dernières années). C’est à peu près la même chose pour Google, Amazon, et d’autres firmes.
Avec 700 implantations en Grande-Bretagne, Starbucks reste sur le sol britannique à perte. Et s’enfonce chaque année en ouvrant de nouveaux locaux. Ce qui ne l’empêche pas de récompenser ses dirigeants au Royaume-Uni par de copieuses primes : 6,5 millions (plus 7,2 en actions) pour l’un, 3,8 millions (plus 4,7 millions en actions). Acharnement suicidaire ? Allons donc.
Starbucks accumule les pertes car elle rétribue une filiale hollandaise pour l’emploi du nom et les recettes de composition des moutures de cafés employées. Croyez-vous que le contribuable hollandais bénéficie largement de cette manne ? Fort peu.
Google France a aussi recours à une filiale néerlandaise, qui s’alimente de revenus déclarés d’abord en Irlande avant de finir chez Google Ireland Holdings… aux Bermudes.
Croyez-vous que Starbucks va s’acquitter de ses arriérés de taxes ou d’impôts ? Que nenni. Comme Google en France, le cafetier a eu recours à des multiples sociétés de relations publiques afin d’infléchir les parlementaires, le gouvernement et le fisc, et pouvoir négocier.
Argument de Starbucks, aussi en France : nous acquittons d’autres taxes, nous sommes des employeurs qui subissons des contributions sociales, notamment pour la sécurité sociale. Bref, nous sommes des bienfaiteurs.
À quelles conditions, ces bienfaits ? Qu’eau et électricité fonctionnent, que les employés sachent prendre une commande et la comprennent, qu’ils puissent se rendre sur leur lieu de travail, ne pas loger dans un taudis hors de prix (sinon il faudrait fournir douches et uniformes, laverie…), qu’une simple bronchite ne dégénère pas en pneumonie ou autre maladie invalidante, que les consommateurs puissent se rendre sur les lieux de vente sans avoir recours à la chaise à porteurs au long de voies boueuses, encombrées de détritus. Bref, que contribuables et consommateurs, mais aussi salariés et collaborateurs, permettent de générer des profits.
Est-ce bien ce que vous lisez habituellement ?
Civisme en berne
Pourquoi Starbucks est-elle prête à négocier ? Parce que, poussée par les unions de consommateurs et de contribuables, la presse britannique a fini par relayer un appel à se détourner de ses établissements.
Aussi parce que l’italo-britannique Costa Coffee (du Whitbread Group, partenaire Kraft Foods), qui vient de s’implanter aussi en France, et n’est peut-être pas non plus fiscalement « blanc-bleu », la marque à la culotte. Mais aussi parce que, même Costa Coffee se voit par exemple obligée de renoncer à s’implanter à Totnes : la petite ville du Devon compte déjà 41 salons de thé ou cafés, et les habitants ont été plus de 5 000 à signer une pétition contre l’implantation (pourtant approuvée par la municipalité) d’une enseigne Costa Coffee.
Costa Coffee n’a pas estimé payant de faire valoir qu’à conditions d’exercice à peu près égales avec Starbucks, elle s’est acquittée de 18 millions de livres (sur 67 de profits) auprès de l’IRS (Internal Revenue Service) en 2011. Mais elle pourrait être tentée de le faire.
En Allemagne, Google a tenté de mobiliser les Internautes avec une vidéo incitant à signer une pétition pour faire fléchir le parlement : flop quasi-total. La campagne Verteidige Dein Netz (Défend ton réseau) n’a pas fait recette.
« Bizarrement », on en a apprend plus sur cette campagne via le moteur de recherches italo-européen Volunia (.com).
« Bizarrement », les démêlés de Google avec le fisc italien sont mieux mis en valeur sur Bing (l’Italie réclame 240 millions au titre des revenus, 96 millions au titre de la TVA).
« Bizarrement » aussi, les groupes de presse européens bataillant contre Google ne s’empressent pas de mettre en valeur des alternatives à Google : il y a moins à racler de ce côté.
Que fait Google en France ? Elle débauche un énarque, maîtres de requêtes au Conseil d’État, spécialiste de droit fiscal. Amazon, qui ne doit que 198 millions au fisc français, se l’est fait souffler sous le nez.
Il n’y a pas que Google, Starbucks ou Amazon. Expedia (voyages) n’est pas en reste, ni Booking France SAS (réservations hôtelières). On pourrait aussi évoquer Euro Disney et ses multiples filiales, ou Apple, tant d’autres.
« Bizarrement », la Commission européenne, si prompte à dénoncer la concurrence faussée dès qu’un État soutient une entreprise nationale d’une manière ou d’une autre, semble seulement découvrir depuis peu ces pratiques.
Si vous les dénoncez, comme le résume Hassan Serraji de Metro (Québec), ne le faites pas depuis un produit Apple, n’achetez pas chez Amazon via un produit Apple depuis un Starbucks. Ne l’annoncez pas sur Facebook : Bercy a fait perquisitionner chez Facebook France l’été dernier en raison de la facturation des clients français depuis l’Irlande.
Quels emplois, à quels coûts ?
Le Medef (soit de fait, le grand patronat à l’exclusion de tout autre) ne cesse de présenter les plus « entrepreneur » comme des créateurs de richesses et d’emplois. Pour Amazon, près de Douai, ce sera au prix de 4 500 euros d’aides publiques par emploi, rien que pour le Nord-Pas-de-Calais. Amazon a reçu 1,13 millions d’euros de la Bourgogne pour 250 emplois créés à Chalon, et en attend plus du double (trois millions pour 500 emplois prévus, donc 6 000 euros par emploi). Le siège d’Amazon en Europe est au Luxembourg, comme celui d’eBay et d’autres.
Combien d’autres emplois Amazon va-t-elle détruire en France ? Amazon paie peut d’impôts, ce qui lui permet d’offrir les frais de port, ce que les sites des libraires ne peuvent pas.
Arnaud Montebourg continue d’assurer que « la règle est que la richesse produite en France soit taxée en France. ». Certes, via les ponctions directes sur les revenus des salariés de base de Starbucks, Amazon, Apple, Google, & Co, c’est facile. Les libraires obtiennent des éditeurs 37 % de marge sur les livres, Amazon leur réclame la moitié : si les livres sont vendus trop peu cher, Amazon déréférence. Bibliosurf, petit concurrent français largement plus innovant qu’Amazon, fermera ses portes le 29 décembre. L’algorithme Panda de Google y est pour quelque chose, reléguant les références de Bibliosurf vers les pages suivant celle d’accueil.
Amazon créera certes des emplois de magasiniers, notamment des saisonniers (périodes de Noël, de fêtes comme celles des mères, des pères, &c.). Même la Fnac, qui vient de se retirer d’Italie, s’interroge sur sa survie et le groupe PPR est tenté de jeter l’éponge pour se recentrer sur les seuls produits de luxe. Sur la musique, la Fnac n’a pu résister et redirige ses clients vers le site iTunes d’Apple.
Même en Suisse, les élus s’alarment, comme Isabelle Chevalley (pays de Vaud) : « Les entreprises étrangères n’ont pas d’états d’âme. Si demain elles veulent partir, elles partent, et nous nous retrouverons avec des chômeurs et des locaux vides. Il faudrait plutôt soutenir nos PME et les aider à trouver de nouveaux marchés ainsi qu’à s’adapter aux nouvelles conditions économiques. ». Certes, les employés paient des impôts, les expatriés font vivre antiquaires, boutiques de luxe, voyagistes. Le maire de Genève en vient même à réclamer que les multinationales financent la construction de logements pour les employés.
En Israël aussi, l’opinion s’inquiète : « un nouvel allègement de la fiscalité sur les entreprises étrangères est perçu comme une aide exagérée de l’État (…) alors que les foyers aux revenus faibles paieraient encore l’essentiel de la facture du déficit public », conclut Jacques Bendela pour Israël Valley.
En tant que contribuables, les foyers ne peuvent pas grand’ chose. En tant que consommateurs, sans doute davantage : encore faudrait-il qu’ils s’en rendent compte.
[b]Ces grands groupes ne respectent pas la règle du jeu explicite ou implicite et de ce fait portent atteinte à toute tentative de concurrence de la part des nationaux de tous horizons qui ne disposent pas des moyens de défiscalisation et autres jeux de cache-cache financiers. C’est dommage car de petites structure fourmillantes d’idées ont cessé d’exister à peine éclose devant ces mastodontes quasi monopolistiques.[/b]
[b]Excellent, je partage.
Moi qui vient de parler de l’arrivée d’Amazon à Lauwin-Planque (9 mille mètres carrés de surface de distribution).
moi qui vient de crier « Hourra » devant les 2 500 emplois promis, j’en suis à me poser des questions…
Par contre pour Toyota, l’usine et ses satellites sont implantés depuis quelques années, et on ne parle pas de départ de la marque, ou de licenciement.
Vous me direz là c’est de la Production, et non de la distribution ( de biens ou de services).
Que ne ferait on pour diminuer le chômage ?
Vendre son âme au diable ?[/b]
[b]LE GRAND BOND EN AVANT !
mis au point par Raytheon, une société américaine spécialisée
dans les systèmes de défense, spectaculaire et effrayant,
Clairement destiné à l’espionnage, le logiciel Riot est aussi
simple à utiliser que le moteur de recherche Google.
On rentre un nom et on obtient une liste de résultats, compilée
à partir des données récupérées sur les réseaux sociaux
(Facebook, Twitter, Gowalla, Foursquare…).
L’investigateur devant son écran peut ensuite activer toute
une série de filtres qui lui permettent de creuser un peu plus
loin dans cette masse de données.[/b]
L’un des moyens à l’oeuvre à l’heure actuelle pour reprendre racine :
les monnaies locales
[url]http://fr.wikipedia.org/wiki/Monnaie_locale[/url]
en copy left:[url]
http://vimeo.com/43395372%5B/url%5D
Merci pour votre article fouillé et argumenté.
Et vive le petit commerce !!