Gemonsen,  un pays où le mensonge n’existait pas. Dans ce pays idyllique, tout le monde était reconnu à sa juste valeur car personne  ne trichait sur ses véritables capacités, sa véritable identité. Les situations devenaient jamais houleuses à Gemonsen car la vérité éclatait avant même que les rouages de la machine humaine ne s’envenimaient. En même temps, la modération et la retenue n’étant pas de ce monde, il fallait une police inhumaine pour garantir la sécurité de tout à chacun. Autre problème, les habitants des  pays qui entouraient Gemonsen, avaient en eux le vice du mensonge. Et Gemonsen devait se protéger de ces esprits différents et protéger en même temps les pays voisin de ses propres habitants.  Pour se couper du monde et de ses perversités, Gemonsen vivait sous une sorte de cloche géante et transparente. Cette machination n'était pas le fruit d'un écart Divin, mais d'un homme ou plutôt d’une génération d'hommes : les Gan Tso. Dix générations plus tôt, Maître Gan Tso avait réussi, à polluer les nappes phréatiques du pays de manière à endormir la cellule du cerveau à l'origine du mensonge. Il devint ainsi facile pour lui de les manipuler et de créer un empire, l'homme franc étant une proie facile et sans  défense pour l'homme menteur. Mais quelqu’un était en train de gripper cette superbe machination, cette indéfectible supercherie qui avait traversé les siècles. Les robots soldats venaient de l’identifier : Chris99. Il avait réussi à braver les systèmes de sécurité de la cité où le mensonge n’existe pas, à la stupeur du dictateur Jin Gan Tso. Jin Gan Tso avait un fils prénommé Min qui prendrait, à la mort de son père, les reines du pays.L’androïde préféré de Min Gan Tso, libéré pendant quelques instants de la présence de son maître, était en train de se connecter à son ordinateur.

Contrôle positif

L’androïde continua à naviguer dans le programme, sans expression, sans surprise, comme si son plan ne pouvait  avoir aucune autre issue que celle d’aboutir. Min Gan Tso devait passer par l’étage dans lequel vivait son père pour accéder au sas terminal de sortie vers le monde réel. Il redoutait cet instant car il savait son père insomniaque et que le croiser sur le chemin de la sortie allait valoir au mieux de sévères réprimandes accompagnées d’une leçon de morale destinée à mettre le doigt sur son indéniable manque de responsabilité,  au pire l’intervention musclée des robots programmée pour ordonner à son père en cas de demande  contradictoire du fils. Il émit une légère pression sur le bouton relié à une des deux micro-antennes situées derrière ses oreilles. 

Démagnétisation enregistrée 

De cette façon, il aurait plus de chance d’éviter de mettre la puce à « l’oreille » de ces maudits robots. Pour lui, qui ne connaissait comme seul être humain que son père, les robots étaient synonymes du  pire comme du meilleur. Le pire, c’était les gardiens du palais des Gan Tso. Le meilleur, ces splendides créatures que l’on pouvait choisir à la carte et qui défilaient, une par une, ou deux par deux, dans son lit.

La démagnétisation ne servit à rien car il tomba, né à né, avec son père, en quittant l’ascenseur.

–           Qu’est-ce que tu fais là ?

          Comme vous, je me ballade.

          Tu te ballades… tu veux aller dehors, oui… ! Gin lança une œillade vindicative sur les diodes rouges situées à la base des micro-antennes de son fils. 

          Tu t’es démagnétisé pour ne pas que les robots te repèrent.

          Je… Bon, écoutez, je n’en peux plus moi de ce palais et…

          … Tu n’en peux plus ? Tu as tout ce que tu veux, tu manges ce  que tu veux, tu baises qui tu veux et tu oses de plaindre.

          J’ai tout ce que je veux, vous avez raison. Mais, savez-vous à quoi j’occupe le plus claire de mon temps.

          Je sais, à tes androïdes !

          Oui et à regarder les écrans installés dans la World Wide Room. Je n’en peux plus de voir ses hommes déambulés, dans la rue, à la campagne, sur la plage, heureux et libres.

          « Libres », tu rigoles. Tu sais très bien qu’il n’y a pas plus emprisonnés, encadrés qu’eux. Condamnés  à se livrer, à la transparence absolue, à être cru, à une franchise désarmante, à vivre les situations comme des bêtes, sans retenue, dont le moindre acte, le moindre discours ne puise son origine que dans l’instant,  dans l’instinct. C’est ça ta liberté ?

          Mais, ils se « sentent » libres. 

Jin Gan Tso prit violemment son fils par la manche qui lui, le suivait docilement. On croyait voir un père qui emmenait au coin un fils honteux, piteux, trainant à moitié les pieds. Ils arrivèrent dans l’impressionnante  World Wide Room. 

          Que vois-tu ?

          Des Hommes libres.

          Ah oui, des Hommes libres, tellement libres qu’ils sont incapables de gouverner, incapables de se gérer, incapable de survivre si je n’étais pas là. Et quand je serais mort, ce sera à toi de veiller au pays où le mensonge n’existe pas. Même l’air qu’ils respirent n’est pas libre. Un dôme aussi gros qu’une étoile séquestre leur air.

          Pourtant, ils utilisent bien l’expression « air libre ». Je l’ai déjà entendue.

          Ce n’est qu’une expression. Tant qu’ils boiront de l’eau,  leurs cerveaux seront à notre merci. Leur honnêteté intacte est l’unique justification de notre existence.  

Min se risqua  

          D’accord ô Dieu. 

Jin décocha un formidable coup de poing sur la joue de son fils. Celui-ci chuta sous la violence de l'assaut, en projetant au passage des goutes de sang sur les écrans géants. Jin se mit à respirer avec difficulté, tant l’effort demandé par son attaque l’avait atteint physiquement. Il se frotta la main.  

          Tu l’as bien mérité. Et ne te plains pas! La prochaine fois,       j’appellerai les robots. Eux, ils n’ont pas soixante ans.