Quel intérêt de revenir sur le cas, non de John Galliano, mais de ses propos antisémites ? Il a publié un communiqué présentant des excuses, se dédouanant de tout racisme, et faisant valoir qu’il a été lui-même victime de préjugés qu’il condamne. J’estime qu’on pourrait, peut-être, tourner la page Galliano ; malheureusement ses propos restent. Amplifiés ?

En soi, pour ahurissants qu’ils paraissent, et sont, les propos qui valent à John Galliano de faire acte de contrition, ne me semblent pas valoir plus d’attention que le fameux « j’ai l’intime  conviction que vous n’êtes pas des pédophiles », adressé par Nicolas Sarkozy à des journalistes, ou le quelque peu risqué « il ira loin, ce petit », de Siné commentant la présumée conversion de Jean Sarkozy à la religion judaïque.
Un type, au bizarre accoutrement, manifestement sous l’emprise de diverses substances, s’imaginant peut-être agressé (il entend peut-être des voix, allez savoir ?), balance des énormités dans une attitude de punk déjanté.
Cela mériterait certes un poing dans la figure s’il avait proféré froidement ces insanités. Mais, finalement, il ne s’agit que de John Galliano, un saltimbanque doué, même pas d’un chef d’État ou d’un chroniqueur en vue, et si parallèle il y avait, ce serait de se dire qu’il ne faut rien s’exagérer.
Sarkozy a vaguement dérapé, Siné n’a pas vu venir le coup qui lui était réservé par Val, Galliano aurait (le conditionnel s’impose) disjoncté.
C’est aussi intolérable que les vagissements de certains hooligans à l’issue d’une rencontre sportive.

Le cas de John Galliano m’intéresse moins que celui du petit groupe Brez Atao qui a déploré qu’un sonneur breton d’origines africaines, Yann Martin, ne soit pas relégué aux coulisses de son prestigieux bagad. Je ne sais vraiment, en revanche, s’il était très utile d’accompagner les multiples condamnations sans appel de tant et tant de formations bretonnes d’une plainte en justice. Non pas parce que j’estimerai qu’on ne doit pas avoir recours à « la justice de l’occupant » (en un tel cas, j’estime que les magistrats, d’où qu’ils proviennent, seront impartiaux). Pourtant… Autant je veux bien admettre qu’un Galliano, aviné, paranoïaque, je ne sais quoi, profère des propos qu’il n’aurait pas prononcé à jeun, et que, allez savoir, il regrette peut-être sincèrement, autant il m’est difficile d’exonérer Boris Le Lay, par ailleurs fondateur de l’association Breiz-Israël, de toute visée raciste et xénophobe. En témoigne cet échange avec un animateur de Tudjentil Breizh (association d’aristocrates bretons revendiquant, on ne sait trop pourquoi, des « racines chrétiennes »). Breiz Atao s’en prend aux allogènes et, tout comme Riposte laïque, qui finira par passer pour un faux-nez des Chevaliers du Christ et de l’Opus Dei, avance ce singulier argument : nous allons nous « faire bouffer par les musulmans ». Israël (l’État, la notion ?), ainsi instrumentalisé, se retrouve embrigadé dans un dessein douteux. Breiz Atao, qui se défend d’être suprématiste considère que la « domination de la race blanche sur les autres races » est « totalement délirante [et] sans lien avec la volonté de garantir sur la terre de nos pères l’homogénéité ethnique et raciale de la communauté nationale. ». Là, pas de contrition, pas d’excuse ou de circonstances, c’est froidement énoncé. Homogénéité ethnique et raciale de la Bretagne ? Quelle blague !

Ouf, la Licra s’est jointe aux protestations et à l’action en justice contre Breiz Atao. La Licra, fondée pour soutenir un anarchiste, prône « la tolérance zéro face au racisme et à l’antisémitisme. ». D’où qu’ils proviennent. Elle considère que, dans le cas de John Galliano, « la notoriété impose un devoir d’exemplarité. ». On peut le voir aussi comme cela. Elle a de même condamné l’affiche des JS représentant Nicolas Sarkozy le bras levé : « les jeunes socialistes de la Vienne ont cru bon de singer (…) le président de la République, renvoyant son image à celle d’Adolf Hitler. ». La Licra n’a pas tout faux : Nicolas Sarkozy voudrait se rallier des clientèles confessionnelles (musulmane, israélite, chrétienne… scientologique…), y parvient très mal, mais ne prône pas déjà les pogroms contre les communistes ou divers potentiels opposants.

L’individu Galliano m’intéresse fort modérément, ce que trahissent ses vociférations bien davantage. Les « juifs » (ou arabes, africains noirs, Bretons pas très clairs, peut-être… peu importe, ici), seraient nuisibles en raison de… de quoi au juste ? D’une volonté hégémonique ? Nous n’avons pas (moi, et je l’espère ou en suis persuadé, au vu d’une majorité de réactions), de désirs hégémoniques en Bretagne ou dans le quartier de Montparnasse, à Paris. Et non, nous ne dissimulons pas des triskels dans des graphismes de marques de cigarettes, ou comme le suppose Mohamed Aliabadi à propos d’une présumée étoile de David ou du mot Sion évoqué, selon lui, par le logotype des JO de Londres en 2012, en divers emblèmes d’organisations dont nous voudrions prendre le contrôle. Énonçons-le autrement : le « complot juif » est aussi farfelu qu’un éventuel « complot breton ».

Il en est de même, assure Jonathan Freedland, du Guardian, d’une vaste majorité d’Israéliennes et d’Israéliens, de membres de la diaspora mondiale, qui ne se privent pas de critiquer la politique de l’actuel gouvernement israélien : la presse israélienne en rend régulièrement compte, j’en atteste. Mais qu’importe l’évidence, certains veulent imputer à un groupe de population aussi diversifié que les Bretons, une cohésion qu’il n’a pas. Selon Freedland, même Julian Assange, de Wikileaks, aurait attribué tous ses ennuis légaux à une « conspiration juive ». Alan Rusbridger, né en Zambie, rédacteur en chef du Guardian, serait de la partie. Parce qu’interlope et cosmopolite ? Ou Celte et affilié secrètement à Breiz-Israël, pendant qu’on y est ? Assange a démenti nourrir la conception d’un « complot juif ». Il a en tout cas conversé, partageant quelques verres de whisky, avec les envoyés de Mediapart, et que l’on sache, même éméché, ce n’est pas son leitmotiv. Mais pour certains, ne pas partager la conviction qu’un présumé « complot juif » serait à l’œuvre devient suspect. Idem pour le « complot islamiste ». Verra-t-on bientôt, à l’inverse, Breizh Israël dénoncer quiconque ne le soutient pas de participer à ce trop fantasmé complot islamiste ?

N’accordons pas trop d’importance à Breizh Israël, pas davantage qu’à ceux qui ont mis en cause Yvan Stefanovitch en l’accusant d’antisémitisme (tout comme Siné), parce qu’il avait évoqué un « vote juif » qui reste le fantasme de divers personnages politiques. Il n’y a pas de « vote juif » en France, sinon marginalement, peut-être pas davantage qu’en Bretagne. Ce qui pose divers problèmes, dont celui du communautarisme (comment refuser l’obtention de subventions à des écoles loubavitch ou sunnites radicales si nous en sollicitions pour des écoles druidiques, par exemple ?). 

Un Galliano hanté par l’Ankou et ayant abusé du chouchen ne serait pas davantage excusable qu’un John Galliano. Tout autres sont celles et ceux qui, de quelque bord qu’ils soient, instrumentalisent la xénophobie. Sachons les combattre en prônant d’autres valeurs, qui nous rassemblent. Et puis, au passage, défions-nous de nos intimes convictions.