Dans son dernier billet en date à ce jour, Jean-Luc Mélenchon s’inquiète d’un non report des voix s’étant portés sur lui qui pourrait mener à reconduire Nicolas Sarkozy à l’Élysée. Jusqu’à un cinquième des électrices et électeurs du Front de Gauche s’abstiendrait ou voterait nul. Douteux…

Tout d’abord un constat : l’intérêt, non seulement des médias, mais de l’électorat à l’endroit de Jean-Luc Mélenchon s’est estompé. Son antépénultième billet du 20 avril sera bientôt lu par près de 120 000 visiteurs, celui reprenant sa déclaration du soir du premier tour voit sa fréquentation chuter à moins de 50 000 et son dernier en date, d’hier 25 avril, marque une nette baisse d’intérêt (un peu plus de 40 000 visites).
C’est un peu arithmétiquement normal (il finira par atteindre un score plus élevé), mais l’effet mobilisateur s’effrite, le candidat n’était plus dans la course jusqu’à la prochaine, celle des législatives…

Rien appris du vote FN ?

J’apprécie toujours la prose de Mélenchon, laquelle, je dois l’admettre comme d’autres, est peut-être passée au-dessus de la tête d’un électorat « gauchisant » des couches populaires, notamment de certains jeunes, d’ouvriers ou petits employés et ruraux (ou rurbains) dont certains n’avaient sans doute pas intérêt ni vocation à donner leurs suffrages au Front national ou même à Sarkozy.

Mais ce qui m’agace profondément, c’est d’abord ce refus de toute autocritique, notamment envers sa dénonciation des médias, encore et toujours stigmatisée : ils seraient encore dans une odieuse logique de « machine médiatique à fabriquer du spectacle et de l’effroi ». Même s’il y avait une part de vérité puisque le pourcentage obtenu par Marine Le Pen est commenté à l’envi, alors que celui du Front de Gauche l’est beaucoup moins, cette insistance à se faire passer pour un dénigré, censuré, paria ne fait guère sourire.
D’abord, quelle est vraiment l’influence des médias ? À mon sens très forte (quand ils dramatisent des faits divers, exaltent le succès d’un chanteur ou d’une comédienne, en d’autres circonstances…) et très faible lorsqu’il s’agit justement de former l’opinion de couches « désaculturées » politiquement. Ce qui est le cas d’une majorité de votants du FN et même d’une grande partie de ses cadres intermédiaires.

Bien davantage que le fait que la xénophobie est toujours intimement revendiquée et confortée dans les cercles militants du FN, ce manque de formation et de réflexion politique est ce qui ressort d’abord du livre de la journaliste Claire Checcaglini (voir son plus récent entretien sur Atlantico.fr) qui a failli se retrouver candidate lepeniste aux législatives en moins de six mois d’immersion.

Certes, entretenir en douce la xénophobie est particulièrement condamnable et que Mélenchon continue ainsi à jeter l’anathème sur Marine Le Pen et l’appareil de son (voire ses, à présent) parti et formations associées ne me défrise pas trop. Je pourrais apprécier la critique du programme proclamé ou sous-jacent du FN, une partie de l’électorat conscient de Marine Le Pen n’est pas d’ailleurs pas dupe, et on ne la fera pas voter pour n’importe qui arborant la flamme tricolore aux législatives.
Je peux donc aussi reconnaître à Jean-Luc Mélenchon sa franchise radicale : il aurait sans doute eu tactiquement avantage à faire comprendre que « le retour de la question sociale et du partage des richesses », noyau dur de la stratégie du FdeG, pouvait aussi toucher partie de l’électorat FN sans pour autant « donner des gages aux beaufs… ».

Mais c’est aussi faire de l’électorat du FN qui pourrait se raviser un ennemi de classe à jamais. Or, franchement, l’ouvrière ou l’employé sous-payé se contrefiche, surtout s’il ne se conçoit pas xénophobe, de cette mise à l’index. Pour elle ou lui, Marine Le Pen est dédiabolisée. Que ce soit ou non une erreur d’appréciation n’est pas son problème, puisque ce n’est pas ainsi perçu.

En face, cela revenait à faire de l’électorat communiste de naguère une masse monolithique, bolchévique-stalinienne, vouant toutes les classes petites bourgeoises au goulag… si ce n’est à l’exécution immédiate, destination fosses communes.

Non, désolé, s’intéresser à l’électorat du FN, ce n’est pas forcément réserver aux Le Pen (père, fille, nièce, &c.) « l’exclusivité de l’expression de la colère populaire » afin d’aveugler et non éclairer.

Peut-être que, en résumant ainsi, je caricature. Admettons que je force le trait : estimez-le par vous-mêmes en vous reportant à l’original intitulé « Après le premier tour, un moment de pause clavier ».

Et puis même : la caricature a parfois son utilité.

Bon petit-fils de Combes

Le président Paul Doumer, assassiné par l’anti-bolchévik Paul Gorguloff, disait du « petit père » Combes qu’il était « un républicain récent attaché aux procédés bonapartistes ». J’admets citer hors contexte et aussi que ce n’est pas en évoquant le Cartel des gauches (1923-1926) et le Bloc national que je vais sensibiliser l’électorat plutôt à gauche séduit par le pseudo discours social de Marine Le Pen. Les références de Mélenchon à Drieu La Rochelle ou Brasillach sont du même type : parfaitement à côté de la plaque pour, hélas, un trop nombreux public.

Que Mélenchon puisse être perçu drapé dans les plis du manteau d’Émile Combes, radsoc très anticlérical, est une chose. Que les militantes du Front de Gauche ou les partisans du PCF renoncent à s’adresser aux « beaufs » sinon en scandant No Pasaran devant les monuments des localités rurbaines m’évoque franchement un dérisoire échappatoire, tout à fait stérile.

Oui, Mélenchon a raison, « l’extrême-droitisation accélérée de la droite populaire » (au sens non de la frange la plus droitière de l’UMP, mais, disons, CSP, socio-professionnelle) est bien une réalité si l’on s’en tient à l’analyse électorale.

Mais comment donc le Cartel des gauches, puis le Front populaire, ont-ils pu l’emporter si ce n’est aussi du fait du revirement de certains électeurs du Bloc national (qui, pour un temps, fut aussi formé avec les radsocs) ? Comment Mitterrand a-t-il pu convaincre de voter pour des socialo-communistes sans l’apport d’ex-gaullistes de gauche ? En les qualifiant de « fachos » ?

Socialiste radicalisé de nouveau plutôt récemment, Mélenchon n’incite-t-il pas de fait ses partisans les moins formés à tenir les dix ou quinze pourcents de l’électorat Le Pen pour d’irrémédiables égarés qui ne pourront que se fasciser ? Cela se discute, mais en tout cas, il en donne fort l’impression. Certes, « 70 % de la progression de Marine Le Pen vient du recul de Sarkozy. Une transfusion ».
Mais dans les 30 % restants, il n’y a pas que des frontistes de longue date, loin de là. Laisser penser que le Front de Gauche aurait tout récupéré chez les ex-votants Le Pen devenus indécis, c’est peut-être « légèrement » optimiste, et surtout fallacieux.

Puis, après avoir tant dénigré les sondages, se fonder sur l’un d’eux pour affirmer que près d’un tiers des électeurs de François Hollande ont hésité à voter Front de Gauche, c’est presque désopilant.

Les médias et les sondages n’y sont sans doute pas pour grand’ chose mais, dans ma parentèle proche, pas une voix n’a manqué à Mélenchon : il me semble bien que les médias ont pu influer ou conforter, je ne sais dans quelle mesure…

Satisfecit total

Mélenchon, en élève modèle devenu depuis professeur émérite se décerne toutes les palmes, croix d’honneur, tous les bons points et tableaux d’excellence. D’accord, il n’a pas démérité et il fait justement remarquer que, dans nombre de fiefs socialistes, les votes Hollande stagnent ou ne progressent que fort peu par rapport aux votes Royal.
Dont acte, c’est le Front de Gauche qui fait l’essentiel de la différence des gains (parfois pris aux électorats Besancenot et Verts, sans doute bien davantage à l’abstention). Mais comment, dans ces conditions, porter en marge de sa copie « peut encore mieux faire » ?

Comment se fait-il que, selon ce qui lui remonte de sa base, 15 à 20 % de son électorat pourrait ne pas voter Hollande, donc offrir un second mandat à Sarkozy ? Tactique visant à faire des futurs députées, des futures maires ou conseillères générales la seule opposition vraiment « de gauche » ou le seul allié vigilant et déterminé en cas de cohabitation ? La reconduction de Sarkozy serait déplorable tant pour la France que pour l’Europe, insiste-t-il, et « la défaite ne fait naître aucun sursaut… ».

Effectivement, nous avons été divers à vouloir croire que la fusée Sarkozy imploserait en plein vol vers 2008 ou 2009, il n’en fut rien. Il le rappellera le 4 mai « place Stalingrad (…) ou ailleurs. ».

« Tous dans l’action, personne dans l’illusion (…) il faut être dans l’action pour convaincre, » insiste-t-il en incitant de nouveau à voter contre Sarkozy sans pour autant approuver le programme et les orientations de Hollande dont on sait qu’un bon tiers de l’électorat de Bayrou se ralliera.

L’illusion consiste peut-être à croire que la ferme opposition, frontale, à la droite de la droite consiste à stigmatiser celles et ceux qu’elle pourra encore abuser en leur promettant des avancées sociales.

D’autre part, je veux bien que d’aucun éprouve ou ressente de bonnes raisons de ne pas voter Hollande mais, là, je constate que des préfectures retoquent pratiquement toutes les demandes de nationalité française, quelque soit la bonne insertion des familles et leur provenance, leur niveau d’études, &c. Il leur faudra réintroduire une demande, refaire tout le dossier, &c., dans deux ans. À croire que des consignes ont été données de tout refuser en bloc…
Alors, dans de multiples domaines, redonner cinq ans de répit à Sarkozy, avec le risque que l’UMP l’emporte aussi de justesse, est-ce bien raisonnable ?

Correctifs cependant…

Ce qui me réconforte, c’est qu’il me semble que les commentaires sur le blogue de Jean-Luc Mélenchon soient à présent moins filtrés et j’ai pu ainsi lire, à propos de l’électorat FN : « Je pense que nous devons parler sans mépris à une partie de ces gens-là en déconstruisant l’argumentaire du FN. ». Ouf ! On peut enfin l’écrire !

Ce que je lis aussi, c’est que si les reports de voix ne sont pas massifs vers le concurrent de Sarkozy, pas mal de sympathisants se diront que le Front de Gauche a préféré une cuisine électorale à d’autres priorités, et qu’on ne les y reprendra plus.
Veut-on bientôt pour les policiers une présomption d’innocence pour l’incitation aux outrages verbaux ? Une UMP encore plus Droite populaire (sa frange ultra-droite) ?

Ce qu’il faut peut-être expliquer à l’électorat du FN, c’est que les formations alliées européennes des lepénistes sont fort capables de faire refleurir des « No dog, No French » (lu à Londres, naguère, sur une offre de location : le British National Party progresse aussi au Royaume-Uni). À Genève, un tract dénonçant la « racaille frontalière » circule.
En Savoie, dans l’Ain, le vote FN s’est fort bien porté. Allez donc, admirateurs de Marine Le Pen, vous frotter au Mouvement des Citoyens Genevois…

Je serais fort surpris que près d’un cinquième des électrices et électeurs du Front de Gauche se refuserait à voter Hollande. Mais si c’est le cas, il faudrait aussi leur rappeler ce que la droite de la droite leur réserve pour cinq ans… Entre Merkhollande et Sarkopoutine, ou entre Montirajoy et Berluscobossi, il y a quand même quelques nuances : c’est à Rome qu’une infirmière roumaine s’était vue brutalement agressée et y avait laissé la vie, en octobre 2010. Son meurtrier, Antonio C., sortira de prison à environ 26 ans (il avait 20 ans lors des faits).

À Pont-sur-Seine (Aube), Marine Le Pen a recueilli 154 voix, Nicolas Sarkozy 145, loin devant Hollande (108) ou Mélenchon (52) : le maire y aurait molesté (il s’en défend) une magistrate venue contrôler les opérations de vote. Ce maire sans étiquette, qui avait contribué à faire embaucher un médecin roumain, n’avait pas trop été critiqué par Nations Presse Info : aux cantonales, le FN faisait 45,2 % des voix ;  en 2007, Jean-Marie Le Pen – arrivé en tête en 2002 –se classait déjà second, mais cette fois, Hollande a très légèrement amélioré le score de Ségolène Royal (de huit voix).

Eh bien, « mes amis », comme dirait Jean-Luc Mélenchon, c’est peut-être dans l’Aube (moins de 8 % pour le candidat du Front de Gauche, 9 % à Troyes), et pas seulement à Romilly (plus de 12 %) qu’il conviendrait peut-être de faire porter l’effort jusqu’au 6 mai, et au-delà.

Avec Jean-Pierre Cornevin et les rédactrices et rédacteurs de La Dépêche de l’Aube, l’hebdo du PCF, il serait judicieux de ne pas s’en tenir à « l’immigration ceci » ou « l’immigration cela » et « les fachos comme ceci ou comme cela », dont la plupart des Aubois se font parfois rebattre les oreilles. Il est beaucoup plus judicieux de rappeler que le département a perdu 25 000 emplois en 20 ans et que « le peuple est entré en résistance, non par idéologie, mais parce que c’est une question de survie. ». Et quant à la dédiabolisation du FN, qu’on ne s’inquiète pas trop : on peut compter sur ses candidates et candidats pour éclairer les esprits, leur naturel finira bien par ressurgir.