Vous connaissez sans doute Frédéric Lefebvre, insupportable porte-flingue parole de l’UMP. Il s’agit au départ d’un lobbyiste de profession – ce drôle de métier qui consiste à tenter d’influencer le législateur au profit d’intérêts privés, moyennant finances, quand ce dernier ne devrait s’occuper que d’intérêt général (il eut par exemple pour clients le Syndicat national des professionnels immobiliers, les casinos Lucien Barrière, les groupes Bouygues, Alcatel…).

Adepte du mélange des genres, il ne s’est pas gêné pour exercer des responsabilités politiques au RPR puis à l’UMP en parallèle à cette activité. C’est ainsi qu’il a rencontré Nicolas Sarkozy, dont il fut le directeur de cabinet au ministère de l’Intérieur puis l’un de ses plus proches conseillers lors de la campagne présidentielle. En récompense, il fut ensuite nommé suppléant d’André Santini à l’Assemblée nationale, pour devenir député à sa place une fois le maire d’Issy-les-Moulineaux appelé au gouvernement. Lefebvre, c’est par exemple l’homme qui s’exclamait "Enfin la liberté !" au moment où est passée la loi autorisant, sous couvert de négociations – directement entre l’employeur et le salarié dans les petites entreprises, sans représentant du personnel -, les cadres et salariés "au forfait" à travailler 235 jours par an, ce qui équivaut à ne plus disposer que d’un seul jour férié par an, voire 282 jours, ce qui entame d’autant les congés payés et les week-ends.

Lefebvre s’est aussi illustré en accusant les militants défendant les sans-papiers d’être responsables des incendies de centres de rétention, scandaleuse défausse des responsabilités du gouvernement qui crée, avec sa politique de traque systématisée des immigrés clandestins, des situations proprement explosives. C’est encore ce même guignol qui sommait le PS de "reconnaître publiquement son erreur" pour avoir "prétendu que ce dispositif était pour les riches", après la publication des statistiques du bouclier fiscal révélant que 74% de ses bénéficiaires disposaient d’un revenu inférieur en moyenne à 3 750 euros par an. Bénéficiaires, d’accord, mais dans quelle proportion ?

C’est là que réside la grossière manipulation, puisque ces foyers modestes ne se partagent que les miettes : en réalité, les 6000 foyers bénéficiant des plus hauts revenus ont empoché 234 millions d’euros sur les 241 remboursés au total en 2007. Ce sont donc bien – évidemment ! – les privilégiés qui sont les grands bénéficiaires du bouclier fiscal, et Lefebvre fait preuve d’une ahurissante mauvaise foi en prétendant (avec Le Figaro) le contraire. Mauvaise foi et mensonge allant de pair, notre héros vient de proférer une nouvelle énormité, montant cette fois au créneau pour défendre le fichier Edvige, autorisant le fichage des "personnes physiques ou morales ayant sollicité ou exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui jouent un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif", de recueillir sur elles des informations aussi intimes que celles concernant la santé ou les orientations sexuelles, et ce à partir de 13 ans : "L’UMP regrette que dans sa stratégie existentielle, François Bayrou polémique sur tous les sujets, y compris quand cela concerne la sécurité des Français. Pour ce qui concerne le fichier Edvige, François Bayrou n’a aucun scrupule et n’hésite pas à aligner des contre-vérités ! (…) Certaines informations étant mieux protégées (…) la protection des personnes est donc, contrairement à ce qu’il dit, renforcée. Il y a une nouveauté que nous assumons : dorénavant, pourront figurer les mineurs âgés entre 13 et 18 ans, ayant menacé l’ordre public, et ce pour faire face aux nouvelles formes de délinquance, et notamment la délinquance en bande. Monsieur Bayrou considère-t-il que la police ne doit pas avoir les moyens de se défendre contre la délinquance des mineurs et les bandes organisées ?", interroge benoîtement ce bon Lefebvre. Réponse en trois points.

non à edvige !Tout d’abord, il est particulièrement léger de limiter sa réponse à la contradiction du seul François Bayrou. Le président du Modem a certes appelé à un "mouvement de refus républicain" du fichier Edvige, qualifié d’ "outrageant", et déposé un recours devant le Conseil d’Etat. Mais il est loin d’être le seul : pas moins de 13 recours ont ainsi été exercés devant la plus haute juridiction administrative française, parmi lesquels ceux de 12 organisations (Aides, CFDT, CGT, Ligue des droits de l’Homme, Syndicat de la magistrature, FSU, Syndicat des Avocats de France…), des syndicats Sud-Travail et Union syndicale des magistrats, du Conseil national des barreaux ou encore de personnalités comme la présidente de Cap-21, Corinne Lepage. Le Conseil d’Etat rendra sa décision en décembre. En dehors de ces recours, tous les partis d’opposition ont protesté : le PCF juge Edvige "inacceptable" et demande que "le Parlement soit saisi de l’état actuel du système de renseignement afin que soient évaluées leur pertinence et les atteintes aux libertés qu’il génère" – la création de ce fichier s’est faite par un simple décret -, le PS réclame au gouvernement "de retirer le décret et de s’expliquer devant le parlement" et a signé la pétition du collectif "Non à Edvige", qui regroupe quelque 771 organisations, collectifs, partis et syndicats, parmi lesquels la LCR. Ladite pétition recueille aussi les signatures de particuliers, au nombre de 112 888 à l’heure où ces lignes sont écrites, récoltées en moins de trois mois – nous vous encourageons bien sûr à ajouter la vôtre, si ce n’est déjà fait, en suivant ce lien. Compte tenu d’une mobilisation aussi massive, réduire la contestation d’Edvige à la "stratégie existentielle" de Bayrou qui "polémique sur tous les sujets" est une aimable plaisanterie, pour rester poli – il nous démange de plutôt parler de vaste foutaise !

d bathoSelon Lefebvre, "Certaines informations étant mieux protégées (…) la protection des personnes est donc (…) renforcée". Faux ! "Hélas en cette rentrée, le porte-parole de l’UMP Frédéric Lefebvre ne semble pas avoir pris la bonne résolution d’arrêter de mentir, réagit Delphine Batho, Secrétaire nationale du PS chargée de la sécurité. Les décrets relatifs à ce fichier comportent de nombreuses régressions pour les libertés publiques. Le Parti socialiste invite donc Monsieur Lefebvre à lire les décrets. Peut être comprendra-t-il alors que la mobilisation citoyenne pour dire non à Edvige se poursuivra tant que le gouvernement n’aura pas retiré ces décrets". Quelles sont donc ces protections que le menteur prétend renforcées ? Elles ne sont au nombre que de deux : les données contenues dans le fichier "ne font l’objet d’aucune interconnexion (…) ni aucune forme de mise en relation avec d’autres traitements" et chacun pourra vérifier le contenu de son dossier, à l’exception des mineurs. Rien de nouveau donc et par conséquent aucun renforcement des protections.

Mais là où Lefebvre décroche le pompon, c’est dans la dernière partie de son intervention : "Dorénavant, pourront figurer les mineurs âgés entre 13 et 18 ans, ayant menacé l’ordre public, et ce pour faire face aux nouvelles formes de délinquance, et notamment la délinquance en bande. Monsieur Bayrou considère-t-il que la police ne doit pas avoir les moyens de se défendre contre la délinquance des mineurs et les bandes organisées ?" On voit immédiatement le populisme de cette phrase : le jour où les citoyens se feront égorger par une bande de mineurs organisée, ils comprendront pourquoi le fichage de ses membres était nécessaire, suggère l’infâme. Or, ce que personne à notre connaissance n’a relevé – mais Plume de presse est là ! -, c’est que Lefebvre justifie sa position au prix d’une minuscule modification sémantique, synonyme de mensonge éhonté. Il parle en effet de mineurs "ayant menacé l’ordre public", alors que le texte exact du décret désigne ceux qui "sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public". Joli tour de passe-passe entre un fait délictueux avéré, qui a menacé l’ordre public, et une menace potentielle, dont l’évaluation laisse la porte ouverte à tous les arbitraires.

Car quel est in fine l’objectif poursuivi par le gouvernement en créant ce fichage, qui ne concerne, rappelons-le, pas uniquement les personnes à partir de 13 ans dont on juge qu’ils sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public, sans définir le moindre critère d’évaluation de ce risque, mais aussi toutes "les personnes physiques ou morales ayant sollicité ou exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui jouent un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif" ? C’est tout simple. Ce pouvoir est antisocial et s’expose de ce fait à une résistance citoyenne sous la forme de mouvements sociaux. Le flicage généralisé qu’il souhaite mettre en place, indigne d’une démocratie, est la première étape vers la criminalisation de toute opposition, ouvrant la porte à sa répression systématique.

 

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