La Société Générale, troisième banque française, a annoncé jeudi avoir été victime d’une fraude monumentale s’élevant à 4,9 milliards d’euros [1]. Il s’agit plus précisément des dérivés actions dont la banque est le leader mondial, qui auraient écopés de l'escroquerie [2]. Malgré le fait que les dérivés actions constituent des activités requérant un contrôle pointu, il semblerait qu’un employer, à lui seul, serait parvenu à déjouer les procédures et s’adonner librement à sa malversation financière.

Le courtier Jérôme Kerviel, citoyen au-dessus de tout soupçon jusqu’ici, ayant agi selon des motifs encore  nébuleux et sans avoir tiré quelque intérêt de sa félonie, est devenu jeudi le bouc émissaire de la SocGen. 

 


Premier imbroglio de l’affaire : jeudi dans le feu de l’action, le président de la SocGen, Daniel Bouton, a déclaré «que la fraude n'avait pas touché les dérivés actions, le métier vedette de la banque» [3]. Pourtant, selon le média Reuters [2], le trou de près de 5 milliards d’euros concerne bel et bien le département des dérivés actions; comment alors ces derniers peuvent-t-ils ne pas avoir été touchés par une perte aussi colossale. Serait-on face à une contradiction vis-à-vis des déclarations du président Bouton, faits la veille? De surcroît, le courtier Jérôme Kerviel, accusé de cette fraude, travaillait sur des activités classiques de la banque: l'arbitrage sur indices boursiers via des contrats à terme, depuis 2005 [4]. Comment a-t-il pu alors avoir accès, sans aucune complicité, aux systèmes de contrôle sophistiqués et réservés aux spécialistes en la matière, à l’insu de tous, afin de perpétrer son crime ?

De toutes façons, lorsque «un courtier agit pour le compte d'un client, au moins trois personnes entrent en jeu pour donner l'ordre, le transmettre et l'exécuter» explique Arnaud Riverain, analyste d'Arkéon Finance [5] ; un courtier ne peut donc pas opérer à lui seul un ordre. Toutefois, bien qu’assez invraisemblable comme scénario, n’oublions pas l'affaire Barings où un courtier de Singapour avait provoqué une perte de 1,7 milliard de dollars à la Barings Bank qui fit faillite peu de temps après [6] .

Le second imbroglio vient du fait que tout le tumulte de cette affaire a complètement éclipsé, ce jeudi, le dévoilement des états financiers de la banque, révélant des pertes de 2 milliards d’euros de la SocGen dues à la crise du subprime. Une sorte de subterfuge monté de toutes pièces de façon à dissimuler les mauvaises performances de l’institution bancaire qui a acquis plusieurs titres de créances (CDO) contaminés par des subprimes et véhiculés via les papiers commerciaux. Cela me rappelle un commentaire que j’avais justement émis à cet effet ; mettant en garde des dangers guettant les institutions bancaires européennes. Le gouvernement français aurait pu tenter d’exiger depuis longtemps aux institutions bancaires de se faire plus prudentes dans leurs transactions surtout sur le marché nord-américain, mais comme l’a déclaré François Fillon, dans sa grande sagesse et clairvoyance au Financial Times mercredi : «l'économie française est moins exposée que les autres à cette tourmente parce que les entreprises françaises sont en bonne santé, […] il n'y a pas de crise du logement aujourd'hui dans notre pays.» En l’occurrence cela revenait à dire au peuple : en dépit du fait que le loup rôde autour de vos chaumières, chers concitoyens, dormez sur vos deux oreilles, portes et fenêtres ouvertes… Mais la France n’aura pas eu besoin d’attendre 24 heures pour constater l’ampleur de cette énormité déclarée par son Premier Ministre. Certains analystes vont même jusqu’à croire que «la Société Générale aurait chargé la barque sur le thème de la fraude pour faire passer plusieurs mauvaises opérations de marché et les pertes accumulées au cours de la crise des subprimes» [5].

 

Le mystère reste encore entier et les questions nombreuses afin d’expliquer le pire fiasco financier enregistré en France. Ce qui est à craindre à présent, c'est que la débâcle de la SocGen se répercute par un effet domino sur d’autres institutions en France. Quant aux clients de la Société Générale, y ayant investi beaucoup de leurs sous, ils ne devront pas s’attendre à davantage que de très protocolaires excuses  du président Bouton dont le poste, mais surtout le salaire de 3,3 millions d’euros [7] demeurent  malgré tout, toujours aussi bien assurés.

 

 

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1.Les Échos.fr le web de l’économie. 

2. Doutes sur la thèse de la Société générale d'une fraude isolé-Reuters

3. La SocGen se perd en conjectures sur les motifs du fraudeur-L’express.fr

4. Le trader de la Société générale, "un génie de la fraude"-L’express.fr

5. La fraude à la Société Générale soulève doutes et interrogations-Le Point.fr

6. Barings Bank Collapses-Maclean’s Magazine

7. Classement du journal « Les Echos » du 23 avril 2007 basé sur la rémunération brute totale.