Le moins qu’on puisse dire c’est que l’opposition, en France, est peu virulente – pour le moment – à l’endroit du gouvernement au sujet de l’engagement des armées françaises au Mali. Les critiques sont marginales, et Rachida Dati a même proclamé un « soutien inconditionnel » au chef des Armées. Toute autre est la situation politique au Mali où l’opposition se voit qualifiée de « djihadistes politiques du sud » et où le « bon dieu » est invoqué. Cette opposition en appelle aussi à la France : « le président Hollande a l’obligation morale de faire le boulot ». Entendez, de le poursuivre, de le finir.

Nécessaire préambule : connaître – un peu – le Burkina Faso et être attentif à l’actualité du continent africain ne fait pas de vous un expert du Mali. Mais en journalisme, parfois, les stagiaires, forcés de faire semblant de dominer leur sujet, y parviennent fort bien… Comme en d’autres domaines (ainsi de la photographie), l’artifice peut parfois être davantage révélateur que le réel…
Cela énoncé, il n’est pas faux de dresser le constat d’une France à peu près cohérente, rassemblée dans sa large approbation de l’intervention au Mali tandis que ce pays et sa majorité démographique (celle du sud, donc) ne manifeste pas vraiment la même cohésion après l’enthousiasme initial affiché et largement répercuté en France.

Un bloc « centriste »

En France, en deuxième semaine, ce qui valait pour la première persiste. La quasi-unanimité reste solide, sauf aux extrêmes de l’éventail politique (NPA opposé à toute ingérence dans les affaires africaines, marges de l’UMP et de l’extrême-droite). Quant à la partie du ventre dit mol et versatile de l’opinion, le coût des opérations en cas d’enlisement, des préoccupations quelque peu nombrilistes (sectorielles, autres priorités du moment), ou la crainte de voir un afflux de réfugiés maliens, sont les principales réticences. Au FN, Marine Le Pen a donné leur dû à ses partisans choqués par les éléments de langage gouvernementaux bannissant « islamistes » au profit de « terroristes ».

Heureusement, cette tendance à « l’union sacrée », exprimée par une Rachida Dati réclamant un soutien inconditionnel au chef des Armées dans ces fonctions, ne durera pas. La France en prendra pour au moins dix ans au Sahel, la lucidité obligera au débat que l’on espère le moins politicien possible. Quant un gouvernement, une présidence, engagent le pays pour au-delà de leurs mandats respectifs, la critique est non seulement normale, mais s’impose.

Un point d’achoppement, dans l’opinion comme dans la classe politique, sera l’attitude française à adopter face aux Touaregs et même à certains de leurs éléments du MLNA (laïque ou modéré quant à la religion musulmane), voire d’Ançar Dine (aux alliances peut-être réversibles avec Aqmi, le Mujao et d’autres).

Deux réalismes s’opposeront : le Sahel est intenable à moyen, voire long terme sauf à envisager une purification ethnique de type nord-américaine (s’arrêtant au « dernier des Mohicans ») ; la question amazigh dépasse de loin celle de l’Azawad (nord-Mali) et sera appréciée diversement par les pays concernés (Niger, Algérie, Libye, bientôt Tunisie, Mauritanien, &c.).

Une certaine mansuétude à l’égard des Touaregs en irritera plus d’un, y compris bien sûr au Mali où une partie non négligeable de l’opinion ne voit qu’Ançar Dine dans le MNLA et uniquement dans Ançar Dine les éléments ne méritant pas l’impunité.

Ceux « qui devront subir les représailles des populations arabes, touaregs, peulhs, songhaïs et autres Tamasheks » ne gobent pas la vision « angélique » et romantique d’une partie de la presse, des chancelleries et de l’opinion européennes : les « hommes bleus » ne sont pas si « glamour ». L’éditorialiste Aliou Badara Diarra de L’Enquêteur (malien) poursuit et résume : « l’obligation de garantir les droits et la protection des minorités [ne doit pas] compromettre ceux de la majorité ».

C’est le point d’achoppement de la cohésion du large, très large « bloc centriste » français qui approuve l’intervention, avec parfois des réserves tout à fait raisonnables, mais pourra aussi se déliter au risque de se fracturer en fonction des aléas de la guerre, des revers éventuels, des pertes militaires, des attitudes des pays du pourtour du Sahel, &c.

Dès à présent, tactiquement, le contingent tchadien ne suffira pas, en dépit de sa connaissance de ce type de terrain, à pouvoir rapidement laisser totalement la main aux forces africaines de la Misma. Faut-il aussi rappeler que l’hymen démocrate des dirigeants tchadiens ne tient qu’à des rafistolages ?

Reviendra aussi le temps des rodomontades à la Déroulède de divers BHL (Bernard-Henri Lévy se montre beaucoup plus circonspect que lors de l’intervention en Libye, le naturel reprendra le dessus). La prudence des « experts » (toujours intéressés par une mission quelconque, ou une exposition médiatique) s’effritera, c’est inéluctable. Mais la perception des options ne masquera pas l’essentiel : le consensus sur un engagement durable, d’une manière ou d’une autre, restera solide, même s’il s’effrite davantage en périphérie.

Quelle majorité malienne ?

N’étalons pas le frais savoir du stagiaire levant le nez de sa documentation mais résumons : il n’y a pas de majorité politique discernable au Mali. On vient d’y libérer des « bérets rouges » (parachutistes loyalistes – peu aimés au nord – qui avaient affronté les « verts » de la junte militaire ayant installé à la présidence Dioncounda Traoré et évincé le général Amadou Toumani Touré). C’est un signe.

Mais qu’écrit Aliou Badara Diarra, de L’Enquêteur ? « Le président Hollande a l’obligation morale de finir le boulot » et non de soulager « le malade pendant quelques heures pour l’empoisonner et le tuer après ». Il convient pour lui « d’assainir l’espace public malien ».

Au sud aussi, l’islam s’est durci. Soit pour contrebalancer l’influence de celui du nord, soit en connivence avec des prédicateurs étrangers (pakistanais, moyen-orientaux). La tentation d’amalgamer tout opposant à Dioncounda à des « djihadistes politiques » secondés par de « fidèles lieutenants » a peut-être gagné Sory Diarra, du Caïman de Indè, qui conclut son éditorial par un retentissant « que le bon dieu aide notre Mali ! » (expression tant musulmane que chrétienne au Mali). Il y a « parmi nous des fanatiques politiques », lui aurait confié un « haut cadre de l’État ».

N’entrons pas dans les « détails » (qui n’en sont pas) de la composition d’une opposition malienne, divisée, et qui ne se définit pas seulement en termes d’oppositions religieuses ou ethniques (même si ces éléments peuvent parfois transparaître) ou de divers « clientélismes ». Les opposants à l’état d’urgence, ces « djihadistes  maliens politiques du sud » que dénonce Sory Diarra, qui soutient « le chef de guerre » telle une Rachida Dati en France, sont multiples, même s’ils se taisent.

Un commentateur proche du capitaine Amadou Haya Sanogo rétorque : « Sarko a utilisé ses pions pour déstabiliser le Mali, Hollande est en train d’utiliser certains des mêmes pions pour corriger la grave faute de son prédécesseur, tant mieux ». Hélas, ou tant pis, faute d’espoir de mieux, en apprécieront d’autres.

Le sentiment anticolonial, toujours ressenti en Algérie, n’est pas, au Mali, qu’un prétexte. Ce que ressent Kamel Daoud, du Quotidien d’Oran, soit l’opposition au tranché « choix des autres qui font des choix à notre place : soit la France, soit Allah ouakbar et la décapitation » est reflété au Mali.

La question d’éventuelles concessions au MNLA divise, évidemment. Fousseyni Maiga, du Flambeau, l’exprime ainsi : « l’enjeu n’est pas de refuser la main tendue du MNLA, mais de reconnaître l’inopportunité de ce soutien et les énormes risques pouvant en découler ». Bref, que le MLNA se rallie sans que ses revendications soient considérées légitimes, et garde profil bas, avant de se faire oublier.

Allah est aussi, au Mali, du côté des musulmans spiritualistes ou islamiques (opposés aux islamistes radicaux, pour résumer), mais aussi des griots et prêcheurs qui s’enrichissent sur le dos des ouailles. Très critique à l’endroit du capitaine Sanogo, Bany Zan, du Caïman de Indè, conclut : « la société civile malienne est pour la même occasion interpellée, notamment les religieux, les maîtres de la parole, pour qu’ils s’investissent dès à présent dans l’apaisement du climat d’un lendemain de guerre perceptible dans notre pays. ». Ce n’est pas gagné d’avance.

Opérations à huis-clos

La « coopération » (au sens sénégalais de magouille) et les ONG caritatives corrompues, ainsi que la prévarication, des prédicateurs religieux, politiques et autres, sont aussi des problèmes maliens cruciaux.

La presse malienne et internationale est muselée au Mali pour ce qui se rapporte aux opérations militaires dont il n’est pas exclu qu’elles s’accompagnent d’exactions et de sanglantes « bavures ». L’armée française, ses appuis militaires européens, ainsi que les officiers africains, sont censés les contenir.  

Le risque est que cette situation soit mise à profit sur le plan intérieur, au sud. D’abord sous des prétextes divers, d’anciens dignitaires mis sous résidence par le capitaine Sanogo ont été libérés. La classe politique malienne se « coopte » au gré de retournements divers. Il n’y a pas que le nord qui soit incontrôlé, et un diplomate français, Laurent Bigot, considérait en juillet dernier que « les deux-tiers du territoire échappent à la souveraineté de l’État malien » (le nord en représentant plus d’un tiers en surface, mais géographie et démographie ne vont pas de pair pour estimer ce que contrôle le pouvoir central hors de la capitale).

À Bamako même, Peuls ou Maliens « au teint clair » sont nuitamment victimes d’exactions et de pillages. Militaires ou voyous déguisés ? « Arabes » et Tamacheks ne se prononcent pas mais redoutent les conséquences du couvre-feu. Des proches de l’ancien Premier ministre ont aussi été violentés par des militaires (lundi dernier, rapporte Zénith Balé, pour Modibo et Sosso Diara).

4 000 militaires français

Jean-Yves Le Drian a laissé entendre que le corps expéditionnaire mobilisera globalement jusqu’à 4 000 militaires, dont sans doute plus de la moitié au Mali même. Beaucoup de bouches à nourrir et des contrats de fournitures qui vont susciter des jalousies.

« Bloquer l’avancée des forces vers Bamako et protéger nos ressortissants, c’est déjà beaucoup, » a estimé Dominique de Villepin. Effectivement, mais sans doute pas assez. Beaucoup de Maliennes et Maliens espèrent davantage. Les risques de les décevoir sont-ils supérieurs ou inférieurs au raisonnable ? De plus, D. de Villepin n’est pas désormais qu’un dirigeant politique, mais un avocat d’affaires… soit le représentant de groupes d’intérêts divers. Ce n’est pas le disqualifier, il en est de même de la plupart des personnages politiques français, à des degrés divers. Ce qui ne met pas en cause leur patriotisme ou leur intégrité, leur souci de privilégier les intérêts nationaux supérieurs, mais ces derniers s’apprécient diversement.

La France n’aura pas la tâche facile au Mali et au Sahel. Seydou Keita, le capitaine de l’équipe de foot malienne, engagée dans la Coupe africaine et qui espère une victoire ne souhaite pas qu’en cas de succès, « les gens au sud fassent la fête tandis qu’au nord les autres sont sous le feu ».

Il ne serait pas non plus très décent, en France, de saluer des succès militaires et de s’en contenter sans la moindre pensée pour la suite. Soit des prolongements que l’ambassadeur au Mali, Christian Rouyer, s’est bien gardé d’évoquer en s’adressant au président malien et aux généraux de la Misma.

Réconciliation en chantant ?

Il n’y a pas que les Touaregs à circuler à peu près librement au Sahel et en Afrique. Du fait du désaveu des politiciens, la musique aussi (bannie au nord si elle n’est pas religieuse), et la parole des chanteurs.
Ainsi de celle du Sénégalais Didier Awadi qui déclare pour Afrik.com que « la crise malienne résulte donc des conséquences directe du conflit libyen. C’est pour cela que Sarkozy et Bernard-Henri Lévy, qui étaient en première ligne durant la guerre en Libye, doivent être jugés par la Cour Pénale internationale pour leur responsabilité dans la crise malienne. ».

Pour le moment, l’assentiment, l’adhésion même – au moins généralement l’acceptation, plus ou moins résignée à l’intervention française – à la France présumée unie sur la question,  sont intacts. La critique de la France, des États-Unis et du Royaume-Uni (Russie et Chine sont moins montrées du doigt) se fait moins virulente. Le drapeau français est partout ou presque à Bamako.
Tiken Jah Fakoly, autre « griot » (plutôt rasta), exprime dans Le Point que « en aidant les Maliens, la France s’aide aussi ». Fakoly s’était mis à dos une partie de l’opinion en condamnant le putsch de Sanogo. Il est absous. Ce panafricain, Ivoirien résident de longue date à Bamako, sillonne l’Afrique. Il est parfois indésirable au Sénégal, la France (pouvait-elle faire autrement ?) n’a que très peu bougé le doigt lorsqu’il a été menacé et que certains de ses proches furent assassinés par des partisans de Laurent Gbagbo. Il chante Mali Ko, au titre bambara, avec des chanteuses, dont Fatoumata Diawara, et chanteurs de diverses teintes et origines venus de tout le Mali.

Divisions au nord

Seul passage de Mali Ko prêtant à controverse : « ils veulent nous imposer la charia ».  « Leur charia » aurait peut-être été mieux venu… Ançar Dine (ou Eddine, à distinguer désormais du courant musulman Ansar Dine, présent à Bamako), à présent disqualifiée pour l’Algérie, pourra ou non se disloquer (ou l’être), et ce qu’il en restera mettre un bémol à son adhésion à la charia. Pour le moment, les Français sont à ses yeux soit des « croisés », soit des shayateen (anges du démon), au mieux des kaffirs (infidèles, ici).

Mais il faut se rendre compte que le nord du Mali est très diversement peuplé. «Tout enturbanné n’est pas touareg, tout blanc n’est pas touareg, même tout touareg n’est pas rebelle. Donc il faudra qu’on évite de tuer des innocents. Nous sommes condamnés à vivre ensemble. »,  indique le hadj Baba Haïdara à Afribone. Lequel hadj s’oppose farouchement au MLNA qui « ose venir dire qu’il va aider l’armée française sur notre territoire » et tient de doubles langages.  Il est évident que faire le tri ne sera pas aisé entre Touaregs loyalistes à l’égard du Mali, aspirant à une certaine autonomie refusée par leurs compatriotes nordistes, s’étant enrôlés du côté d’Ançar Dine par opportunité davantage que par conviction religieuse.

La France n’est pas seule.
Mais certains pays voisins participant aux opérations peuvent aussi nourrir des arrière-pensées. Il sera peut-être plus crucial de s’en préoccuper que de psalmodier au sujet de l’influence des intérêts économiques ou industriels français et de leurs visées sur le Mali ou la zone sahélienne. Il y a un temps pour tout.

Sans tomber dans un unanimisme béat, ni surtout vouloir imposer un « état d’urgence » médiatique à la malienne, il convient de distinguer les priorités.

Pour une fois que la majorité de l’opinion malienne est acquise (et c’est nouveau), que l’africaine depuis le Sénégal jusqu’au Tchad ne manifeste pas d’hostilité, l’essentiel est de ne s’aliéner aucune des populations régionales.

Pour finir sur une raffarinade, le chemin est devenu moins dur, mais la route reste sinueuse, et la pente restera forte aux abords des grottes de l’adrar (massif) des Ifoghas, autour de Kidal, refuges de combattants touaregs.