Deux informations – entre tant d’autres plus diffusées – ont retenu mon attention ce dimanche 31 octobre 2010. D’abord, sur Xinhua-Chine Nouvelle, le texte intégral du  Livre Blanc sur les droits de l’Homme en Chine en 2009. Ensuite, le trophée ONA (Online News Association) décerné, dans la catégorie « petits sites non-anglophones » au site français Owni (.fr). Traiter ces deux infos dans un seul long papier « anti-journalistique », même en s’affranchissant total des règles d’excellence préconisées par l’ONA, ne va pas être de la tarte. Comme le titre l’indique, ce sera barbant. Vous pouvez donc « zapper ».

Je ne vais pas écrire trop fort pour ne pas réveiller celui que je vois, assoupi près de son radiateur, (mon logiciel-espion me permet de capter tous les flux des caméras des ordinateurs de celles et ceux qui consultent cette page), via la fenêtre du bas à gauche de mon écran de contrôle. Au nombre des rares autres qui lisent encore ces lignes, celle qui tchatte en ligne tout en jetant ici un œil distrait de temps à autre est charitablement avertie que si l’on peut faire deux choses à la fois, ce qui suit impose de choisir.

 

Qui songe qu’écrire pour être lu impose de se conformer à des règles aussi efficaces que celles imposées aux auteur·e·s de la collection Harlequin n’a pas tout à fait tort. Le problème s’illustre bien par l’article de Marc Mentré, d’Owni (nouveau trophée ONA 2010) consacré aux méthodes d’écriture en ligne (« Écrire pour le Ouaibe : “c’est la structure, imbécile !” » ; beau calque de It’s the economy, stupid!, et approprié puisqu’il s’agit en fait de la rentabilité de l’écriture en ligne). D’abord il existe des méthodes concurrentes, ensuite, titrer, comme Xinhua « Les progrès de la cause des droits de l’Homme en Chine en 2009 » ne suffit pas à rendre plus digeste le texte intégral de ce Livre Blanc. Et pourtant, je l’ai lu (parfois, il est vrai, survolé), dans son intégralité.

 

Dans ce Livre Blanc, il est beaucoup plus question de « l’implication d’enfants dans les conflits armés » et de l’application de la Convention relative aux droits des personnes handicapées que des droits d’expression de la communauté lesbigay, d’exercer des travailleuses et travailleurs du sexe, et de sauvegarder des langues minoritaires parlées par à peine quelques dizaines de milliers de personnes. Toutefois, ce dernier aspect ne semble pas tout à fait négligé : « le pays compte plus de 10 000 écoles qui pratiquent un enseignement bilingue et utilisent 29 écritures appartenant à 21 ethnies ; plus de 6 millions d’élèves en bénéficient. ». Ce n’est pas très  « sexy » et aucun nom de pipeule, fusse-t-il celui d’un très récent prix Nobel de la Paix, n’est cité. Vus rapidement, les droits de l’Homme, en Chine, sont d’abord celui de manger à sa faim, de jouir d’un habitat décent, de trouver un emploi correspondant plus ou moins à son niveau de qualification, d’avoir accès à des services médicaux. Bref, ce que nous promettent les publicités des banques et des assurances de nos pays dits de l’Occident. Je n’ai jamais été maoïste, et, hélas, le gouvernement chinois n’a nullement manifesté l’intention de m’inviter à me rendre compte par moi-même, sur place, de son action, ni même de m’envoyer des paravents et des porcelaines (cela étant, je figure dans divers annuaires, mon adresse est aisée à trouver). N’empêche, cela rafraîchit de lire que le droit au travail, au logement, à un revenu décent, &c., est censé exister quelque part. Cela étant, les méthodes de mesure des progrès peuvent intriguer : « Le nombre de décès dus aux accidents du travail était de 0,248 personne pour 100 millions de yuans de PIB, soit une baisse de 16,7 % par rapport à l’année précédente. ». Je m’avoue incapable de concocter une belle présentation PowerPoint avec ce type de données, et trop obtus pour faire équivaloir moins de 10 % et plus de 50 % selon ce qu’indiquent les phrases précédentes : « En 2009, le nombre des accidents a baissé de 34 930, et celui des morts de 7 980 personnes au niveau national, soit une baisse respective de 8,4% et de 8,8% par rapport à l’année précédente. Le nombre des accidents très graves et celui des morts ont été réduits respectivement de 50% et de 56,1%. ».

 

L’ensemble donne l’impression d’être davantage destiné à être appris par cœur que soumis aux règles de présentation et d’ambiancement de l’info qu’est censé appliquer le site Owni, ce qui lui a valu la prestigieuse distinction des ses pairs supposés garants de l’excellence et de l’innovation. Mais on relève cependant quelques faits marquants et rendus saillants : le gouvernement chinois se félicite tant du niveau de syndicalisation (« Au cours des cinq dernières années, le nombre des syndiqués a augmenté de 15 millions par an (…)un record historique ») que de ses 220 millions de blogueurs. « Il est d’usage courant que les gouvernements des divers échelons consultent l’opinion publique à travers Internet avant la prise de décisions politiques importantes. » : c’est peut-être un frein pour l’implantation d’OpinionWay en Chine, mais on ne s’en offusquera pas. De même, alors qu’en France le Service de Prévention de la corruption ne saurait s’intéresser aux cas soumis par des particuliers, la Chine se serait dotée de « sites de dénonciations ». Vilain mot s’il en est, dénonciation, tout comme celui de détenu-tyran : « les parquets (…) ont démasqué 2 207 détenus “tyrans”, dont 123 ont été poursuivis en justice conformément à la loi. ».  Parfois, sans vouloir se livrer à des comparaisons hasardeuses, on en viendrait à se demander si la Chine, sur le papier au moins, n’est pas en passe de rattraper et dépasser la France sur certains points relatifs aux droits des humain·e·s et citoyen·ne·s. Le sport obligatoire n’a pas été promulgué, mais, selon un nouveau règlement national, « les citoyens ont le droit de participer, en vertu de la loi, au programme d’activités physiques pour tous. ». Le tout viserait à favoriser «la construction d’une société de moyenne aisance où règne l’harmonie ».

 

Je ne me prononcerai pas sur le fond, mais au moins sur la forme. Ce n’est pas forcément en plaçant des photos de salles de sport ou de rampes d’accès pour handicapés qu’on rend la lecture de ce Livre Blanc plus digeste. Rendre la lecture plus « moyennement aisée » n’est d’ailleurs pas la vocation première du journalisme, laquelle n’est pas tant d’informer selon des règles de lisibilité controversées que d’inciter à s’informer le mieux possible en fonction des contraintes économiques d’un marché, et à poursuivre des réflexions par soi-même. Il y aurait eu bien sûr moyen, pour Xinhua, de complémenter ce verbatim par des éclairages (notamment comparatifs avec d’autres zones ou pays), des schémas, tableaux, d’autres éléments, voire « artifices ». Mais certains textes se doivent encore d’être lus, pondérés. Et non pas traités à une sauce journalistique commode et se conformant aux usages admis généralement par telle ou telle profession, clique ou aréopage.

 

J’avais souligné dans un autre article, consacré à la présentation des dossiers de Mediapart (divers onglets, la fameuse « boîte noire », la mise en ligne de l’intégralité des documents ayant nourri le dossier, &c.), ce que l’écriture « ouaibe » pouvait apporter au journalisme tel que défini supra. Je vois que le primé Owni, pour la rédaction d’un remarquable article consacré par Sylvain Lapoix et Ophelia Noor à la réforme des retraites, reste bien en-deçà des agencements et dispositifs de Mediapart. Et de ses propres préconisations exposées ça et là. Mais ce « Les nouveaux fonds de pension – la face cachée de la réforme des retraites » apporte bien davantage à la compréhension et à l’incitation à s’informer par soi-même sur ce dossier que nombre d’articles consacrés, par exemple, au décomptage des manifestants. Je n’en déplore pas très fort la rupture du continuum de lecture par des photos aussi vides de sens qu’une prise de vue en plongée de la principale salle de la Chambre des députés ou une photo d’archives d’une diligence de la Wells Fargo (si c’en est bien une, l’absence de légende n’étant guère gênante) au temps du télégraphe. Je me fous pas mal de constater que le chapeau en est mal conçu (sa dernière phrase : « En un vote, la porte a été entrouverte aux banques, assurances et instituts de prévoyance pour se servir dans les 7,983 milliards d’euros de participation distribués en France, selon la Dares. », eut gagné à en être la première, mais peu importe). En revanche, les quelques encadrés rapportant des citations d’intervenants lors du débat escamoté par le Sénat et l’Assemblée ne sont pas superflus. En tout cas, devoir dérouler cette page ou cliquer pour passer à une page suivante m’importe vraiment très peu. Cet article (je sais, je sais, on peut discuter sans fin de la place des liens dans le flux du texte, de leur ouverture dans la même ou une autre fenêtre), encore mieux conçu ou bien plus mal agencé, peu importerait au fond, est l’un des trop rares sur le sujet disponible en ligne. En revanche, il mentionne un lien vers le très fallacieux site « marchand à faux nez » La Retraite en clair (avec ce très cocasse « évaluez le montant de votre future pension en quelques clics grâce à notre simulateur » qui ne dispense évidemment pas de passer trois à quatre semaines pour reconstituer une carrière à multitude d’employeurs, collaborations diverses et périodes récurrentes de chômage, d’exercice selon divers régimes spéciaux, &c., ce qui est le sort d’un nombre croissant de futurs retraités). Lequel est, lui, un modèle de fausse ergonomie primable par on ne sait quelle officine, association, groupement… Il est des liens dont on peut se dispenser, surtout si une illustration (présente) suffit, et la multiplication des liens n’est qu’un gadget pour faire « conforme » à un diktat d’idées trop vite reçues.

 

Allez, encore un effort, journalistes. Au lieu de nous farcir vos papiers de zigouigouis, visuels, en inversant ou aplatissant les pyramides de l’information hiérarchisée, comparez-nous plutôt, de manière détaillée, les systèmes de retraites chinois et français. Éclairez-nous sur la conception des droits de l’Homme en Chine et en France.

 

Bon, je constate que la seule lectrice restée en ligne s’est munie de lunettes de soleil alors que son adresse IP me signale que la pièce aux lumières tamisées qu’elle occupe se situe à Trifouillis-les-Oies, localité, la météo me l’indique en ce début novembre, plongée en plein brouillard. Moyen policé de s’assoupir. Vous êtes toute pardonnée. La prochaine fois, je vous ferai un papier d’info pratique sur le bon choix des cendriers : votre cigarette qui s’est consumée toute seule aux trois-quarts aurait fort bien pu enflammer ce sous-main en buvard. L’encoche doit pouvoir éteindre la cigarette (voyez les cendriers des grands hôtels). Une petite gif animée (une vidéo serait longuette) ne serait pas superflue. Pour cet article, une photo de sémillante petite Chinoise ou Ouïgoure en costume traditionnel, ou d’un contrat d’assurance Perco ou Perp (là, je n’écris plus pour vous, chère somnolente, mais pour Google et d’autres moteurs), serait inopportune. Mais j’y colle quand même un visuel : chassez le conditionnement, il revient au galop…