Fluctuation des prix et opinion publique

Il n'est pas nouveau que l'opinion publique ait une perception erronée de l'évolution des prix. Dans Le pouvoir et l’opinion, un "essai de psychologie politique et sociale" qu'Alfred Sauvy publia en 1949, il raconte une histoire portant sur la Grande Dépression. Selon les chiffres officiels, les prix avaient baissé d'un quart entre 1929 et 1934 (de 18,4% d'après les chiffres de l'insee). Pourtant : 

[…] en 1934, à la commisssion chargée de constater les variations du coût de la vie à Paris, les représentants des consommateurs […] contestaient, avec une bonne foi absolue, la baisse enregistrée par les indices. […] Ils disaient franchement, et, somme toute, avec raison, aux fonctionnaires de la commission : "Jamais vous ne ferez croire aux consommateurs que le coût de la vie a ainsi baissé et jamais nous ne pourrons le faire croire à ceux qui nous ont mandatés".

Une différence tout de même : à l'époque, le gouvernement n'avait pas jugé bon d'inventer des "cabas-types" ou autres gadgets pour satisfaire l'opinion…

Une vingtaine de pages plus loin, je trouve cette belle profession de foi méthodologique :

Le chiffre, innocent et pervers, ne doit pas être brutalisé. Soumis à la torture, il manifestera une large complaisance, pour se rétracter ensuite, car ces aveux arrachés sont dépourvus de valeur. Trop de manipulateurs pensent que le chiffre est un esclave et ne doit qu’obéir. C’est par eux qu’est utilisé le slogan si usé sur « la troisième force du mensonge », qui traduit alors une habitude propre et un aveu éventuel.

C’est avec douceur, avec patience, que les chiffres doivent être interrogés, sur leur état-civil d’abord, sur la façon dont ils ont été formés, recueillis ensuite. De cet interrogatoire sans rudesse, ne jaillit pas toute la vérité, peut-être, car il y a, ici aussi, les témoins à charge, les témoins à décharge et les faux témoins. Mais tout le possible aura été fait, le témoignage aura été celui de l’interrogé et non de l’interrogateur.

Ces principes élémentaires qui semblent admis aujourd’hui par la justice de nombreux pays, pour le traitement à infliger aux hommes, restent encore à défendre pour les chiffres, qui n’inspirent pas plus de sensibilité que n’en inspiraient les victimes de l’Inquisition.

Un passage à méditer pour les nouveaux Inquisiteurs du chiffre…