Fillon récuse le mot « cadeaux », et pourtant…

Le syndicat Force Ouvrière sonne l'alerte dans un communiqué publié hier : "Au chapitre des mesures d'économie figure la suppression d'un dispositif de préretraite, l'AER (allocation équivalent retraite).

Ce dispositif permettait, au travers d'un financement de l'Etat, à des salariés privés d'emploi disposant de 160 trimestres mais n'ayant pas atteint l'âge de 60 ans de bénéficier d'un revenu de substitution, les salariés concernés n'étant éligibles ni aux dispositifs carrières longues ni à l'allocation spécifique de solidarité".

FO "s'élève contre une mesure qui va renvoyer au RMI des salariés privés d'emploi dans un contexte général où les seniors constituent toujours la variable d'ajustement de la politique d'emploi des entreprises".

Et la confédération de poser la question qui fâche : "Dans le cadre de la Loi de finances 2008, le gouvernement chercherait-il à compenser les nombreux cadeaux fiscaux par de nouvelles restrictions touchant les plus défavorisés ?"

fillon_grimaceFrançois Fillon ne va pas être content, lui qui déclarait en juin dans Le Figaro : "Je récuse le mot cadeau. Est-ce un cadeau de permettre à quelqu’un de travailler plus pour gagner plus ? Est-ce un cadeau de l’aider à acquérir son logement ou à transmettre son patrimoine à ses enfants ?"

Mais le Premier ministre peut bien récuser tout ce qu'il veut. La défiscalisation des heures supplémentaires n'est-elle pas un cadeau aux salariés qui auront la possibilité de faire des heures supplémentaires, ce qui est très loin de concerner tout le monde, excluant de fait forcément tous ceux qui ont le plus besoin d'être aidés : précaires, chômeurs, RMIstes ? Cadeau aussi au patronat, qui va s'empresser de profiter de l'aubaine pour généraliser la technique qu'Agnès Maillard appelle, sur le blog Equilibre précaire, Le salarié au sifflet : proposer des contrats à temps très partiel, puisant dans les heures supplémentaires exonérées de charges quand le besoin s'en fera sentir. "Avec un CDI à temps très partiel, le salarié a absolument besoin de travailler plus, explique Agnès.

Pour travailler plus comme le dit si bien le petit Nicolas, c’est en fonction des besoins de l’entreprise, pas de ceux du salarié. Lequel est appelé quand il y a du travail, des périodes d’affluence, des absences. Donc il y va. Et plus il y va, plus il ferme sa gueule et plus il accepte tout et n’importe quoi, plus il aura d’heures de travail complémentaires, jusqu’à arriver à une trentaine d’heures. Donc pas assez pour le sortir de la pauvreté et de la précarité. Juste de quoi surnager encore un peu."

Sa démonstration prend appui sur l'exemple d'un salarié de Décathlon à qui est proposé un CDI de 15 h par semaine, qui lui garantit exactement 537 euros bruts par mois, soit à peine plus que le RMI mais avec des frais supplémentaires ("vêtements décents pour aller bosser, transports pour le trajet travail-domicile, garde des nains, restauration extérieure", énumère le billet d'Equilibre précaire). Pour le plus grand bénéfice de l'entreprise, à qui est fourni un formidable outil pour gérer sa main d'oeuvre en flux tendu, comme on le fait d'un stock de marchandises. Donc oui, bien sûr que les heures supplémentaires sont des cadeaux ! Poursuivons avec le deuxième exemple que cite Fillon pour récuser le terme.

chateauEn aidant des personnes à acquérir leur logement, pour reprendre les termes de l'imposteur, ce gouvernement a pris une mesure qui "va profiter à ceux qui ont la capacité d’emprunt la plus élevée, c’est-à-dire ceux qui achètent les biens les plus chers, aux revenus les plus hauts", résume l'Observatoire des inégalités. Sans compter qu'elle ne profite évidemment en rien aux ménages modestes, qui n'ont de toutes façons pas accès à l'emprunt et pour qui l'idée d'acheter un logement est une pure utopie. Cadeaux aux riches, donc. Ouvrons une brève parenthèse : à quoi bon rêver d'une "France de propriétaires", comme le dit Sarkozy, quand on nous serine qu'une des solutions pour combattre le chômage réside dans la mobilité géographique ?

Envisageons ensuite le dernier exemple cité par le Premier manipulateur ministre pour s'outrer de l'emploi du qualificatif de "cadeaux" : "transmettre son patrimoine à ses enfants". Là encore, il se fiche du monde ! Nouveau détour par le précieux Observatoire du inégalités, qui titre Baisse des droits de succession : quand le législateur aide les grandes fortunes. L'article prend des exemples précis, concernant des couples avec deux enfants : pour un patrimoine de 480 000 euros, aucun gain; pour 600 000 euros, gain de 9070; de 29870 pour 800 000 et de 72170 pour un patrimoine d'1,5 millions d'euros. Lumineux : plus on est riche, plus on y gagne. "Notre premier cas dont le patrimoine est quand même de 480 000 euros, fortune considérée déjà comme très importante en France puisque 90 % des ménages ont un patrimoine inférieur à 380 000 euros selon l’Insee (voir notre article) , est déjà non imposable aujourd’hui", précise l'Observatoire. Et il ajoute que le nouveau régime des donations n'est pas pris en compte dans ses exemples, qui "permet à jackpotchaque parent de donner 150 000 euros à chacun de ses enfants, tous les 6 ans, en franchise d’impôt. Un couple avec 2 enfants peut donc leur céder désormais 600 000 euros (300 000 par parent).

Cette mesure programme la fin progressive des droits de succession, sauf pour les immenses fortunes. En 24 ans (par le biais de 5 donations successives), un couple peut donner à ses 2 enfants 3 millions d’euros sans payer d’impôt." C'est pas des cadeaux, ça, Fillon ? "Ces réductions d’impôt permettront aux héritiers aisés de recevoir des successions encore plus élevées, leur assurant et leur permettant de transmettre à leur tour une situation privilégiée. Cette politique s’inscrit en totale contradiction avec la doctrine libérale (lire l’article) et le discours sur la valorisation du travail", pointe l'article, qui part du chiffrage – sous-évalué d'après lui – de la ministre de l'Economie Christine Lagarde à 2,2 milliards d'euros pour sortir la calculette : "3,7 fois le budget des zones d’éducation prioritaires, un quart de l’ensemble du budget de l’enseignement supérieur (université, IUT, grandes écoles, etc.), de quoi construire 18 000 logements sociaux."

panneau_antisocialNotons enfin que ce Tartuffe de Fillon s'est bien gardé d'inclure dans sa vertueuse indignation le bouclier fiscal. Les premiers chiffres sont tombés : "Quelque 2 398 personnes se sont partagées 121 millions d'euros au 31 août au titre du bouclier fiscal", annonce la commission des finances de l'Assemblée nationale. Ce qui donne 50 503 euros par personne. Avec ce dispositif, là encore, plus on est riche et plus l'on gagne : "Le boucler fiscal va surtout favoriser les très haut revenus, établit l'Observatoire des inégalités, se basant sur les estimations de l'Assemblée nationale. Un petit nombre de contribuable va recevoir des montants considérables. 18 000 foyers au revenu annuel supérieur à 41 000 euros vont toucher 31 200 euros de ristourne en moyenne par foyer. Pour eux seuls, le coût pour la collectivité est de 564 millions d’euros au total.

Pour les plus gros patrimoines, c’est une vraie aubaine. Ainsi, 1 080 foyers au patrimoine supérieur à 15,5 millions d’euros toucheront plus de 270 000 euros. La collectivité va dépenser 272 millions d’euros pour eux". Laissons conclure Vincent Drezet, Secrétaire national du Syndicat national unifié des impôts : "Le bouclier, c'est juste un moyen d'augmenter sans effort et sans mérite la fortune de ceux qui sont déjà les plus riches".

Fillon peut bien tortiller du postérieur et affirmer tout ce qu'il veut, la politique sarkoziste est objectivement antisociale.