Pardon, Mesdames, j’avais failli titrer « l’entretien putassier ». Réflexe irraisonné. Un quart d’heure d’antenne pour Hitler, un quart d’heure pour les déportés, ironisait Woody Allen. Là, on attend le quart d’heure nécessaire du Conseil provisoire des opposants libyens. Lequel, si on devait faire un décompte des temps de parole, dépasserait largement l’heure. L’entretien de Delphine Minoui avec Kadhafi obéit à des règles qu’elle n’a pas édictées. Mais il suscite un malaise.

Après l’entretien au Journal du dimanche, voici l’entretien de Delphine Minoui avec Mouammar Kadhafi. Bravo, Chère Consœur, votre entretien fera autant date que celui de Patrick Poivre d’Arvor avec Fidel Castro. Pas vraiment pour les mêmes raisons. Nous voulons bien croire que vous avez pu vous entretenir avec le Guide de la Révolution verte. Comment ? Par quel truchement ? Nous l’ignorons encore. Mais ce n’est pas l’essentiel. Bravo, vos questions sont ciselées. « Êtes-vous prêt à reprendre le contrôle de tout le pays à n’importe quel prix humain ? » ; « pensez-vous éviter un bain de sang ? » ; « la révolte est pourtant née de manifestations pacifiques… » ; « pourriez-vous envisager de vous retirer, vous aussi ? ». C’est « courageux ». Sans complaisance apparente. Rien à redire. Sauf que… Kadhafi n’est pas Kim Il Sung. Que risquiez-vous vraiment à, faute d’y parvenir face à une bête politique et médiatique telle que Kadhafi, poser quelques « vraies » (ici, guillemets de distanciation, encore une nouvelle fois) questions ? Quitte à n’obtenir que des réponses convenues ou bottant en touche, par exemple sur les rapports de force sur le terrain… Mais non, vous laissez supposer pour acquis que la comedia e finita : le sort des populations et des membres du Comité ne dépendent plus que du bon vouloir du Guide. On ne vous demandait pas non plus de poser la question de but en blanc, « alors, combien pour la campagne de Nicolas Sarkozy ? ». Vous auriez pu approcher plus subtilement la question. Et puis, par exemple, reparler des Rafale. Mais je ne suis pas à Tripoli, juste « planqué » derrière mon écran, Chère Delphine Minoui. Croyez bien que j’en tiens compte, que j’ai bien consulté vos autres articles, comme « À Tripoli, la peur affleure malgré la mise en scène », pour ne citer que celui-là. Je n’ai pas été le premier, je ne serai pas le dernier, à jouer le « bon » (sans trop de complaisance éhontée) journaliste, puisque nos rôles sont parfois interchangeables.

N’empêche, comment croyez-vous qu’un tel entretien est perçu, reçu, alors que la presse vit une véritable crise de crédibilité ? Je laisse la question en suspens…

Ce qui m’interroge davantage, c’est comment on a laissé le clan Kadhafi monopoliser la parole. Les membres du Comité provisoire étaient inaccessibles ? Même un Bernard Henri-Lévy a pu se targuer de les avoir approchés. N’ont-ils rien à dire ? Ou serait-ce que leurs formulations sont moins « sexy » (propices à faire des titres, à être reprises ailleurs…) que celles, bien rôdées, de Khadafi père et fils ?

C’est flagrant : certains membres du Comité provisoire avaient une dimension internationale, certes peu conforme à la loi de l’offre et de la demande spectaculaire et marchande, mais ils avaient, ils ont à dire, à exposer, à expliciter, à faire comprendre.

 

Quels sont les ressorts médiatiques qui ont produit ce résultat, cet évident déséquilibre ?
La presse française (JDD, Figaro… et qui bientôt ?), tend le « micro » au clan Kadhafi. Et en face ?

Le lectorat ne s’interroge pas encore, ou plutôt, il ne le manifeste pas.

Allez, dispersez-vous, il n’y a plus rien à voir en Lybie, les jeux sont faits.
Nous retournons à la case départ, celle des entretiens avec Ben Ali et Moubarak.
Ah bon, vous avez une autre appréciation ? Cela peut se discuter. Ce n’est que mon impression. Outrancière. Oublions les mirages des révolutions de Jasmin ou les autres, il faut vendre des Rafale. « La rafale de feu et de fer continue… » écrivait Henri Barbusse. Elle reprend. Ce n’était qu’une accalmie.
 

Peut-être que Dassault ne sait que trop que les Tornado britanniques et les Mirage français, appuyés par des Rafale et d’autres appareils, ne sont pas en mesure de garantir que les forces de Kadhafi seraient stoppées. Pour la suite, hormis déléguer de nouveau Rama Yade auprès de Kadhafi, on ne voit pas trop ce dont la France disposera…