Non, je ne soupçonne pas le gouvernement de vouloir davantage « fliquer » les chômeurs en annonçant le recrutement de 2 000 demandeurs d’emploi (espérons qu’il s’agira de chômeuses et chômeurs, ce qui est quelque peu différent, mais mieux vaut un demandeur d’emploi qualifié pour le poste qu’un chômeur qui le serait moins). Mais espérons qu’il ne s’agira pas de FBI, au féminin, soit une « fausse bonne idée », sinon, pour qui attendrait trop de cette initiative, ce sera comme précédemment du « parle à ma main ».

Chômeur de très, très longue durée, avec de fortes intermittences passées, à présent en fin de droits et proche de la retraite, je ne postulerai pas l’un de 2 000 postes annoncés (on verra combien au juste seront effectivement recrutés). Notez que, fort d’une excellente expertise, j’aurais pu m’employer non pas à, mais auprès de l’ANPE, du Pôle Emploi. Je dispose encore de toutes les qualifications pour monter un machin de conseil en recrutement et insertion des demandeurs d’emploi (personnes pouvant être en poste ou indépendants en recherche d’une autre occupation) ou de réinsertion des chômeuses et chômeurs.
Il se trouve que j’ai un tout petit peu fait cela bénévolement et que je me refuse à vendre du vent, en tout cas principalement des illusions. Cela ne m’honore absolument pas ; au contraire, socialement, ce pourrait être valorisant, mais il se trouve que je ne suis guère porté à dorer l’échec du papier alu des espoirs d’un reclassement sans cesse différé.

Je ne constate qu’une seule réussite, très partiellement personnelle : une chômeuse obtenant enfin, au bout de très, très long mois et diverses tentatives, plus ou moins le poste qu’elle espérait (largement en-deçà de ses réelles capacités, aptitudes, formations supérieures diverses). Encore y a-t-elle mis largement du sien. Ce fut au terme d’un suivi diffus, de longue haleine.

De réelles formations

Mais « infliger » à d’autres ce que, pour ne pas perdre mes allocations en attendant de retrouver, par relations, un job quelconque, j’ai suivi, soit des stages un peu ou fortement bidon pour la plupart, non. Soyons lucides : pour beaucoup, c’est mieux que rien, et d’aucunes ou certains y trouvent plus ou moins leur compte, ou de quoi ne pas trop, provisoirement, désespérer. Les formations d’aide à la recherche de formations qui laissent à désirer ou ne peuvent être financées, à la recherche « proactive » d’emploi, c’est souvent du superficiel.
Dans certains cas, on remplit les sessions avec des gens qui n’en n’ont nullement besoin.

Je ne postulerai pas, surtout s’il s’agit de repasser le concours d’entrée à l’ANPE tel qu’il était. D’accord, je l’avais très mal préparé. Mais je me suis retrouvé fasse à quizz ne portant que sur des additions, soustractions, divisions et multiplications de fractions. Avec un 0,5 (coéf. 4) au Bac (petite mention obtenue nonobstant), une désertion de la licence de sociologie (intégrée par équivalence) en raison des maths (de mon incapacité crasse, plutôt), les fractions furent ma Bérézina.
Non, ce n’est pas du gâchis. Car à diplômes, expériences, &c., largement inférieures aux miennes, parmi les milliers de postulantes ou impétrants, devaient se trouver des personnes aptes à manipuler des fractions (et à obtenir les bonnes notes, comme moi, aux autres épreuves), tout à fait idoines pour la ou les fonctions. Dont une jeune consœur journaliste, du genre stagiaire confirmée, avec laquelle j’avais travaillé en tandem sur une mission de piges, et tant mieux pour elle. J’espère qu’elle n’a pas fini par désespérer, casée à l’ANPE, par la suite, mais je ne doutais pas de sa capacité à rebondir ailleurs.

Des offres mieux ciblées

En je ne sais combien d’années d’inscription ANPE ou P.-E., je ne me souviens pas d’avoir reçu plus de quatre propositions vaguement (litote) en rapport avec mon profil ou mes principaux profils (et aucune autre, alors que j’avais aussi signalé avoir été agent général d’assurances, transporteur, et maints autres petits boulots). L’une pour un poste de journaliste au diable vauvert, deux autres de traducteur : l’une exigeant la maîtrise d’une langue vernaculaire du Nigeria (alors que je ne traduis que de l’anglais vers le français) pour l’enseigner, l’autre d’interprète (du français vers l’espagnol, que je maîtrise peu, et l’interprétariat, c’est autre chose) pour une école de couture et stylisme (donc, un vocabulaire, une terminologie, vraiment spécialisées).

Cela étant, j’aurais pu avoir un Nigérian ou une interprète portée sur les chiffons (non, allez, rien de péjoratif, une copine experte en textiles auprès de Drouot emploie l’expression), dans mon relationnel. Ce n’est pas si idiot de ratisser large pour de tels postes. Simplement, le formulaire, tel que rédigé, vous fait au mieux vous esclaffer, au pire vous consterne.

Deux milliers d’emplois, ce n’est pas rien. L’idée est de faire en sorte qu’il y ait moins d’administratifs purs, davantage de personnes à recevoir et suivre des chômeurs (un conseiller pour 350 au lieu de 500). Déjà, lors d’une réinscription, je n’avais jamais été mieux reçu que  par une contractuelle en CDD qui, elle, n’avait pas passé le concours, mais comprenait mon cas pour avoir bourlingué, en France et à l’étranger, et avoir exercé divers emplois lointainement parallèles à mon parcours (surtout des prestations, disons, intellectuelles, sans rapport avec mes professions, mais portant à en saisir vaguement les arcanes).

Ce que j’espère, c’est que ces recrutements seront précédés d’une réelle écoute des demanderesses et chômeurs, d’une autre approche du travail de suivi à Pôle Emploi. Il servira peu de pourvoir des postes si c’est pour appliquer les directives antérieures, le mode de fonctionnement prévalant actuellement.

Rester lucides

Heureusement, le dispositif actuel est contourné : de leur propre initiative, des conseillers renoncent à harceler des personnes parfaitement aptes à se recaser, même si cela leur prendra beaucoup de temps, ne cherchent pas à éliminer pour faire du chiffre. On peut comprendre aussi que les cas « lourds » (personnes très faiblement formées, peu employables) soient privilégiés, surtout s’il s’agit de jeunes. Ou que les seniors soient fortement incités à s’auto-employer (en devenant prestataires indépendants). De ce point de vue, à présent, alors que les boîtes de portage salarial étaient autrefois très mal vues par l’ANPE, les choses ont évolué.

De toute façon, il n’y a plus assez d’emplois pérennes, de missions de longue durée, de donneurs d’ordres pour faire vivre décemment tous les auto-entrepreneurs, &c. Le patronat ne souhaite d’ailleurs pas du tout le plein emploi, sauf à l’allemande (avec des salaires de misère, de l’ordre de 400 euros du mois, une large flexibilité du réservoir des demandeurs). Il ne sert à rien de se boucher les yeux, d’y jeter de la poudre. 

C’est la donne primordiale, et je souhaite qu’elle soit explicitée à qui sera recruté. J’ajoute (je sais, c’est vachard) qu’il ne serait pas très bon de transformer tous ces postes en emplois pérennes : c’est comme pour les journalistes, plus ils sont éloignés du terrain, moins ils restent journalistes, or, le terrain du conseiller, c’est le chômage. Les syndicalistes vont peut-être hurler, mais faire retourner sur le marché nombre de conseillers, quitte à les réemployer par la suite, forts de leurs nouvelles expériences de la débrouille et du chômage, cela leur permettrait peut-être de valider les conseils qu’ils dispensent.

Suivre les chômeurs, certes. Suivre mieux les rares employeurs, leur envoyer des personnes vraiment aptes à répondre à leurs demandes, en raccourcissant le processus de sélection (jusqu’à trois entretiens espacés pour certains postes, pas forcément de cadres), s’impose aussi. D’ailleurs, il se trouve de nombreux ex-patrons (de TPE, PME) à recruter. Je sais, ils sont plus inemployables que d’autres, moins enclins à appliquer aveuglément des consignes parfois absurdes, trop à discuter, évaluer les procédures, et faire part de leurs remarques. Très, très gênant pour des cheffes de service, de petits cadres du Pôle Emploi, recrutés pour leurs connaissances des fractions (non, ce n’est pas du ressentiment : encore une fois, savoir manipuler des fractions n’est pas un critère disqualifiant).

Qui recruter, et pour quoi faire au juste ? La polyaptitude a ses limites : pouvoir un peu tout faire pas trop mal, c’est bien. Cela soulagera les titulaires. Est-ce que cela suffira à obtenir les bénéfices escomptés, soit de favoriser une réelle insertion, un réel retour à l’emploi des demandeurs ? C’est toute la réelle question.

Quelles directives ?

L’interrogative du titre, le conditionnel employé, ne sont pas que de pure forme : je veux croire que ces embauches puissent être efficaces. Si cela ne sert qu’à gonfler le nombre des encadrants (comme dans nos armées, regorgeant de généraux, de colonels sans commandement), l’avantage visible, immédiat, soit de dégonfler les statistiques de moins de deux milliers d’ex-chômeurs (car des demandeurs en poste peuvent être tentés par un emploi plus pérenne, qu’ils s’imaginent plus avantageux que le leur, actuel), est piètre.

D’autant que ces emplois priveront sans doute de missions ces multiples consultants censés seconder Pôle Emploi dans ses tâches. Les diverses officines vont-elles débaucher ?

Soyons aussi lucides : les NTIC, la robotisation, améliorant peut-être la compétitivité (pas sûr pour toutes les NTIC, d’ailleurs), sont plus destructrices que créatives d’emploi. Qui en profite le plus (pour résumer, le patronat), ne va pas forcément embaucher plus de personnel de maison, fréquenter davantage des restaurants où quatre loufiats tournent autour de la table, s’offrir des pilotes de jets ou d’hélicoptères, des marins, des chauffeurs en veux-tu, en voilà.
Les dépenses somptuaires du Roi Soleil à Versailles n’ont pas éradiqué les famines et comme le relevait Jean Teulé, dans les campagnes, on mangeait ses propres enfants. Ainsi en est-il de la théorie du trickle down (plus le sommet est arrosé de richesses, plus de gouttes parviennent au bas de l’échelle).

Des emplois « durables »

Le gouvernement fait certes « quelque chose » avec ces embauches au Pôle Emploi. Tout dépendra de l’emploi de ces emplois, fonction de l’adéquation du recrutement, aussi d’une croissance « maîtrisée » (celle du PIB, per se, peut davantage favoriser l’emploi hors d’Europe que le domestique).
Une courte vue consiste à répondre à la demande immédiate. Dans certains pays, dont encore actuellement la France, il était ou est constatée une forte demande dans le secteur de l’hôtellerie-restauration. Les postes ont été pourvus, pour la plupart mal rétribués, mais la fréquentation des hôtels et restaurants a fortement chuté dans nombre de pays du fait de l’appauvrissement général : seuls les plus aisés, ou qui a conservé des notes de frais suffisantes, peuvent s’offrir séjour et repas. Du coup, ont été orientés vers des postes devenus inutiles nombre de personnes se retrouvant sur le carreau à présent. Les statistiques ont fléchi, puis ont hélas repris leur courbe ascendante.

L’emploi durable ou pérenne n’est certes plus seulement celui qui attache un salarié ou un prestataire à une même entreprise. Du temps de l’essor de la  presse et de l’édition avides de main d’œuvre, la flexibilité était forte, même les moins bons finissaient par retrouver du travail. En revanche, déjà du temps de Zola, on avait commencé à former trop d’ingénieurs. Certains se retrouvaient sur le carreau, tentaient d’ouvrir des commerces, à s’employer « aux écritures », ou tentaient d’enseigner.
Tandis que du fait d’un faible numerus clausus, les médecins de campagne ne manquaient guère.

Au moins « humaniser »

Je ne reprocherai certes pas à ce gouvernement de ne pas trop savoir où il va, car presque tous ses prédécesseurs, après quelques succès ponctuels, ont échoué. Ceux qui avaient fait moins pire ont vu leurs successeurs se planter, lourdement. Soit que les dispositifs antérieurs aient été sabrés, soit qu’ils soient devenus inopérants.

Cela étant, si ces embauches n’avaient que pour effet d’humaniser un peu le traitement réservé aux chômeurs, ce ne serait pas plus mal. Mais les recevoir plus fréquemment d’un côté, tandis que de l’autre, les mêmes pièces, fournies en temps utile, sont redemandées une fois, deux fois, que les dossiers se perdent, que les décisions ne sont communiquées que si on les demande (j’ai au moins deux cas de ce genre, récurrents) après la remise en mains propres de la nième photocopie du même document assortie de la présentation de l’original, ce n’est pas qu’une dépense inutile de temps pour eux-mêmes.

Rappelons que lorsqu’un chômeur se suicide spectaculairement, qu’un ministre se déplace, et réconforte, ce sont d’autres dossiers qui restent en souffrance. On peut comprendre que le personnel soit choqué, mais pour réduire les cas, autant moins s’apitoyer sur soi-même.

L’autre volet, plus ou moins bien, ou parfois mal, expérimenté, a consister à encourager un semi-bénévolat, souvent associatif, d’accompagnement des chômeurs. Cela mériterait d’être étendu, même si cela, comme les pépinières d’entreprises, les ateliers offrant formation et matériels (machines, locaux…), concurrence d’autres entreprises, ou des officines (lesquelles risquent de débaucher). C’est moins générateur d’effets d’annonces nationaux (localement, c’est plus facile à mettre en valeur), cela peut comporter des effets pervers, mais ce qui est parfois fait (trop peu, trop mal, trop souvent, mais avec des réussites) pour des détenus libérables n’est que trop peu tenté pour les personnes au chômage.

À quand l’atelier Emmaüs des informaticiennes ou programmeurs laissés sur le carreau ? J’en connu, j’en connais encore (peu, ayant déserté le secteur). 

Toute chômeuse, tout chômeur n’est certes pas un délinquant en puissance, mais a de très fortes chances de (re)devenir un récidiviste du non-emploi. Ce qu’on met un peu trop facilement sur le dos de « la société » (qui fabriquerait de la délinquance) est certainement imputable au marché de l’emploi, qui le revendique haut et fort (il faut évoluer, se recycler, être toujours plus mobile et flexible). Il y a des régimes de semi-liberté, et d’autres, dans le cas du chômage, de semi-peine. Les uns, les premiers, plus ou moins aménagés, les autres, les seconds… à peine. La pénibilité est parfois plus forte que celle du travail.

C’est peut-être le fond du problème. Le chômage est aussi désociabilisant. Un chômage mieux vécu, enfin, moins mal, ne l’est pas forcément qu’à travers la recherche plus efficace mais toujours frénétique, de l’emploi. Souhaitons aussi que les nouvelles recrues du Pôle Emploi y soient mieux sensibilisées. Et soient portées à devenir aussi des animatrices et animateurs, et non uniquement des gardiens, des contrôleurs des chômeurs. Renforcer les effectifs est une chose, mieux appréhender la nature et la réelle ampleur du phénomène, une autre. Souhaitons que les deux aillent vraiment de paire.