« Family Business » : l’innovation et l’indépendance en guise de moteurs

Habituellement réduite à deux dimensions – celles de son financement et de son management -, l’innovation est un sujet d’étude renouvelé à l’aune d’une de ses caractéristiques encore largement mésestimée : elle serait stimulée par l’indépendance. C’est du moins ce que laissent supposer les analyses consacrées aux entreprises familiales.


Les entreprises familiales sont un sujet d’attention plus actuel qu’il n’y paraît. En effet, Ernst & Young publiait en janvier 2013 une étude suggérant que ces entreprises ont mieux résisté à la crise grâce à un sens aigu de la gestion des ressources humaines et, son corollaire, une capacité d’innovation supérieure. Il en ressortirait une meilleure capacité d’adaptation à l’environnement économique actuel. Explications.

 

Pourquoi les entreprises familiales sont prédisposées à l’innovation

 

Le 21e siècle actera t-il la fin des entreprises familiales ? C’est la question que pose Valérie Tandeau de Marsac, avocate d’affaires et professeur affiliée à l’EDHEC, qui constate que « selon une idée encore communément répandue en France, les entreprises familiales appartiendraient à un passé révolu ».Or, face au contexte d’extrême tension économique que traversent les économies occidentales, les entreprises familiales ont démontré « une meilleure résilience face à la crise et effectuent, en général et sur le long terme, de meilleures performances financières », relève-t-elle.

Parmi les explications avancées : le fait que les entreprises familiales privilégient une vision stratégique de long terme, par opposition aux grandes entreprises à actionnariat diffus, emprisonnées dans le carcan du court-termisme imposé par les marchés. Il est important de souligner, à cet égard, que les entreprises familiales sont généralement plus indépendantes financièrement. Ainsi, les bénéfices non-distribués aux actionnaires sont plus importants et renforcent sa capacité de financement de l’innovation sur fonds propres.

Elles sont ainsi plus de la moitié, précise l’étude E&Y, à déclarer vouloir lancer de nouveaux produits ou de nouveaux services. « La stratégie consiste à accepter qu’il y ait un temps de latence entre la production et l’explosion sur le marché, explique Philippe Vailhen, responsable du pôle Entreprises familiales chez E&Y. Il n’y a pas de dictature du court terme mais un rayonnement sur la durée. »

Autre point essentiel relevé par Valérie Tandeau de Marsac : leur sens des valeurs serait particulièrement aigu. Un postulat qu’il convient de mettre en perspective avec leur gestion des ressources humaines : en 2012, dans l’ouvrage « La Stratégie du Propriétaire », des chercheurs soulignaient l’importance d’une « adéquation entre le savoir-être du candidat et les valeurs de l’entreprise » lors des phases de recrutement.

La raison en est simple : elles ont pris conscience du fait que « l’emploi de cadres ne faisant pas partie du cercle familial est indispensable à leur réussite », précise confirme E&Y. Ainsi, elles permettent volontiers aux cadres non-familiaux de s’impliquer dans les processus de décision, se prémunissant au passage du risque de consanguinité du débat, synonyme d’appauvrissement des idées.

 

L’héritage industriel et technique, marchepied de l’innovation

 

Le groupe Bonduelle a patiemment cultivé son succès et a su adopter une position innovante face à la moue collective qu’inspire le légume dans un monde où la junk food séduit toujours plus. Ainsi dans les années 1990, Christophe Bonduelle, alors jeune manager et représentant de la sixième génération à la tête de l’entreprise, décide de « sortir le légume de la boîte » et de « le décliner sous toutes ses formes ». Sa pérennité, Bonduelle la justifie également grâce à ses sept valeurs (le souci de l’homme, la confiance, l’équité, l’intégrité, la simplicité, l’excellence et l’ouverture) qu’il érige en piliers d’une stratégie de long terme.

Autre héritier dans la course, Seb s’est distingué en recevant le Grand Prix de l’entreprise patrimoniale et familiale, remis par l’Association des Moyennes Entreprises Patrimoniales (ASMEP) saluant ainsi la capacité d’innovation dont a fait preuve Thierry De La Tour d’Artaise. Architecte de la transformation de Seb, il semble avoir trouvé la clef d’une conciliation parfois délicate entre tradition et modernité en proposant une offre plus adaptée au marché et en investissant dans le marketing et la R&D.

Parmi les emblèmes du capitalisme français qui ont su allier la valeur de la technologie à leur métier de tradition, on peut également citer Oberthur Fiduciaire. La famille Savare a ainsi permis à l’entreprise, qu’elle a rachetée en 1984 pour un franc symbolique, de devenir l’un des leaders de l’impression fiduciaire en se positionnant sur le créneau très exigeant de « l’artisanat high-tech ». Pour Thomas Savare, qui dirige actuellement Oberthur Fiduciaire, l’enjeu de l’innovation réside dans deux impératifs stratégiques majeurs : « conserver une longueur d’avance sur les concurrents mais également sur les contrefacteurs et les faux-monnayeurs », d’une part, mais aussi garantir une durée de vie maximale au billet de banque.

Chez ARaymond, une entreprise fondée en 1865 et historiquement spécialisée dans la fabrication d’éléments de fixation et de boutons de pression, on relève cette même envie de provoquer le changement technique plutôt que de l’accompagner. Ainsi, l’équipementier industriel a-t-il fait évoluer son cœur de métier – les solutions d’assemblage – pour devancer les besoins les plus pointus de filières industrielles telles que l’automobile, pour laquelle ARaymond conçoit et fabrique aujourd’hui des clips de fixation. Et dans laquelle, accessoirement, elle devenue l’un des leaders mondiaux. Signe qui ne trompe pas quant à l’ADN familial de l’entreprise : elle revendique l’innovation et l’indépendance comme « valeurs phare », tout comme une attention particulière aux conditions de travail de ses collaborateurs.

Tous ces exemples nous donnent à penser que l’entreprise familiale, à rebours de nombreuses idées reçues, n’est pas l’ancêtre du capitalisme mais bel et bien son avenir. Ancrées dans la continuité, elles disposent de qualités intrinsèques qui semblent constituer le terreau d’une formidable résilience, à commencer par une vision stratégique de long terme, source d’innovation. Car n’oublions pas que pour innover, il faut pouvoir se projeter sereinement dans l’avenir, ce qui induit une certaine forme d’indépendance. Anecdote emblématique : c’est Pierre Gattaz, à la tête de l’entreprise familiale Radiall fondée en 1952, qui a été élu par ses pairs dirigeants pour les représenter à la tête du MEDEF, en juin dernier. Faut-il y voir un indice de l’actualité du modèle de l’entreprise familiale ?