Comme je consulte la presse en anglais, notamment les quotidiens britanniques dits « de qualité », mon adresse IP est localisée lorsque je visite l’un de leurs sites. D’où l’affichage de publicités en français, et des fameux « Ads by Google » que je survole rarement.
Mais là, sur le site du très respecté The Independent (où j’ai effectué un stage au service Étranger et auquel j’ai consacré un mémoire de maîtrise), l’une de ces annonces m’a accroché l’œil. “French translators needed”.
Ah bon ? Allons voir…
Un travail à domicile, des horaires flexibles, « pas d’expérience requise ». Quoi ? La page d’accueil du site incite à s’inscrire illico : « limited positions, join today! » (postes disponibles en nombre limité). J’ai quand même eu la curiosité d’aller chercher d’autres pages. Il n’y en a en fait que deux, dont l’une vous promet monts et merveilles, à condition d’acquitter un droit d’entrée de 68 USD (34 seulement en utilisant le bon de réduction valable « pour cette seule journée »).
Quelles garanties ?
Au fait, en cas de mauvaise traduction impliquant des pertes pour le client (cas de la traduction de documents techniques ou contractuels induisant l’acheteur ou l’utilisateur en erreur), quelle assurance paye ? Celle du site ou votre assurance IARD (incendie, accident, risques divers dont la responsabilité civile) ou plutôt, une assurance ad hoc, qu’il vous faut trouver par vous-mêmes ?
Ce n’est pas par corporatisme que je m’insurge. J’ai été employé par des éditeurs et des cabinets de traduction, j’ai certes obtenu un DESS ILTS (traduction spécialisée et traitement automatique du langage, devenu depuis mastère), &c. Mais quoi ? Déjà, personne ne peut se targuer d’être parfaitement bilingue : le parfait bilingue ne l’est que dans son domaine d’expertise, généralement très restreint. On ne passe pas comme cela de la régulation financière à la pêche à la mouche, de la philatélie aux subtilités du jacquet (différent du backgammon), et j’en ai fait maintes fois l’expérience.
Certes la traduction de manuels d’utilisations, une fois bien rôdé à tel ou tel type d’appareils, soit après avoir été supervisé, cela s’acquiert. C’est la traduction technique. La traduction spécialisée, par exemple de la critique d’art, de livres d’architectes, de spécialistes et d’universitaires, c’est encore une autre paire de bretelles. L’adaptation de presse, surtout s’il faut veiller au « foisonnement » (le ratio de signes, le coefficient de contraction ou d’expansion d’une langue à l’autre, pour résumer), c’est tout autre chose. Quant à la traduction littéraire, elle exige une maîtrise parfaite de la langue cible, une réelle souplesse d’esprit, et cela s’apparente au rôle de l’acteur interprétant un classique au plus près des intentions d’un metteur en scène ayant rédigé lui-même la pièce.
Co-auteur
En édition française, le traducteur est considéré co-auteur de la traduction. Ce n’est pas tout à fait exagéré. Avec une traductrice chevronnée, j’ai passé une demi-journée sur trois paragraphes d’un auteur américain, pour accoucher d’un premier jet. Il fallait transposer toute une suite d’allitérations.
Mes débuts en « traduction », vers 1980, consistaient à trouver des équivalents ou à expliciter de l’argot anglophone (américain, britannique, australien, &c.) pour Harrap’s et son Slang & Colloquialisms. Puis j’ai traduit de l’universitaire et de la littérature, policière, noire et blanche. Un très célèbre auteur devenu un classique, aussi. Ensuite, ce fut de l’informatique, pour notamment, des jeux, des logiciels, de la presse technique. Enfin, de la presse généraliste (plutôt des grands reportages, ou des récits de voyage, des papiers sur des expositions, &c.).
Cela demande à la fois la méticulosité du correcteur (attention aux anachronismes, aux trop fortes approximations, aux translittérations fantaisistes, et une masse de détails), son expertise en recherches et documentation, et peut-être un peu de talent.
Un correcteur sérieux se refuse généralement à traduire vers d’autre langue que sa maternelle ou « de travail ». J’ai connu des cas de perte de la langue maternelle (pas chez des traducteurs ou interprètes, évidemment), et divers cas complexes, notamment celui d’une traductrice française, trop imprégnée par l’anglais (elle vit à Londres, ne parle plus pratiquement que l’anglais), qui ne traduit plus jamais vers le français. Ajoutons que seuls des traducteurs chevronnés peuvent vraiment se permettre de traduire en toute urgence des textes longs au vocabulaire spécialisé (parfois, ce sont aussi des interprètes de conférence, un tout autre métier, surtout en simultané). L’un des concours les plus difficiles qui soit, c’est celui du Bureau de la traduction des Communautés européennes…
De qui se moque-t-on ?
L’un des grands plaisirs des professionnels, c’est de consulter les « perles » des traducteurs improvisés ou peu compétents. Qui voyage fréquemment à l’étranger s’en délecte, mais l’une des plus fameuses bourdes récentes (Seconde Guerre mondiale), c’est celle qui a valu à un certain général Quartier général (general Staff) d’être doué d’ubiquité : il était étoilé dans toutes les armées en présence, ce fameux général Staff. De quoi dérouter un officier de liaison tentant de trouver le fameux galonné sous un bombardement. Parlant de généraux, parfois, en traduisant des textes, on se demande de quel Helmut von Moltke il est question (Honnes Ludwig ou Karl Bernhard, sachant que l’autre Helmut, James, était, lui, juriste, aspirant dans l’Abwehr, la sécurité militaire chargée du contre-espionnage).
Les bévues des manuels sont gratinées : « Enlevez tous disques de leurs promenades, et alors cliquez à côté de coup monté complet. ».
Je suis en revanche admiratif quand je consulte Chine Nouvelle (Xinhua) où je décèle de petites imperfections de style, rarement, très rarement, dans le fil du « service français », de véritables fautes, et pratiquement aucune erreur factuelle. Or, dans une agence de presse, on se « tire la bourre » avec la concurrence : il faut faire « fissa ».
Sky, my husband fut un livre très prisé des anglicistes, de même que les livres d’Adrienne (les dictionnaires de l’américain parlé), et je recommande vivement l’illustré Sky Mortimer (chez Words and Co, de John-Wolf Whistle, alias Jean-Loup Chifflet, ou Dictionnaire français-anglais des expressions courantes). I own it a proud candle! (sic).Car ce n’est pas un chat qu’on a dans la gorge, mais un « Français » (a frog), à l’autre bout du chunnel, sur l’Eurostar, dans le Paris-Londres. Bon, un Français, pas de quoi alarmer Brigitte Bardot, évidemment. Mais c’est bien d’un matou qu’il s’agit en français, et d’une coassante grenouille, en anglais.
L’erreur de traduction ne fouette pas de chat ? De clavardage (québécois pour un Web chat) ou de dialogue en ligne ? Allons donc ! No reason to get crazy? De quoi plutôt vous laisser vite « out for the count » (dans le cirage, et non sorti du manoir du comte pour son compte).
Je ne sais même pas si ce site promettant de l’argent facile contre des « traductions » fournit vraiment des clients. Bien sûr, there is no such word as “cannot” (impossible n’est pas français). Mais si je voyais une telle annonce sur un site français, je me sentirais en devoir d’alerter la Répression des fraudes. It smells foul, and needs a smack. À mon humble avis en tout cas. Pas de quoi être MDR (LOL) du tout, à mes yeux.
Le tarif réglé aux traducteurs par Babylon (société associée notamment à la maison Larousse, et d’autres, pour le traitement du langage naturel) est de 0,08 USD du mot. De=of=0,06 euro. Le service est facturé à environ 0,1 aux clients (56 euros pour 500 mots, tarif dégressif). Parfois, on traduit pied au plancher (enfin, à 60 mots/min au clavier), parfois c’est lent, très lent, fastidieux, prise de tête, éprouvant, épouvantable. Même, pour moi, après deux mastères d’anglais, une préparation au Capès (recalé à l’oral) et une pratique certaine. Tout dépend, et Systran, un logiciel, peut sans doute parfois aider (surtout si on l’enrichit de formules récurrentes) mais je l’ai délaissé depuis belle lurette.
La dernière : jouez contre l’euro
Ah, une petite dernière : en anglais comme en français, on évoque des boucles d’oreilles « créoles » (parfois avec, le plus souvent sans l’accent aigu en anglais).
Pas des slave earrings pour des boucles schiave (esclave, en italien).
Et un Business Development Manager n’est pas abrégé en BDM en allemand, car cela évoque la Bund Deustcher Mädel (organisation nazie pour jeunes filles). Too bad! (soit « hélas », et non pas « trop mauvais », « dégoûtant »).
Tiens, une autre : saviez-vous qu’initialement, Google avait traduit le Pays de Galles par « la petite Bretagne » (soit, pour Wales, l’irlandais An Bhreatain Bheag) ? Heureusement, la flotte galloise n’a pas eu à affronter la flotte anglaise sur la Dee. Mais si on avait fait le coup autrefois aux Malouins, Surcouf prenait la mer et chargeait ses canons.
Ah oui, au fait : sur le Guardian, « belle » annonce Google : l’euro va s’effondrer très vite, protégez votre argent… ce qui vous redirige vers un site vous promettant « des profits astronomiques ». Il faut bien sûr payer d’abord. Faites fortune en jouant contre l’euro pour seulement cinq dollars par mois. Vous pouvez y croire…
Merci de cet avertissement, face à un type de dérive qui se généralise au nom du seul profit aveugle et contre l’expertise.
Non seulement, il est difficile de gagner de l’argent sur internet, mais, en plus, si il faut payer d’abord pour espèrer en gagner après…
Pour l’avoir connu pendant presque 20 ans, on est bilingue en étant biculturel. Cela existe. J’en ai même connu beaucoup. Ecoutez par exemple Camille (Khagneuse) biculturelle allemande.
l’ancien ministre aux Affaires européennes de Tony Blair,
Denis MacShane déclare :
[b]«My message to Monsieur Noyer is ‘fermez la gueule!’»[/b]
le Noyer (noyé !!!) en question est président de la banque de France
Pas très fiable ce site..
Perso j’utilise http://www.mytranslation.com en tant que traducteur espagnol -> français et en tant que « client » pour des traductions français -> anglais , les traducteurs sont soumis à des tests spécifiques et en tant que client, on peut refuser la traduction réalisée si pas satisfait…Franchement, je trouve ce concept top, la rémunération est réelle, les documents cryptés, et pas de « droit d’entrée » comme pour le site de l’article..
Très bon article mais je pense qu’il y’a quiproquo!! il ne s’agit nullement de confronter des professionnels de la traduction avec les novices!!! c’est juste que de nos jours tout le monde peut faire la pub de n »importe quoi sur internet et sur n’importe quel site internet aussi réputé soit-il, à condition de mettre la main dans la poche!!!
Et la pub dont vous faite allusion dans votre article est un pure arnaque du genre (payer 40 euros pour télécharger le livre sur la méthode pour gagner des millions sur internet)
Vous n’allez rien gagner du tout!!! Vous n’aurez aucun texte à traduire!!!!
C’est de l’arnaque pure et simple et malheureusement certaines personnes tombent dans la combine!!!!!!!!!!!
Pour Jacques Monnet : oui, bien sûr, il y a des gens biculturels, dans certaines grandes entreprises ou institutions internationales, dans des régions généralement frontalières (ou pas : Brasov ou Sibiu sont encore un peu germanophones, quoique enclavées à présent). Certains spécialistes d’un domaine le sont, dans leur(s) domaine(s). Mais la ou le parfait bilingue, je doute un peu de son existence. Or, croyez-moi, des biculturels, j’en fréquente. Je suis d’ailleurs loin de maîtriser « tout » (voire tous les) le français.
Pour Intelo : effectivement, et c’est aussi pourquoi je mentionnais les directions de la concurrence de divers pays. Merci en tout cas de votre appréciation.