La société de recouvrement de créances Euler Hermes vient de communiquer de nouveau sur le niveau de défaillances (faillites, cessations d’activité) d’entreprises depuis le début de l’année. Selon le dernier bilan, début juillet, portant sur janvier à mai, il était constaté une proportion croissante des liquidations judiciaires ainsi que des procédures de sauvegardes. Ces dernières n’ont pas dû suffire puisque, cet été, les défaillances sur douze mois, déjà en hausse de 3,8 points au premier semestre 2013, ont encore progressé. En cause, le fléchissement des exportations et surtout de la consommation.

Déjà, en juillet, les économistes d’Euler Hermes, société spécialisée dans le cautionnement, l’assurance des créances et leur recouvrement, constataient que « la poussée des défaillances se diffuse à l’ensemble du tissu économique, avec un tempo très élevé pour les entreprises de grande taille ».
Par « grande taille », il faut entendre plutôt « à fort chiffre d’affaires ». Ce qui fait que de grosses PME (par ex., Spanghero, ou une grosse entreprise de menuiserie qui réembauche aussi depuis) figurent dans le « top 15 » des faillites d’Euler Hermes.

Mais en fait, ce sont surtout les PME, les TPE et des entreprises individuelles qui souffrent le plus. Sur les cinq premiers mois de l’année, la poussée des défaillances était nette sur onze régions françaises (et tout particulièrement Midi-Pyrénées, Haute-Normandie, Auvergne, Pays de la Loire), au sortir de l’été, il n’y a plus que Paca, Limousin et Basse-Normandie à se voir relativement épargnées.

Le bilan, d’une année sur l’autre, est de 174 000 emplois détruits, au moins temporairement. Le Figaro, qui reprend ce chiffre, omet certes de spécifier que des entreprises ayant déposé leur bilan peuvent être reprises avant liquidation totale et que même après liquidation, un ou des repreneurs peuvent réembaucher tout ou partie significative du personnel. Mais ne reprochons pas cette approximation à Eulr Hermes ou à notre consœur M.-C. Renault, du Fig’. Hôtellerie-restauration, services aux entreprises, commerce automobile et de détail, services aux particuliers sont les secteurs les plus lourdement touchés.
En fait, s’il y a bien des reprises de personnel, le nombre d’emplois affectés doit être supérieur. Car ces secteurs peuvent avoir recours à l’économie grise (travail au noir), à des extras et des travailleurs très temporaires, à des autoentrepreneuses et des indépendants qui, sans totalement cesser leurs activités, végètent, ou se maintiennent à peine la tête hors de l’eau.

Ludovic Subran, chef économiste d’Euler Hermes, faute de meilleur critère, raisonne encore en terme de croissance ou repli du PIB, un facteur devenu bien insuffisant pour rendre compte de la réalité.
Pour lui, les prévisions 2014 permettent d’envisager un tassement du rythme des faillites et cessations d’activités, mais avec au mieux 0,8 % de croissance du PIB, inutile de s’attendre à un net reflux.
C’est tout à fait réaliste.
Cela étant, on aura compris que tout l’intérêt de la démonstration, pour Le Figaro en tout cas, c’est de mettre chômage et faillites prévues en 2014 sur le dos de la nouvelle taxe portant sur l’excédent brut d’exploitation (EBE) qui vise les entreprises réalisant 50 millions d’euros et plus de chiffre d’affaires.

Cette taxe ne touchera qu’un peu moins de 200 entreprises, mais elle entraînera la catastrophe finale, plongera la France dans le précipice, creusera encore le fond du gouffre, et réalisera la prédiction de la pythonesse Valérie Pécresse qui estimait que trois mois de présidence de François Hollande ramènerait la France en-dessous du niveau de la Grèce (je n’invente rien, vérifiez par vous-mêmes). Filiale d’Allianz (coté AA- par Standard & Poor’s), Euler Hermes donne de la voix avec ses principaux clients.

Euler Hermes diffuse aussi un communiqué titré « La France en sous-régime avec une croissance de 0,6 % en 2014 ». Lequel fait état d’une « timide accélération de la consommation des ménages à +0,4 % (sic) » (je ne vois pas pourquoi une accélération serait négative, donc ce signe + est superflu). Le repli des défaillances serait « de -1&nbsp% (re-sic) en 2014 ». 
Si on ne faisait plus confiance qu’aux entreprises dont les communicants savent écrire en français, Valeurs actuelles serait liquidée, la crise serait générale, Valérie Pécresse triompherait. Mais ce n’est là qu’un aparté.

« L’indice de confiance des ménages repart à la hausse », avance Ludovic Subran, mais patatras, « le choc de la fiscalité en continu » et l’augmentation du taux d’épargne vont faire déchanter.

Et puis, surtout, les ETI (ent. de taille intermédiaire) industrielles, sous-traitantes des grandes et très grandes entreprises, vont automatiquement morfler du fait de la taxe touchant un peu moins de 200 de leurs donneurs d’ordre. Ce sera automatique, juré, craché : « leur disposition à investir et leur accès au financement dépendent certes de la demande, mais aussi en grande partie de la fiscalité ».

Le problème est bien plus grave. Il n’y aura pas de reprise forte de la consommation, ni de retour durable à l’emploi car, de toute façon, on ne peut indéfiniment remplacer des humains par des robots, informatiser à tout va, remplacer le contrôleur des Lilas par des caméras louées à la RATP, &c., &c. Le mythe du transfert de l’emploi vers les services a vécu.

Un journaliste, par rapport aux années 1930, fait à présent le travail d’environ dix personnes. Les plus proches du haut patronat sont certes très correctement rétribués, mais c’est aux dépens des subalternes qui, depuis belle lurette, au Figaro comme ailleurs, n’ont plus à leur disposition un chauffeur. Donc, ils consomment moins.

Même celles qui passent à l’antenne demandent à présent à une copine ou un conjoint de leur « faire la couleur » (ou un traitement de racines) : fort manque à gagner pour les coiffeurs. Dans mon cas, après des passages espacés chez mon « diminutifs » à 5 euros la tonte (passage du Prado, à Paris), j’ai investi dans une tondeuse.

Je ne suis pas un failli, puisque la reprise de mon entreprise qui employait trois personnes à plein temps, une autre à quart temps (et encore, dix mois sur douze), et divers pigistes, s’est faite avant d’avoir à se signaler au tribunal de commerce, mais le résultat est que le repreneur a chargé la mule de son personnel préexistant.
C’est tout à fait normal, le produit, qui fut précurseur en Europe, ne trouvait plus son marché, évadé vers l’Internet, souffrant lui aussi de la crise, réduisant donc ses dépenses, d’abonnements ou d’achats en kiosques.

Pour mon compte, il m’arrive même de sauter des parutions du Canard enchaîné, c’est dire. Il me faut prendre un métro, un train ou un avion pour consommer de la presse, devenue, hors rarissime exception, trop onéreuse. Hôtellerie ? Je ne peux plus descendre en gamme, ce sera donc le couch surfing. Transports ? Trop vieux pour me remettre à un auto-stop rendu ardu par l’allongement de l’emprise des banlieues et des autoroutes, je vais opter pour le covoiturage.

Comme beaucoup, je songe à résider à l’étranger au cours de ma retraite. Que les compagnies à bas coût ne se réjouissent pas, je ferai rarement la navette… Pas question de résider dans un township parisien (il en est), de banlieue ou de province, et marre de la fade et tristounette rurbanité.

Le PIB remontera : pour faire des riches, il faut des pauvres, et des pauvres qui consomment. Mais il faudra changer de braquet, soit favoriser une immigration massive, soit réellement développer les emplois à mi-temps, et pas que ceux à quelques heures par jour.
Il serait d’ailleurs judicieux d’envisager l’interdiction de l’emploi à temps complet et la lourde taxation d’un second emploi à mi-temps.
J’en connais les effets pervers : le développement du travail au noir, de multiples arrangements pour échapper à l’imposition, sport national.

Mais il faut aussi envisager une décroissance durable, d’autres modes de consommation.
Que l’on engraisse à les bouffir de grand·e·s patron·ne·s, des cadres très supérieurs de direction, de haut·e·s fonctionnaires et des élu·e·s ne suffira pas.
De toute manière, même si le taux d’imposition était fort faible, il serait toujours trop élevé pour elles et eux, qui trouveront toujours le moyen de s’exonérer de l’effort réservé à plus commun que soi.
On le constate tout autant dans nombre de pays où le niveau de prélèvements est faible.

Il faut des pauvres pour faire des riches, et non pas, comme on ne le rabâche avec le trickle down, des riches pour faire de moins pauvres. Pourquoi le plus bas salaire chez Lidl Suisse peut-il être porté à l’équivalent de 3 000 euros ? Parce que des gens qui, même en Suisse, auraient consommé autrefois chez des équivalents de Monoprix ou du « Bon » Marché, vont, comme au Royaume-Uni chez Aldi et non plus dans un Harrod’s-like, consomment à présent chez Lidl.

Les bénéfices avant taxation (fortement évitée) d’Aldi UK ont grimpé de 124 % en 2012. Grâce notamment à l’élargissement de la gamme des produits destinés à une clientèle moyennement aisée, les Specially Selected Products, dont les ventes ont crû de 40 %.

Cela va faire de plus pauvres chez les Selfridges-like. Mark & Spencer est souffreteux. On fera peut-être, au centre commercial Beaugrenelle, où M&S tiendra bientôt enseigne, comme naguère chez Surcouf : on va voir tranquillement, on relève les prix, puis on va acheter « chez les Chinois » de la rue Montgallet. Là, ce sera sans doute des modèles approchant, en ligne…

La classe moyenne inférieure se rétrécit, elle achète futé ou n’achète plus, carrément. Les CSP- et « moins-moins » envahissent les Champs-Élysées mais n’achètent vraiment que chez McDo ou H&M et font fuir la clientèle intéressante.

C’est simple : il est beaucoup plus facile de taxer les pauvres que les riches, les particuliers qui n’ont pas d’expert-comptable et d’avocat fiscaliste que les entreprises. Il est aussi beaucoup plus facile de gruger les pauvres que les riches (voyez, avec votre amie employée de banque, ce qu’on propose aux plus riches et ce qu’on inflige aux plus pauvres). Oui, mais… Vient un moment où les pauvres, faute de se rebiffer, consomment vraiment moins, et cherchent vraiment le moins cher du moins cher…

Du coup, pas mal d’entreprises déposent le bilan, risquent la faillite frauduleuse (pas pour escroquer pour le plaisir, mais pour tenter de sauver les meubles), &c. Même si le PIB se redresse, cela, hélas, ne changera pas de sitôt. Il faudra s’y faire.

Un pastiche d’une de couv’ de Courrier International porte ce titre : « Pourquoi les morts ne travaillent pas » (sans point d’interrogation, car « on » va vous donner la réponse). On a aussi la réponse au questionnement sur la consommation des pauvres. Lesquels ne peuvent pas tous chaparder, voler et finir en prison aux frais des contribuables. En Bolnavie (voir le jeu de CI sur son site, et ici, notre montage Come4News), comme en France…

En fait, une nécessaire, indispensable, inéluctable décroissance doit être envisagée et surtout préparée, aménagée, conçue pour pouvoir être pilotée. L’antienne, très ancienne, des milieux d’affaires reste encore et toujours, laissez-nous nous enrichir davantage, cela profitera à toutes et tous. On a vu, on voit, mais on n’y croit déjà plus, du tout.
Le coup de « quand l’investissement va, tout va… », c’est du racorni, du mal réchauffé. Ludovic Subra et Nicolas Delzant nous le rejouent en ajoutant « et quand il ne va pas ? ». Eh bien, mieux vaut qu’il n’aille pas, un temps, pas du tout, que d’aller n’importe où, chez des intermédiaires inutiles, vers Madame Figaro, on ne sait trop où se gonfle une poche superflue et au final néfaste.

Oui, la consommation privée est toujours menacée. Il devient urgent de la recentrer sur de l’utile et du porteur d’avenir. Cela ne reste pas qu’un choix individuel, des incitations sont possibles, une redéfinition de l’aide à la presse est souhaitable, par exemple. 

Pour les défaillances d’entreprises, en fait, celles développant (données provisoires fin septembre 2013) de cinq à 15 millions d’euros sont beaucoup moins touchées que celles des créneaux inférieurs. Les pointes se situent pour les tranches de 250 K€ à un million d’euros ou de deux millions à cinq millions d’euros. Mais en fait, ce sont surtout, année après années, les petites PME et les TPE qui souffrent autant. Les entreprises à très faible chiffre d’affaires ont déjà été balayées les années précédentes.

Euler Hermes, qui vend du financement et ne s’intéresse guère aux TPE et entreprises individuelles – ou employant très peu de personnes – met en avant ce qui lui convient pour attirer des prospects. Mais l’indispensable décroissance suppose aussi d’autres modes d’organisations des entreprises, d’autres types de financement, davantage de participation des employés, salariés, sous-traitants (donc moins de recours à la finance traditionnelle).

Les exposés et présentations de conférence de presse d’Euler Hermes France sont disponibles, en libre, dans l’espace presse du site eulerhermes.fr. Pour les détails non rapportés par les tris des médias, s’y reporter.

Cette entreprise financière met l’accent là où cela lui permet de vanter ses couvertures Excess of Loss (XoL) vouées aux impayés et à faciliter l’obtention de crédits bancaires pour les entreprises les moins exposées (celles « dont la trésorerie peut faire face à un montant cumulé et raisonnable d’impayés clients »).

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que de telles entreprises fonctionnent aussi comme des agences de notation qui analysent la solidité d’autres firmes, industries, commerces, services, et conseillent leurs clientèles dans leurs politiques d’achats ou de ventes. Une entreprise en difficultés diverses les verra s’accroître car il sera conseillé de ne plus lui acheter (pour éviter de ne pas être livré) ou de ne plus la fournir.

Si l’entreprise en difficulté ne revêt pas une valeur symbolique (cas des banques trop grosses pour chuter, cas d’Heuliez en Poitou-Charentes), qui vaudra au contribuable d’être mis à contribution (donc appauvri), elle chutera d’autant plus vite.

Certaines entreprises financières ont des activités confinant à l’espionnage : être client permet soit de mieux viser les concurrents à mettre en difficulté, racheter à bas prix ou éliminer, soit expose à devenir la proie d’un autre client fort bien renseigné sur votre situation et votre « profil de risque ».

C’est ainsi que fonctionne – réellement, et non sur le papier qui ne garantit de fait, rien – le monde des affaires. La seule issue consiste, pour qui le peut encore, de se soustraire à son emprise. Voire de sortir des statistiques.

À propos, c’est fort bien d’être assuré contre les impayés, mais le coût des primes est répercuté sur les tarifs : peut-être conviendrait-il plutôt d’être encore plus concurrentiel…

Tout, dans la présentation des chiffres et données économiques, est orienté pour favoriser les plus grands groupes. Voyez par exemple Monoprix dont la méchante-méchante CGT impose la fermeture des magasins à 21 heures (au lieu de 22 précédemment). La direction préciser que cela va menacer « l’emploi de 1 500 salariés ». Fort bien, et préserver combien d’emplois dans d’autres commerces, plus petits, pesant peu ?
Voyez Sephora, qui veu-t aussi ouvrir jusqu’à minuit. Aux dépens de qui ? Au siècle dernier, de petites parfumeries subsistaient. Elles sont toutes à présent disparues ou remplacées par des franchisés d’enseignes nationales ou internationales.
On vous dit tout et son contraire : Françaises et Français sont des feignants crasseux. Mais quand il s’agit des Parisiennes et Parisiens, elles et ils « sont rarement sortis des bureaux avant 20 heures » (Le Figaro). C’est assez vrai, et pour mon compte, c’était parfois après minuit. Mais je trouvais encore des petits restaus à prix vraiment encore abordables. C’est fini. Soit ils ont disparu, soit ils ont remonté leurs prix et vivotent.

Un jour, Le Figaro fout la honte aux Françaises et Français censés ne travailler que 35 heures (en fait, payés 35 heures, effectuant pour beaucoup des heures sup’ non payées, non récupérées, après des heures passées dans les transports), l’autre, pour soutenir des annonceurs soucieux d’ouvrir tard leurs magasins, elles et ils travaillent trop, jusqu’à point d’heure…

Naguère, en Alsace, seuls les magasins tenus par des israélites étaient ouverts le dimanche (et encore… pas tous, fort loin de là). L’Alsace ne s’en portait guère plus mal. Le Figaro vantait même la vitalité de l’économie alsacienne.

C’est un peu comme la semaine scolaire à quatre jours et demi. C’est fort bien quand ce sont les écoles dites libres (catholiques en large majorité) qui l’appliquent volontairement. C’est la catastrophe totale lorsqu’il s’agit de l’enseignement public. Pourtant, cela favorise des emplois d’animatrices, d’intervenants, et implique donc de la consommation. Cherchez l’erreur… Mais on comprend très bien que les enseignants devant assumer des frais de transports supplémentaires les mercredis soient mécontents.

C’est ainsi. On ne peut en vouloir à Ludovic Subran, sympathique jeune homme issu des ministères, d’organismes financiers internationaux, peut-être destiné à les réintégrer, de répandre la vulgate qui favorise les affaires de son employeur. Mais il serait bon de lire, y compris dans Le Figaro (pour Valeurs actuelles, qu’on n’y songe plus, voir leur dossier fallacieux sur les naturalisations, et notre article sur Come4News), d’autres économistes, d’autres points de vue. Après tout, les aides à la presse sont censées fournir les moyens de mieux éclairer le lectorat…