« Au royaume des aveugles, le borgne va à l’asile »

Du Vème siècle avant Jésus-Christ au 18èmesiècle :

            Déjà au Vème siècle avant JC, Platon tenta de prouver l’existence d’une réalité extérieure par le « Mythe de la Caverne ».

« Que pensent ces habitants de la caverne de Platon qui ne connaissaient rien du monde visible, et ne voient que les ombres portées sur les murs de pierre ? » (L’intégration sociale des personnes handicapées par maladies mentales, in Réadaptation, n°409)

Son mythe présente des hommes ne pouvant contempler que l’ombre des choses, mettant en scène l’opposition entre l’univers des illusions et celui des idées (de la lumière), que seuls les philosophes et les sages regardent en face. Platon veut repenser les relations que la cité entretient avec ses traditions. Mais il prouva qu’une telle tentative revenait à se heurter à l’incrédulité, jusqu’au risque d’être tué.

« Le mythe, étranger parce qu’étrange, reste la marque même de l’ailleurs. » (Encyclopédie Hachette Multimédia)

Environ 1000 ans plus tard, les comportements aberrants étaient considérés comme des pactes volontaires ou pas avec le diable, l’emprise d’instants bestiaux et sauvages.

Au moyen Age, la folie a une signification religieuse et magique. On y réagit par des  cérémonials religieux et démoniaques. Souvent le fou est chassé de la ville et voué à mener une existence d’errance.

A la Renaissance, le fou est considéré comme détenteur d’un savoir particulier, d’une vérité. Il est libre et intégré dans la société. On retrouve cette conception aujourd’hui dans certains villages : « le fou du village ».

Pourtant c’est à cette époque, puis au 17ème siècle que les premières maisons d’internement s’ouvrent dans les locaux d’anciennes léproseries. Que s’y passe-t-il ?Assistance, répression, châtiments corporels, travaux forcés semblent se mêler dans cet univers clos.

 

Le 18ème siècle :

 Au début du 18ème siècle commence l’enfermement. C’est le passage de la foi, où le fou est considéré comme hérétique, à la raison où il dérange l’ordre moral. A cette époque, la valeur du travail devient centrale et donc toutes les personnes inaptes dérangent cette valeur morale. Le péché par excellence est l’oisiveté. Les malades mentaux ne sont pas les seuls à être internés, on retrouve les mendiants,vieillards, handicapés.

« Au cœur de cet exil, le pécheur et le fou se rencontrent, pour la première fois et se saluent.Ils vont apprendre à parler le même langage. » (Ternynck C., La mort du fou. Essai sur la présentation de la folie à travers les âges.)

On peut donc dire que l’hôpital n’est pas un lieu de soin,mais un lieu d’exclusion des personnes ne participant pas à la production de la société. L’internement se fait par décision de police et rarement par décision judiciaire. D’ailleurs, l’hôpital a une apparence de prison.

Il est à noter aussi que la folie devient une distraction pour la classe bourgeoise. A Paris, visiter les hôpitaux psychiatriques comme Bicêtre et s’y promener devient un loisir. La peur se mêle à la fascination.

Une date clé dans l’histoire de la folie est celle de 1790 : le fou est confié aux médecins : il devient malade.Avant cette date, il n’était pas considéré comme un homme car il n’était pas semblable. A partir de cette date, avec la dénomination de malade, le fou devient humain. Il y a pourtant le refus de la ressemblance et on le considère donc comme aliéné, c’est-à-dire une personne dépossédée de son esprit, de sa raison à cause de sa maladie mentale.

A partir de ce moment, l’internement est critiqué. Pourquoi ? Pour comprendre, il faut reprendre le contexte socio-économique. Le capitalisme débute : on se rend compte que toutes ces personnes internées peuvent représenter une main d’œuvre potentielle dans l’étape de l’industrialisation.

 

Le 19ème siècle :

Au 19ème siècle, le Dr Pinel est le premier à essayer de comprendre les troubles du comportement et à débuter une nosographie. Il reconnait les troubles comme mentaux. Apparaissent alors les premiers asiles thérapeutiques spécifiques à la maladie mentale, avec une nette séparation des instituts pénitentiaires.

Une curiosité nouvelle est née pour la maladie mentale.

Voici l’évolution de la terminologie des institutions psychiatriques fermées : maisons de fous, puis asiles d’aliénés, puis hôpitaux psychiatriques.

En Grande Bretagne, dans la seconde moitié du 18èmesiècle, la médecine prend en charge les malades. Apparaissent les formations professionnelles aux infirmières et la tenue de dossiers médicaux.

Aux Etats-Unis, en 1857, est ouvert le premier hôpital :Hôpital de Pennsylvanie : « Même souci légitime d’appliquer aux aliénés le schéma médical type en tant que schéma de service. » (Goffman E., Asiles, études sur la condition socialedes malades mentaux)

La vocation première de la psychiatrie est de s’opposer à l’exclusion du fou hors de la communauté des humains. Avec la maladie mentale,on a l’inclusion des fous avant de devenir le prétexte à l’exclusion des malades.

« Fermée sur elle-même, abandonnée à sa propre démesure, la folie ne risque-t-elle pas de s’aliéner davantage. »(Ternynck C., La mort du fou. Essai sur la présentation de la folie à travers les âges.)

Le malade mental est considéré comme une autre forme de déviance. Le fou est malade, mais malgré tout, il reste enfermé car il fait peur. Il est vu comme un danger potentiel pour la société. L’enfermement devient donc une mesure médicale de protection de la société. Le fou est considéré comme irresponsable, le rabaissant au statut d’enfant.

Quand l’idée de la curabilité apparait, le pouvoir du médecin augmente. Cela devient un pouvoir à la fois moral et social. Le Psychiatre est considéré comme le médecin de l’âme.

En France, en 1834, 10 000 personnes sont internées. Dix ans plus tard, on compte 16 255 personnes entre les murs de l’hôpital psychiatrique, nombre qui atteindra en 1874, 42 677 personnes.

Le début du 20ème siècle :

La psychiatrie du début du 20ème siècle a peu changé par rapport à celle du 19èmesiècle. On met les fous dans des asiles et on les appelle des« aliénés ». Les médecins y circulent en blouse blanche et les infirmiers en uniforme ressemblant à ceux des gardiens de prison. Pour l’organisation de l’asile, elle est semblable à celle des hôpitaux :modèle médical avec l’hypothèse d’agents infectieux, l’origine syphilitique supposée.

Dans les asiles, la mortalité est grande, due à la tuberculose, aux infections pulmonaires ou intestinales. On en concluait que les aliénés étaient plus sensibles aux infections que la population « normale »,et certaines théories attribuaient à la tuberculose la démence précoce.

L’approche organiciste, avec la formule de Wernicke au premier plan : « Toute maladie mentale est une maladie du cerveau. », bat son plein.

Pourtant, Sigmund Freud opère un grand bouleversement avec la théorie de l’inconscient et le début de la psychanalyse.

La vision de la folie change, car elle est comprise comme une tentative de l’homme de dépasser ses conflits originaux, comme la réponse à des difficultés de la prime enfance. La différence de nature entre le malade mental et l’homme dit normal s’estompe.

L’ère thérapeutique débute par des méthodes rudimentaires. Apparait la malariathérapie qui réussit à guérir certaines paralysies générales. Son mécanisme reste mystérieux, mais est le premier efficace en psychiatrie. Suit l’insuline avec Sakel, puis apparait l’électrochoc.

En 1922, sont crées des dispensaires d’action dont le but est de contrôler, et non pas d’aider les malades sortant de l’asile.

Début des années 30,les aliénistes revendiquent l’appellation de psychiatrie et les asiles deviennent des « hôpitaux psychiatriques ». La psychiatrie est alors une discipline curative.

Les services ouverts de psychiatrie apparaissent avec l’appui du mouvement d’hygiène mentale cherchant à humaniser la psychiatrie. Ces nouvelles structures accueillent les malades considérés comme curables et non dangereux. Le cadre y est généralement plus satisfaisant et les méthodes thérapeutiques plus efficaces. 

La guerre 1939/1940favorise la « révolution psychiatrique » des années 40 en mobilisant les esprits dans le sens de la nocivité de l’asile traditionnel.L’extrahospitalier a maintenant comme optique les sorties précoces et la réadaptation sociale.

L’après-guerre :

Ce mouvement s’accentue dans les années 50 lorsqu’apparait la pharmacologie,c’est à dire une méthode qui « envisage la pathologie comme une affection cérébrale médicalement définie par un certain nombre de symptômes. » (Ternynck C., La mort du fou. Essai sur la présentation de la folie à travers les âges.)

Désormais le service ouvert est devenu la règle et le service fermé l’exception. De plus, l’activité extrahospitalière prend le pas sur le travail hospitalier. Pourtant, les anciennes pratiques sont maintenues.

On utilise les neuroleptiques chez les psychotiques chroniques car cela donne des résultats positifs dans le traitement des symptômes. Les délires et les hallucinations s’estompent ou disparaissent. Cela permet de calmer le patient et de travailler au niveau de la psychothérapie. Le traitement psychologique est donc possible. De plus, cela apaise les médecins et le personnel hospitalier.

En 1965, la sécurité sociale rembourse les actes psychiatriques. La psychiatrie est donc reconnue et c’est la fin de la misère psychiatrique. Les riches ne sont plus les privilégiés des soins privés. De même, l’enseignement de la psychiatrie ne fut plus réservé aux facultés de médecine, mais fut dispensé dans les facultés de psychologie, dans les écoles sociales et d’infirmiers. Ceci permit à des équipes pluridisciplinaires d’apparaitre. A la même époque, les centres de santé mentale eurent l’appui financier de l’Etat.

En 1966, les services psychiatries furent assimilés aux hôpitaux, ce qui permit leur développement.

Dans les années 60 en Grande Bretagne, débute le mouvement antipsychiatrie. Les grands noms sont D. Cooper et R. Laing puis Basaglia. Pour eux, la folie est phénomène social avant tout. Les psychiatres se rendraient complices avec la société de la soumission à la norme. C’est une véritable remise en question de l’ordre établi, mais aussi du pouvoir des psychiatres et psychologues, considérés comme complices de l’exclusion.

Ils prônent le fait que la folie est créée par le social et qu’il faut laisser la parole aux fous. Il faut donc se débarrasser de tous les savoirs psychiatriques et de la nosographie.

Il est alors demandé à la société d’accueillir des fous chez soi.

La conséquence de l’antipsychiatrie fut la création de centres de santé mentale de l’ambulatoire et de la psychiatrie de secteur.

La psychiatrie de secteur doit assurer 4 points :

  • La continuité des soins
  • L’équilibre entre l’intra et l’extra hospitalier
  • Une approche globale du problème de santé mentale d’une population donnée
  • Traiterl e malade dans son milieu naturel.

« La psychiatrie est à la fois une pathologie de la maturation et de la relation : les deux aspects ne peuvent être séparés. »(Fondation Julie Renson, La société génératrice de troubles mentaux ?)

Notre culture contemporaine :

La politique de sectorisation se développe avec la création de nombreuses structures psychosociales : des hôpitaux de jour, des centres médicaux psychologiques, des maisons de l’enfance, des centres de gériatrie,des appartements thérapeutiques, des communautés thérapeutiques.

« Autant de lieux, autant d’équipes médico-sociales se destinant, sous le vœu pieux d’hygiène mentale, à dépister la maladie, à la prévenir et à la soigner. » (Ternynck C., La mort du fou. Essai sur la présentation de la folie à travers les âges.)

Le devoir du médecin est d’informer le patient et ses proches et de l’aider à se soigner.

Actuellement, une certaine volonté de « tuer le fou » dans le sens d’une intégration de la folie à notre imaginaire est remarquable.

La folie entre dans le langage courant, ce qui permet une certaine banalisation : par exemple, « fou d’amour », tu délires », « je déprime », « parano ! »,« Maso », « quelle hystérique ! ».

Le partage d’un tel vocabulaire avec les « fous »montre peut-être la prise de conscience que chacun peut un jour sombrer dans la folie. La folie est médiatisée, semble perdre sa dimension de tabou. Est-ce pour la tuer, la faire disparaitre, l’oublier ? Est-ce pour cette raison que tant d’efforts de réadaptation sont mises en place ?

« Le fou doit mourir :tel est le vœu inconscient de notre culture. » (Ternynck C., La mort du fou. Essai sur la présentation de la folie à travers les âges.)