Le journaliste grec du mensuel Hot Doc, qui avait publié les 2 509 noms d’évadés fiscaux hellènes consignés dans la « Liste Lagarde » a été acquitté jeudi soir par la justice de son pays. Costas Baxevanis est donc libre, notamment de déclarer que la télévision grecque avait étouffé l’affaire, de même que les titres des patrons de presse liés au monde des affaires qui n’en n’ont fait état que lorsque la presse internationale pointait son inculpation. Mais la fameuse Liste Lagarde ne comptait pas que des noms grecs. Près de 6 000 comptes avaient été transmis, voici deux ans, par l’ancienne ministre française de l’Économie, à présent à la tête du FMI, au Royaume-Uni. Et que fit le fisc britannique ? Il s’est contenté d’un seul bouc émissaire ! Et en France ?

Lin Homer, la directrice des services fiscaux britanniques, les Revenue and Customs Services, sera entendue lundi par une commission parlementaire, celle du Public Accounts Committee. Voici deux ans, Christine Lagarde, alors ministre française de l’Économie, transmettait aux services britanniques une liste de 6 000 comptes détenus par HSBC Suisse pour des sujets de SM Élizabeth. Alors que les autorités grecques réagissent – ou prétendent le faire – en examinant les comptes de tous les Grecs ayant transféré plus de 100 000 euros à l’étranger, soit éplucher 54 000 cas, et environ 15 000 en priorité, leurs homologues britanniques se retrouvent sur la sellette.

Bien sûr, les quelque 6 000 Britanniques détenant des comptes HSBC en Suisse ne sont pas tous des fraudeurs fiscaux. Mais la liste, issue des copies effectuées par Hervé Falciani, actuellement réfugié en Espagne et dont l’extradition a été demandée par la Suisse, n’a provoqué, au Royaume-Uni, qu’un seul redressement fiscal judiciaire.

Les autres, car d’autres redressements ont été opérés, sont restés confidentiels. Bien davantage que celui acquitté récemment Florence Lamblin en France, dans l’attente d’une issue judiciaire. En fait, les députés britanniques se demandent quel degré d’indulgence a présidé aux négociations avec les fraudeurs.

La présidente du comité parlementaire, la travailliste Margaret Hodge, insiste sur le fait que les contribuables britanniques, selon qu’ils soient riches ou misérables, sont traités en plus égaux que d’autres par le fisc de Sa Majesté. 500 personnes ont été entendues par le fisc ou sont encore l’objet d’enquêtes. 600 autres ont négocié. Des millions de livres d’impôts non payés devraient être récupérés, affirme le fisc britannique, mais dans la plus grande opacité.

L’autre volet qui fâche, c’est l’évasion fiscale des très grandes sociétés internationales, en particulier Apple, Coca-Cola, et comme en France, Google. Selon diverses sources françaises, Google, qui a été débouté en appel de ses demandes d’annulation de perquisitions et saisies effectuées en juin 2011 à Paris, pourrait se voir réclamer un milliard d’euros (les revenus de Google France ayant été en quelque sorte blanchis en Irlande après passage aux Pays-Bas et aux Bermudes). L’an dernier, sur près de 1,4 milliard d’euros de chiffre d’affaires en France, Google ne se serait acquittée que de cinq millions d’euros.

Au Royaume-Uni, ces grandes compagnies n’auraient réglé que 3 % de leurs bénéfices.

La presse belge, en particulier Le Vif, n’est guère tendre avec Christine Lagarde. Reçue docteure honoris causa par l’université catholique de Louvain-Courtrai, l’actuelle patronne du FMI s’est vue remémorer l’affaire Bernard Tapie. Ce dernier avait attaqué en diffamation, en vain, le professeur Thomas Clay, qui avait estimé que les 403 millions d’euros alloués à l’homme d’affaires (au sens large) l’avaient été illégalement. La Cour de justice de la République devrait entendre Christine Lagarde, mais sa diligence est fort poussive.

En Belgique, la Société Générale est l’objet d’une enquête portant sur des transactions suspectes portant sur 89 millions d’euros. Comme par hasard, le parquet d’Anvers a préféré transiger en août 2011, rapporte Le Vif.

Trop importants ou trop riches pour faire faillite, mais aussi pour régler les impôts dus ? Comme en Grèce, la presse internationale, moins timorée, ou en moindre connivence, sait pointer les dysfonctionnements (à moins que ce soit la règle). En France, L’Express préfère présenter Christine Lagarde telle une potentielle candidate à la présidentielle de 2017.

Voici que la Royal Bank of Canada et la Northern Trust sont mis en examen par le juge d’instruction Guillaume Daieff en rapport avec la dynastie Wildenstein, choyée par Nicolas Sarkozy. Ce ne serait plus 250, mais 600 millions d’euros qui pourraient être récupérés, indique Le Parisien. À moins, bien sûr, qu’une plus qu’amiable transaction intervienne.

C’est tout le problème de l’équité entre les contribuables qui est posé. Or, les complaisances à l’égard des plus gros ou des plus en cour constitue une véritable concurrence faussée entre entreprises.

Voilà qu’Arnaud Montebourg préconise une « taxe carbone aux frontières ». Facile à contourner ou négocier pour les plus gros pollueurs ? Implacable pour les autres ? Pour un Dieudonné forcé à mettre en vente judiciaire son domaine de Saint-Lubin-de-la-Haye pour régler ses arriérés d’impôts, combien bénéficient de complaisance ? Tandis que les contribuables disposant de revenus situés entre 1 700 et 3 000 euros nets mensuels s’acquitteront, selon l’Institut des politiques publiques, de 3 % d’imposition supplémentaire (0,7 % en moyenne pour les plus petits assujettis).

Bref, le deux poids, deux mesures, semble aussi en France rester à l’ordre du jour. Qu’il s’agisse d’une impression ou d’une réalité, c’est vraiment fâcheux et fâchant.

Au fait, vous connaissez la ligne de défense du fisc anglais pour justifier les transactions amiables ? C’est pour épargner aux magistrats une charge de travail trop lourde. Mais, comme par hasard, pour ceux en bas de l’échelle, aucune indulgence n’est envisageable et la justice peut crouler sur les dossiers.