Eus, le village des lézards.

Faisant de trois quart face à Marquixanes, à tramontane, harponné à un versant rocheux, le village d’Eus, classé parmi les plus beaux de France depuis 1984, dans la grandiloquence d’un décor aride et âpre, exponentiellement de type méditerranéen, offre, aux regards émerveillés, une vue de carte postale. Autrefois village frontalier fortifié, il jouit d’une situation stratégique importante en dominant tout le moyen Conflent et en contrôlant les passages le long de la vallée et vers le col de Roca Gelera.



 

Eus, le village des lluerts, – des lézards -.


Le village est étagé, à flanc d’un éperon granitique, et les maisons dévalent de la soulane entre des rocs de granits, genêts à balais, cistes et agaves. Toute à son zénith, au sommet de la pyramide, se dressant, impérieuse, et dominant le bassin du Conflent, l’église baroque Saint Vincent d’en Haut, vaisseau monumental, véritable cathédrale en réduction, veille sur la communauté à demi endormie, sous un soleil frappant de mille feux,. A ses pieds, la petite chapelle romane, Saint Vincent d’en Bas, du XIe siècle, nichée au fond de la vallée, est la gardienne millénaire du minuscule cimetière y attenant.


Village escalier ayant inspiré quelques artistes et de nombreux artisans qui y ont établi leur atelier, les plus courageux y porteront leurs pas, s’échinant à gravir les raidillons pavés de galets, les rues escarpées et bordées d’une végétation ou cactus et mimosas étonnent, et, parvenus au point sommital, ils déambuleront, à travers les ruines d’un château comtal dont les seuls vestiges sont une partie du chemin de ronde débouchant sur une poterne et une salle voutée en berceau derrière l’abside de l’église, et d’une cité médiévale, admirant, par les brèches ajourant les murailles, les délicates échappées sur le placide et imposant Canigou, le berger des ans, et sur la plaine effilée, du Bas-Conflent, brodée de vergers.

 


Les accrocs de l’automobile, les partisans du moindre effort, eux, se pourfendront, avec la volonté opiniâtre de garer leur carrosse adulé, au plus près du monument cultuel. Mais, s’il leur prend l’inconsciente folie de s’aventurer, ne serait-ce même que quelques enjambées, dans les dédales des ruelles sillonnant le village, peine leur sera, alors, de les remonter. Ils se sentiront trahis, trompés et abusés, tant bien plus ils pesteront, argumentant, misérables accusations, contre l’intolérance des lieux.


Village-pyramide, village-escalier, construit en terrasses et portant en son cœur la magie des cités fortifiées, c’est un ancien site défensif. Dominé par le château des comtes de Cerdagne datant de la fin du XIe siècle, aujourd’hui en ruine, Eus a été pris, en 1344, au nom de Jaume III de Majorque, – ou Jacques III, roi de Majorque, comte de Roussillon et de Cerdagne, seigneur de Montpellier et prince d’Achaïe, souverain catalan du XIVe siècle -, par Joan de Só, vicomte d’Evol, a repoussé, en 1598, les français et a subi, en 1793, une mise à sac par les troupes espagnoles du général Ricardos qui soumettait alors le Conflent. Perché à 387 mètres d’altitude, exposé plein Sud, il est surtout connu pour être le village le plus ensoleillé de l’Hexagone.


Situation géographique.


D’une superficie de 20,08 kilomètres carrés, implanté sur la rive gauche du fleuve Têt, Eus est une commune conflentoise, comptant 405 habitants depuis le dernier recensement de la population datant de 2009, qui se localise sur la solane du massif granitique de Quérigut-Millas. Si limite méridionale est matérialisée par le cours d’eau, son territoire, à septentrion, confronte avec le Fenouillèdes et est limitrophe, au Nord, avec Sournia et Campoussy, à l’Est avec Arboussols et Marquixanes, au Sud avec Marquixanes, et Los Masos, et à l’Ouest avec Prades, Catllar et Molitg les bains.

 

 


Le point sommital du village, l’église Saint Vincent d’en Haut, se situe à 360 mètres d’altitude et son territoire culmine à 1.104 mètres à la Roca Gelera et à 1.025 mètres au Pic de Baou. Le Fleuve La Têt, le Ruisseau de Comes, le Ruisseau du Toc de l’Hirondelle, le Ruisseau de la Coume d’Espira, le Córrec de la Font Clotada, le Córrec de la Font de l’Orri, le Córrec de la Llempis, le Ruisseau de Ballaury, le Ruisseau d’Arboussols, le Ruisseau de Sainte Eulalie, le Ruisseau de Bails, le Ruisseau de Marqueixanes, le Liscó, – ou Lliscó -, et le Ruisseau des Aires sont les principaux cours d’eau qui traversent la commune d’Eus.


Terre de maquis plus que de garrigue, la formation végétale, un peuplement originel de chênes verts, d’arbousiers, de bruyères arborescentes, de calicotomes épineux, de cistes de Montpellier, de cistes à feuilles de laurier, de cistes à feuilles de sauge, d’immortelles, de lavandes à toupet, de pistachiers lentisques, de filaires à feuilles étroites, de myrtes et de romarins, plus basse qu’une forêt, est très dense et constituée principalement d’arbrisseaux résistants à la sécheresse, formant des fourrés épineux et inextricables. Et c’est en bordure du fleuve, zone alluviale fertile, que se trouvent les meilleures terres de la commune, environ un dixième de l’ensemble du territoire, essentiellement consacrées à l’arboriculture, vergers d’abricotiers, de pêchers, de nactariniers, de brugnonier, de cerisiers et pommiers.


Eus et les voies de communication.


Le territoire communal ilicien est desservi par cinq voies de circulation d’importance dissemblable, deux grand-routes dont l’une à fort trafic et deux voies d’intérêt départemental.


Longeant le terroir méridional, rive gauche du fleuve Têt, la Nationale 116 reliant Perpignan à Bourg-Madame, la plaine littorale aux hauts plateaux de la Cerdagne et à la frontière espagnole. Et entre Marquixanes et las Planes de Trouils, nombreux sont les automobilistes qui stationnent en bord de route pour photographier le pittoresque village harponné à la roche, l’un des plus spectaculaires du département.

 


La Départementale 619, – ou D 619 -, joignant Prades à Saint-Paul-de-Fenouillet, reprenant l’ancienne Nationale 619, déclassée en 1972, court, du couchant à septentrion, de l’embranchement du chemin de Saint Jacques Calahons au Col de Roca Gelera.


Il est seulement possible d’accéder au bas du village par la D 35, de Prades à Arboussols à laquelle se raccrochent, pour traverser la Têt, à l’Est, un diverticule à Marquixanes et à l’Ouest, un chemin asphalté permettant d’atteindre Catllar. Et ce ne sont que des chemins de terre, excepté celui permettant d’accéder au sommet de l’agglomération, – le chemin des Rougères -, qui sillonnent, – le chemin de Cômes, le chemin de las Hortes, le Chemin du Moulin, le Chemin de Lo Pla, le chemin de Las Garrigoles, le chemin de las Feyches, le chemin de las Pharaderes, le chemin de Saint Vincent, le chemin de Las Planes, le chemin des Rougères, le chemin de Stanyls et la Tira -, le territoire communal.


Les habitats iliciens au fil des âges.


Le territoire communal d’Eus a été peuplé, au moins, dès les temps protohistoriques. Probablement, même, quelques vestiges préhistoriques ayant été découverts sur l’emprise du village abandonné de Coma et sur le site de Stanyls, des hommes préhistoriques ont foulé son sol. En outre, des dolmens ruinés, – à l’instar de ceux de Campossy, Molitg et Catllar, probablement plus nombreux mais non encore répertoriés -, se dressent, l’un au lieu-dit la Font de l’Orri, un second à l’Estanyol, et des cupules et des gravures rupestres, à la « Rocha que dictum Tumba(1) » et au « Rocham Rogum(2) », attestent de la présence, sur ces hauteurs, de bergers dès l’Épinéolithique.


Si les civilisations Campaniforme, Ibéro-ligure et Bébryce, par absence de traces d’habitats, ne paraissent pas apparentes, le Roc dit le Tombeau, proche du Roc del Rouguet, vandalisé, peut pourtant laisser entendre qu’il y a pu y avoir, en ce lieu, une nécropole renfermant des urnes funéraires. En outre, des toponymes proches du site de Comes, tels le Ravin dels Taillats, – ravin des hommes tranchés ou lapidés -, le Ravin dels Morts ou le Ravin dels Garrigos, – ravin des Teusch ou des Teutons ou des Cimbres, peuples barbares du IIe siècle avant J.C., jouant du sistre bruyant et sinistre -, sont beaucoup plus évocateurs quant aux possibilités d’une probable bataille, vers -100, opposant les Cimbres qui, après avoir remporté la Bataille d’Orange contre les Romains, en -105, s’étaient engagés, traversant le Roussillon, dans la Péninsule Ibérique, et soit aux Volques Arécomiques et Bébrices, soit aux Romains, soit aux Volques et aux Romains.

 

 


En effet, les Romains sont entrés en Roussillon vers 154 avant J.C. et pérennisent, la rattachant à la Narbonnaise, leur conquête vers -120. Un camp militaire, au toponyme encore inconnu, est lors installé, sur la partie sommitale de la colline ilicienne, afin de surveiller et de sécuriser la vallée du Bas-Conflent et le passage de la Via Confluentana. Et nous restons, de même, dans l’ignorance d’une présence ou non de wisigoths et de sarrasins(3), des peuples non bâtisseurs. Après l’invasion sarrasine et le dépeuplement du Roussillon, c’est Charlemagne, en 811, qui parvient à prendre cette région et qui la pacifie. Commence alors l’ère chrétienne et, avec elle, la multiplication des églises rurales.


Au IXe siècle, trois nucléus sont implantés sur le territoire communal d’Eus, Coma qui sera rattaché à la commune, le 1er Juillet 1828, tout au Nord, Elzina autour de l’église Saint Vincent d’en Bas, rive gauche de la Têt, et, rive droite, dans l’emprise des lieux-dits Las Pharaderes et Las Feyches, arrosé par le torrent El Lliscó, Cavalera, aujourd’hui, soit emporté par un « aiguat », soit enseveli sous sous les dépôts limoneux importants, de plusieurs mètres d’épaisseur, consécutifs aux cataclysmes pluviaires qui se sont abattus du XIIe au XVe siècles, disparu.


Après la construction du château comtal, peu à peu, la population a abandonné le nucléus, implanté autour de l’église paroissiale Saint Vincent d’en bas, pour se réfugier dans l’enceinte de la forteresse, puis en contrebas de celle-ci. La première mention du château remonte à 1095. En 1218, un texte précise qu’il comporte une chapelle castrale dédiée à Notre Dame de la Volta Les termes de « ortam veterem de Euçio », en 1265, et « Vila Vella », en 1399, caractérisent, dès lors, le village originel.


Enfin, des lieux de vie sont disséminés tout au long de la vallée, de part et autre du fleuve Têt, à Les Hortes, La Passera, La Rogera, Le Vinyer et Sant Jaume…


Étude étymologique.


Sous la forme de « ipsa Elzina », la première mention de Eus apparaît dès le Xe siècle. Puis le nom toponymique évolue en « villa Elz » en 1035, « Hels » en 1053, « castrum de Ylice » en 1095. Au XIIIe siècle, les formes « Eucium » et « Eicio » sont plus usitées et aboutissent à « Eus » à partir de 1359.


Si nous nous en tenons aux études réalisées par les linguistes, Eus dériverait du latin ilex, ilicis, le chêne vert, – ou chêne faux houx -, qui a donné, en français, – du provençal «euze », découlant d’elzer, et de l’occitan « euse », issu d’elex variante d’ilex -, le mot yeuse et, en catalan, – variante d’ilicina -, alzina, aulina, alzinall, alzinar, alzinat, alzineda, alzinera, alzineta, alzinoi et alzinoia. Il signifierait, « lieu où abonde le chêne vert » ou, suivant les graphies « Elzina », « Elz », « Helz » et « eusilha », « taillis de chênes verts » ; « eusina », « gland de chênes verts » ; et « eusièra » ; « plantation de chênes verts ».


Mais nous ne devons pas oublier, qu’au XIIIe siècle, le village, implanté autour de l’église paroissiale Saint Vincent d’en Bas, s’est appelé successivement « Eicium », « Eucium » et « Eicio », des toponymes qui pourraient se rapporter à l’appellatif originel propre au camp romain implanté dans la partie sommitale du village. En effet, ĕĭcĭo ou eĭcĭt ou ĕjĭcio signifie, pour Ciceron jeter hors, chasser de, chasser du territoire, bannir, exiler ou précipiter loin de ses dieux pénates, et pour Cæsarius, jeter hors du camp. Cela laisse à penser qu’en ce lieu, en relation avec les noms afférents à certains ravins, – ravin dels Taillats, ravin de la Mort, ravin dels Garrigos… -, les Cimbres auraient été chassés du territoire.


Notes.


(1) Rocha que dictum Tumba : Tumba mot de mauvaise latinité, soit un archaïsme, soit un néologisme, désignant une sépulture, une tombe ou une nécropole.

(2) Rocham Rogum : Roc del Rouguet, à l’Ouest de l’église Saint Estève de Cômes, culminant à 820 mètres. Cômes, plan cadastral de 1810 dit Plan Napoléon

(3) Sarrasin vient du bas latin sarracenus, nom d’une peuplade d’Arabie, issu de l’arabe charqyin, pluriel de charbi.

 

14 Novembre 2012 © Raymond Matabosch