Franchement, ce vendredi 9 décembre à 23 heures, après l’annonce des décisions du Conseil européen de Bruxelles, je suis incapable d’imaginer si l’euro passera l’année, si l’on s’oriente vers une sorte de Schengen monétaire, ou, à plus long terme, vers une réelle Auld Alliance solidaire et solide, élargie bien sûr… Dans tous les cas, le prix à payer sera la réduction des protections sociales, et à moyen terme, de nouvelles tensions… Les questions « où va l’euro ?» et « où va l’Europe ? » ne sont pas vraiment dissociables, mais de ce point de vue, les réponses du « mini-traité » qui ne dit pas son nom sont vraiment décevantes.

Total désarroi. Qui ne m’est pas que propre. La Croatie vient de demander l’accélération de son intégration à l’Union européenne, la Roumanie et à présent la Lituanie émettent le souhait de rejoindre l’Eurozone ; mais la Grande-Bretagne a opposé un veto pour protéger « The City » (les places financières de Londres et d’Edimbourg).

Tiens, justement, à moyen terme, que fera l’Écosse ? Elle conservera la livre sterling ou se dotera d’une monnaie qui pourrait, sous conditions, rejoindre l’euro ?

À Londres, la livre ayant dévissé de 30 % depuis la création de l’euro, l’un des critères facilitant son abandon est atteint.

Une partie de la classe politique et de la presse britanniques s’interroge donc : faut-il sauver à court terme la finance britannique ou la préserver à plus long terme, quitte à renoncer à la livre ?

Bien sûr, les réactions épidermiques des peuples comptent peu, voire pour rien.

Mais le Royaume-Uni risque d’affronter de fortes crispations de la part de divers pays européens qui pourraient s’appuyer sur leurs opinions pour lui forcer la main : reddition ou départ.

« Auf Wiedersen, England », sur-titre le Spiegel. Roland Nelles tente de dévisager la « Nouvelle Union européenne ». Car les accords, « fondés sur le plus petit commun dénominateur, tout enfoui profond et masqué qu’il soit, c’est fini, » poursuit R. Nelles. « L’Europe peut fonctionner très bien sans les Britanniques (…) mais nous devons plutôt faire en sorte de pouvoir leur dire “welcome back”. ». Le populaire Bild titre : « L’euro avant les Brits ».

Cela vaut ce que cela vaut, mais le lectorat du Figaro répond « non » à 82,46 % à la question « le Royaume-Uni a-t-il encore sa place en Europe ? ».

David Cameron doit affronter une opinion profondément divisée, en interne (les conservateurs eurosceptiques et les autres, ses alliés libéraux plutôt favorables à l’intégration européenne), et en externe : le Labour, bien sûr, mais aussi le SNP, le Scottish National Party, d’autres.

Vieilles idées

La Vieille (Auld) Alliance, qui remonte à 1300 (en fait 1165 ou 1295), liait la France à l’Écosse, mais aussi à la Norvège. C’était déjà à géométrie complexe puisque les Franco-Écossais étaient des « binationaux », mais pas les Norvégiens. Là, on en serait à 26 plus 9 (pays hors zone euro), voire 11 (Croatie, et pourquoi pas Serbie, plus tard). C’est plus complexe puisque l’Irlande s’interroge. Qu’il est aussi envisagé de passer du couple franco-allemand à une sorte de partie carrée, avec l’Espagne et l’Italie, et donc à un quartet Mertikozoy (avec Rajoy et Monti). Pas question de venir à la partouze des dirigeants sans sa femme ou son escorte, soit la défense prioritaire de l’euro, a laissé entendre un officiel français à l’endroit de Cameron.

On s’orienterait donc vers une vieille-nouvelle alliance, au moins au niveau des dirigeants. Mais la question de l’adhésion des peuples reste totale. Le veto britannique est peut-être une bonne nouvelle. Il a le mérite de mettre en lumière qu’une harmonisation fiscale (et non une Fiskalunion, soit la seule discipline budgétaire), et même une harmonisation des politiques pour l’emploi global, et non pas pour soutenir les seuls grands groupes industriels ou de services, sont les conditions fondamentales d’une Europe plus fédérale (au cœur du système, plus confédérale avec les pays partenaires).

Qu’à dit en fait Cameron ? En substance : je dois préserver les intérêts de notre système financier, notre plus gros exportateur, pour appuyer une relance en direction de nos PME et PMI, de l’emploi. Bien sûr, il y a aussi la question de son avenir politique, et il se sait guetté, au sein de son parti, par le « maire » de Londres, Boris Johnson.

Mais cette alliance entre la City et l’économie britannique pourvoyeuse d’emplois est mise en doute. Comme l’a exprimé un lecteur du Guardian, « Cameron va chez le voisin en plein incendie pour réclamer sa tondeuse à gazon ». Alors que le feu lèche la maison britannique, alors que la City est considérée, y compris au Royaume-Uni, plus soucieuse de ses propres intérêts que des nationaux dans leur ensemble. C’est ce qu’assène le libéral-démocrate Edward McMillan-Scott : « Cameron et son rival Johnson ne font que (…) protéger leurs riches amis. ».

En Italie, le percepteur du fisc, Equitalia, vient d’être victime d’un attentat. Le directeur d’une « perception » romaine y a perdu une phalange. De même, le directeur de la Deutsche Bank avait-il été, jeudi, destinataire d’une lettre piégée adressée par la Federazione Anarchica Informale.

La « règle d’or », la Fiskalunion, sera-t-elle sans cesse évoquée pour réduire la protection sociale, allonger la durée du travail, sabrer les services publics au profit d’intérêts privés ? Bref, va-t-on continuer à promettre une décennie de serrage de ceinture aux mêmes ?

L’alternative cohérente

Pour favoriser la cohésion européenne, celle d’une Europe à x pays, l’alternative ne serait-elle pas de se déclarer en faillite, en défaut ? Là, après le nième accord, tout le monde s’accorde à penser qu’une fois de pire, les agences de notation ne sont pas du tout convaincues par les déclarations. Les mesures prises, estime Ambrose Evans-Pritchard, du Telegraph, forment un compromis foireux (lousy), un « traité Flamby » (flim-flam).
Lequel « ne produira que la moindre impression sur les marchés globaux ». Je vous passe les détails techniques de l’arrangement passé dans la nuit de vendredi à samedi. « Rien à même de convaincre les investisseurs asiatiques que cette union monétaire est pilotée efficacement ou qu’elle a même un avenir, » poursuit A. Evens-Pritchard. Pas faux.

Or donc, on attend. Les nouvelles sanctions des marchés. Parce que, Donald Tusk (entre autres), le chef de l’État polonais, interrogé sur le fait de la possibilité que l’accord puisse sauver l’euro, a tout simplement répondu : « pas sûr ». Enfin, bref, il est comme moi, dans l’expectative. Désolé de ne pas bêler avec les optimistes et de blatérer mon pessimisme, mais au final, personne ne sait trop au juste ce qui adviendra lundi, ou la semaine d’après, ou, mettons, le 6 janvier. Nous en parlions ce soir avec une amie québécoise, ancienne journaliste, spécialiste, en tant que consultante, des situations de crises. ScienceTech Inc., sa société, est comme moi, dans le gaz.

Le système envisagé peut effectivement conduire à des crises rampantes avant d’exploser, mis à feu par les ressentiments.

Evens-Pritchard veut voir dans l’isolement britannique une chance, surtout quand « le vaniteux et hystérique petit homme de l’Élysée aura pris ses cliques et ses claques ».

Arrêt sur images considère que se déclarer en faillite reste une option : « parmi les mauvaises solutions qui s’offrent à nous dans la crise de la dette, le défaut est peut-être celle qui lèsera le moins les plus jeunes, et les moins riches. ». Mauvaise solution car elle serait aussi douloureuse, pour les petits épargnants, notamment. Mais moins létale ?

C’est près de 8 000 milliards d’USD (environ 7 000 milliards d’euros) que la réserve fédérale étasunienne a consenti aux banques entre 2007 et 2009, avec des prêts à 0,001 %. C’est la moitié du PIB étasunien. Pour arriver à quoi ? À soutenir la stabilité des marchés financiers, dit-on.

Trop gros pour chuter ? Eh bien, chutons !

Le choix n’est plus qu’entre la perspective d’un désastre et l’assurance d’une catastrophe, certes « lissée », mais difficilement évitable. Nous sommes dans la situation où il faut savoir de qui on veut vraiment sauver la peau… et les os.

Christian Noyer, de la Banque de France, se veut rassurant : « nul besoin d’intervenir plus massivement ». Ah bon ?

Mais en fait, comme l’a dit Ian Rankin, « le Royaume-Uni, c’est 90 000 miles carrés, David Cameron s’est battu bec et ongles pour un seul » (l’extension de la City). Et l’impression qui subsiste à l’issue de ce nième sommet, c’est que l’Union européenne se bat pour seulement quelques hectares, l’emprise de la bancassurance. Le « signal fort », c’est peut-être de dire aux marchés que les 99 % du territoire européen sont prêts au sang et aux larmes, mais pas seulement pour 1 % de la surface… Ce qui ne peut se faire dans la dispersion et les antagonismes entre mandataires des puissances financières. Il faut peut-être songer à une Auld Alliance, toute différente.